La Chronique Agora

Ensemble, nous sommes invincibles, seuls, nous ne sommes que des cibles

 

▪ Caterpillar annonce des résultats meilleurs que prévus… et chute de 8% !

Le profit par titre ressort à 36 cents contre 29 attendus au quatrième trimestre. La direction table sur une croissance du chiffre d’affaires comprise entre 10% et 25%. Bigre ! Cela représente une marge d’incertitude impressionnante et les projections de bénéfices ne vont pas être commodes à établir.

Le numéro un mondial des engins de chantier hasarde tout de même une estimation de 2,5 $ de revenu par titre cette année — mais c’est inférieur aux 2,6 $ espérés. Les ventes ont chuté de 39% en 2009 et la baisse avoisine 50% depuis fin 2007. Les chances d’amélioration semblent en faveur de l’actionnaire… sauf que le cours a déjà triplé en 10 mois (de 21,7 $ à 64,4 $), après avoir été divisé par quatre entre avril 2008 et mars 2009.

S’il s’agissait d’une valeur biotechnologique ou d’une start-up dont les cours explosent ou s’effondrent au gré des rumeurs, alors que les analystes avancent en territoire inconnu et sont partagés entre l’anticipation d’une faillite ou le rachat à prix d’or par un concurrent, nous ne serions pas trop étonné de la volatilité du titre… Cependant, comme le souligne Jesse Owens, le patron de Caterpillar, cette firme existe depuis 1925 et a survécu à la crise de 1929.

Est-ce que la cyclicité de son secteur d’activité induit de tels écarts ? Est-il justifiable de repasser en neuf mois des niveaux de décembre 2002 à ceux de janvier 2006 ? Les marchés peuvent-ils prétendre s’être montrés efficients ces 18 derniers mois… ou quelque chose aurait-il dérapé ?

▪ Nous posons la même question au sujet des produits obligataires à haut rendement que les investisseurs fuyaient comme la peste à l’automne 2008… et qu’ils s’arrachaient 12 mois plus tard. C’était à tel point que de nombreux fonds d’investissement ont gagné deux fois plus d’argent avec les dettes des entreprises qu’en encaissant les plus-values sur leurs titres cotés en Bourse.

Le sentiment que le ciel est la seule limite est si bien ancré dans les esprits en matière d’écarts de valorisation que nul ne songe à remettre à plat la méthodologie des « experts ».

Les marchés ont pris l’habitude de privilégier les prédictions auto-réalisatrices. Les analystes se livrent à une surenchère permanente qui transforme de simples hypothèses dans l’air du temps en scénarios qui tendent vers l’absurdité totale. Tous les garde-fous (le bon sens le plus élémentaire, le scepticisme face au consensus) sont systématiquement démantelés et jetés au bas de la falaise dès que la foule se presse pour acheter ou pour vendre.

Le suivisme a été érigé au rang d’impératif catégorique, puisque le marché synthétise la totalité de l’information et des opinions. Le culte de la tendance tue dans l’oeuf tout débat contradictoire… et si la réalité dément les anticipations de la majorité, alors c’est à la réalité de se plier à la volonté du plus grand nombre.

Caterpillar a peut-être survalorisé ses stocks à l’automne dernier et changé de méthodes comptables pour embellir artificiellement ses trimestriels. Au final, ce sont ceux qui ont détecté l’imposture qui ont perdu de l’argent en se détournant prématurément d’un titre dont la tendance était inexorablement haussière.

Le même raisonnement vaut pour l’ensemble des actions, les matières premières ou les dettes d’Etat. Tant que ça ne s’effondre pas, il faut accumuler — c’est-à-dire « pyramider » ou « bourriner » dans le jargon des salles de marché : « tous ensemble, nous sommes invincibles, tout seuls, nous ne sommes plus que des cibles ».

Une transition semble cependant s’opérer. Le temps où Wall Street accueillait les mauvais chiffres économiques avec sérénité, y voyant la promesse d’un maintien de taux très bas, semble provisoirement révolu.

Wall Street s’inquiète aussi de l’utilité pour la Fed d’injecter des masses de liquidités considérables. A quoi bon, si les banques américaines ne peuvent plus les absorber suite à la séparation de leurs activités dépôt/crédit et opérations pour compte propre ?

▪ Très concrètement, les marchés ont pris un coup au moral mercredi à 16h avec la publication du rapport mensuel concernant les ventes de maisons neuves au mois de décembre aux Etats-Unis. La chute a surpris par son ampleur (-7,6%). Le bilan 2009 se solde par un recul de 23%, à 374 000 transactions, tandis que 2010 démarre sur un rythme de 342 000 — le plus faible depuis mars 2009.

Les valeurs françaises, qui limitaient leurs pertes à 0,7% peu avant la statistique, ont replongé vers de nouveaux plus bas annuels, établissant un plancher vers 3 737 points avant de remonter au contact des 3 760 points en clôture (-1,25%).

Wall Street virait au rouge avec un Dow Jones en repli de 0,6% à la mi-séance, insensible aux rumeurs de vote du maintien de Ben Bernanke à son poste de patron de la Fed dès ce jeudi. Nombre d’opérateurs s’inquiétaient plutôt du contenu du premier discours d’Obama sur l’Etat de l’Union : allait-il calmer le jeu vis-à-vis des banquiers ou transformer leur impopularité en argument électoral ?

Il y avait de quoi y réfléchir à deux fois après le discours inaugural de Nicolas Sarkozy au Forum de Davos : il désigne les mêmes coupables que l’hôte de la Maison Blanche et soutient son projet de réforme du système financier.

De quoi susciter outre-Atlantique une soudaine union sacrée derrière les champions de Wall Street (oublions un instant les bonus et les lobbies) menacées par l’obsession régulatrice d’une France qui symbolise tout ce que l’Amérique libérale déteste. Nicolas Sarkozy veut en effet moraliser le capitalisme… qui, comme beaucoup de philosophes le soulignent, est « amoral ».

Il préconise une refonte de la régulation des mouvements de capitaux et des règles prudentielles pour les banques (« dont le métier n’est pas de spéculer mais de maîtriser le risque de crédit »).

▪ Ce sont justement les banques qui ont permis au Dow Jones de reprendre 150 points « en ligne droite » à partir d’un plancher de 10 105 points inscrit vers 20h20. Le Dow gagne au final 0,41%, à 10 237 points, grâce à Bank of America (+2,8%) et J.P. Morgan (+2,3%). L’indice Standard & Poor’s 500 a engrangé 0,5% à 1 097,50 points. Enfin, le Nasdaq Composite enregistre +0,8% à 2 221 points, moins de 90 minutes après avoir rebondi sur 2 193.

Il convient de souligner que la Fed a supprimé de son communiqué final une référence à « l’amélioration de la conjoncture dans le secteur immobilier ». Une telle phrase aurait prêté à sourire après la série de très mauvais chiffres publiés cette semaine et la chute des ventes de logements neufs…

Mais la Réserve fédérale va mener à son terme (fin mars) son programme de rachat de titres obligataires. Elle ne précise pas, toutefois, si d’autres mesures de soutien prendront le relais… ou si cette procédure cessera définitivement afin de marquer la fin du cycle d’assouplissement quantitatif et le retour à une politique monétaire plus orthodoxe.

Les marchés des changes parient ouvertement que la Fed devancera la BCE dans le durcissement des taux. Le dollar a enregistré une nouvelle poussée haussière face à l’euro, jusque vers 1,40/euro, son meilleur niveau depuis le 14 juillet 2009.

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