▪ Chaque matin, je commence ma journée par la lecture des journaux et un bon thé chaud (oui, je me fais encore livrer mes journaux !). Parfois, je secoue la tête devant une telle absurdité. Je ne m’énerve pas, ni ne montre aucun agacement — je ris, tout simplement.
Un jour, le président Obama veut réduire le déficit qu’il a lui-même créé en augmentant les impôts — en particulier pour « les riches ». Le lendemain, le G20 veut « sauver l’euro » en reversant l’argent des contribuables du monde entier aux pays européens moribonds — connus pour ne pas payer d’impôts !
Ces deux projets découlent de la même idéologie erronée : la clé de la prospérité est la redistribution des richesses ! Mais bien sûr ! Cela a si bien fonctionné à d’autres époques…
Puis on a la gaucherie de la Réserve fédérale. J’ai ri à gorge déployée lorsque j’ai lu dans le Wall Street Journal un article exposant les croyances de Charles Evans, membre du conseil d’administration de la Réserve fédérale. Il veut que la Fed maintienne les taux d’intérêt à court terme à zéro « jusqu’à ce que le taux du chômage retombe sous les 7,5% et tant que l’inflation n’atteint pas la barre des 3% ».
Oh là là ! Par où commencer ? Il me vient à l’esprit une citation de Shakespeare que répétait souvent feu mon grand-père — « Que ces mortels sont fous ! ». Evans présuppose trois choses, toutes trois ridicules. D’abord, que nous pouvons mesurer avec précision le taux de chômage, à la décimale près. Deuxièmement, que nous pouvons mesurer avec précision le taux d’inflation de la même manière. Et troisièmement, que les simples mortels qui siègent à la Réserve fédérale peuvent piloter l’économie entre ces deux faits imaginaires.
Si vous croyez en ce trio de présuppositions d’Evans, alors vous n’êtes pas loin de croire, comme Alice, à six choses impossibles avant le petit-déjeuner. Le fait est que de telles statistiques comportent un taux d’erreur important et suscitent d’innombrables débats sur la façon de les calculer correctement. Deux économistes sérieux et bien intentionnés peuvent raisonnablement parvenir à des chiffres très différents concernant le chômage et l’inflation. Si la Réserve fédérale était aussi puissante que le croient ses banquiers suffisants, des événements comme ceux de 2008 n’auraient pas pu être possibles.
▪ Enfin, le marché. Tous les jours, on trouve des choses amusantes à lire sur le marché dans les journaux. Des articles entiers remplis de mots qui ne veulent absolument rien dire sont pourtant traités avec le plus grand sérieux. Je lis dans le Wall Street Journal que « d’une certaine façon, prédire la direction du marché plusieurs mois à l’avance relève plus de l’art que de la science »… Et l’auteur de citer des stratégistes de Wall Street, leurs objectifs et leurs méthodes.
A mon avis, prédire le marché plusieurs mois à l’avance n’est en aucune façon une science. Et ce n’est un art que si on accepte une vision très étriquée de l’art comme étant totalement inutile. Je suis amusé lorsque je vois les entreprises de Wall Street payer ces stratégistes des sommes faramineuses en échange de leur avis. Nous pouvons nous moquer de nos ancêtres qui consultaient des oracles lisant l’avenir dans des ossements ou dans des feuilles de thé.
Mais la société moderne a des oracles tout aussi absurdes : ils ont simplement un autre déguisement.
Je garde un dossier « Morceaux d’anthologie », que j’ouvre généralement lors de notre réunion de Vancouver tous les étés. Ce dossier contient des éléments que je trouve dans de vrais médias et qui vous font croire que vous lisez The Onion (le grand site d’informations satiriques qui se moque des vanités humaines depuis 1988).
Grâce au Financial Times, j’ai une nouvelle entrée dans ce dossier : « analyse de l’actualité : des experts trouvent difficile d’établir des prévisions précises actuellement ».
J’ai lu cela à ma femme, ça l’a beaucoup faite rire. Le titre semble si manifestement absurde — comme si prédire le futur était facile. C’est toujours incertain, et les experts se trompent souvent. Nous aimons prétendre qu’aujourd’hui est plus incertain que d’habitude. Mais cette incertitude n’est pas une mauvaise chose. C’est ce qui crée les opportunités de marché.
Personne ne sait la direction que prendra le marché. Certains peuvent voir juste de temps à autre mais le chemin est parsemé d’embûches. L’histoire est jonchée d’oracles impuissants et de leurs disciples ruinés. Toutefois, il est amusant de deviner et il n’y a rien de mal à suivre son intuition et à faire des bêtises de temps en temps. Les opinions font partie de la vie, comme le dit Nassim Taleb.
Dans son livre Le Cygne Noir, Taleb donne un bon conseil sur les prévisionnistes et comment les traiter. « Evitez les grands sujets qui pourraient bouleverser votre avenir », écrit-il. « Laissez-vous tromper sur des sujets sans grande importance, pas sur les sujets essentiels ». Vous pouvez céder à votre passion pour la devinette et la prédiction mais ne pariez pas de l’argent dessus. Lorsqu’il s’agit d’engager de vrais capitaux, assurez-vous que vous avez quelque chose de plus solide que de simples conjectures et prédictions. Ne discutez pas non plus avec un prévisionniste. Comme le conseille Taleb : « ignorez-le ou essayez de glisser un rat dans sa chemise ».