La Chronique Agora

L’enfer, c’est les autres (enfin, ça dépend)

▪ « Vous les Américains, nous ne comprenez rien. Il faut venir en Argentine et y vivre quelques années. Ensuite vous comprendrez les Etats-Unis ».

Nous nous devions de réagir. « Hein ? »

« Quand on est ici, on voit plus clairement comment les choses fonctionnent vraiment… ou ne fonctionnent pas. On voit la véritable nature des choses… surtout en matière de gouvernement. Croyez-moi, vous les Américains, vous vous faites toutes sortes d’illusions. Un gouvernement ‘par et pour le peuple’ ? Ou, comme le dit Hilary Clinton, ‘le gouvernement, c’est nous tous’ ? Pas vraiment, non. Et quand on vit en Argentine pendant quelques temps… on voit ses propres institutions plus clairement ».

Notre interlocuteur était un ami. Lui-même américain, originaire de l’Alabama, il a vécu en Argentine pendant 30 ans. Il a connu l’inflation des années 80… le boom des années 90… le krach des années 2000…

Il a vu des présidents corrompus. Des présidents honnêtes. Des présidents compétents. Des présidents gaffeurs. Beaucoup de présidents. En 2001, sur une période de deux semaines, l’Argentine a eu quatre présidents différents. Tous ont tenté de mettre fin à l’effondrement financier. Aucun n’y est parvenu.

« Bah, ce n’est rien du tout, ça, » a continué notre ami. « Pendant le régime militaire, nous avons eu quatre présidents de facto en un jour ».

« Je me rappelle quand je suis arrivé ici. Je me sentais si supérieur. Parce que notre système, aux Etats-Unis, marche tellement mieux. Mais à présent, je vois les choses différemment. Parce que maintenant, je sais que dans certains domaines, mieux vaut que les choses ne fonctionnent pas si bien. Je vais vous raconter une petite histoire, pour illustrer ce principe ».

« Deux hommes meurent. Un Allemand et un Argentin. Les deux vont en enfer. Après quelques semaines, ils se rencontrent. L’Allemand gît dans un caniveau… plein de bleus et de contusions… des plaies et des brûlures sur tout le corps ».

« L’Argentin, lui, semble assez en forme. Quand l’Allemand le voit, il demande : ‘dis donc, comment se fait-il que tu sois encore aussi vif ? Nous, ils nous réveillent à cinq heures du matin et des diablotins commencent à nous battre à coups de barre de fer. Ensuite, à huit heures, ils nous envoient les vrais diables. Ils nous fouettent avec du fil de fer barbelé, puis c’est la gégène sur nos parties génitales. Ensuite, ils déversent des seaux de m*** sur nos têtes… et nous font subir le supplice de la baignoire tout l’après-midi. Est-ce que tu n’as pas le même traitement ?' »

« ‘Eh bien si,’ dit l’Argentin, ‘mais toi, tu es dans la section allemande de l’enfer. Nous, on est dans la section argentine. Les règles sont les mêmes, mais elles ne sont pas appliquées de la même manière’. »

« ‘Les diablotins sont censés se lever à cinq heures pour commencer à nous torturer. Mais ils ne se lèvent pas si tôt. Et ils ne viennent pas travailler très souvent — ils sont tout le temps en grève. Après quoi les grands diables devraient nous fouetter avec des fils de fer barbelés, mais il y a pénurie de métal… de sorte qu’ils n’ont pas de fouets’. »

« Ils nous électrocutent aussi parfois… mais il n’y a pas de courant. Ou alors ils ne trouvent plus les prises. Personne ne semble savoir pourquoi. Ils sont aussi censés nous verser des seaux de m*** sur la tête. Mais parfois ils n’ont plus de m***… et d’autres fois ils ne trouvent pas les seaux’. »

« ‘Quant à la baignoire… la plomberie ne fonctionne pas non plus. Alors ils nous ligotent et font semblant de nous noyer… en nous prévenant que quand ils auront réparé les fuites, nous n’apprécierons guère’. »

« ‘Pour l’instant, ce n’est pas si épouvantable’. »

Les Japonais se sont retrouvés confrontés à de gigantesques défis logistiques quand ils ont bombardé Pearl Harbor. Qui remercie les officiers qui les ont surmontés ? Imaginez l’exploit d’ingénierie monétaire accompli par Gideon Gono quand il a noyé l’économie zimbabwéenne sous 100 000 milliards de dollars et plus : pour autant, est-ce qu’on l’arrête dans la rue pour le féliciter ?

Concernant certaines choses, mieux vaut qu’elles soient faites mal ou pas du tout, en concluons-nous. Si on vous envoie vous faire pendre, vous espérez que le fabricant de corde a eu une mauvaise journée. Et si votre banquier central est décidé à se lancer dans un programme d’apocalypse financière… vous espérez qu’il est incompétent, pas juste idiot.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile