La Chronique Agora

En parlant du dollar…

Par Léo Golovine (*)

Et voici que l’euro bat un nouveau record historique, à plus de 1,41 $. De même, la livre sterling s’installe solidement au-dessus des 2 $. Quant au franc suisse, à 0,85 $, il pourrait bientôt arriver à la parité — que le dollar canadien a déjà atteinte — pour la première fois depuis plus de 30 ans ! Mais dans les faits, ce ne sont pas tant toutes ces devises qui montent, mais plutôt le dollar américain qui chute. Mais qu’arrive-t-il au fameux billet vert ?

En fait, les investisseurs du monde entier se sont (enfin) rendus compte de ce que les économistes sérieux savent depuis des années. L’économie américaine n’est plus compétitive ; les ménages américains vivent à crédit et sont surendettés ; la balance commerciale est exécrable, et si le budget est parfois en équilibre (voire en excédent) à la différence de la France, c’est à un coût social important. Cependant, le pays "tient" toujours (même des pays puissants, comme l’Allemagne ou la France, du temps du mark et du franc, n’auraient pas tenu aussi longtemps dans une telle situation paradoxale), et ce grâce à plusieurs facteurs.

Primo, l’économie américaine profite du statut unique du dollar de l’après-guerre, qui est longtemps resté LA devise de référence pour le monde entier, et la seule qui pouvait se permettre l’absence d’une réelle couverture par des actifs tangibles. LE DOLLAR NE VAUT PAS UN DOLLAR. Mais se trouve surévalué d’au moins 2 à 2,5 fois (!). Depuis presque quarante ans (Nixon, 1971), le dollar n’est plus convertible en or. Les réserves de la Réserve fédérale en métaux précieux et en devises sont très insuffisantes pour faire face à un écroulement du dollar (à la différence de pays comme la Chine, le Japon, la Russie et les pays arabes, qui ont accumulé des centaines de milliards… de dollars, de réserves). Le dollar est donc condamné à chuter ; ce qui le retient, c’est aussi le fait que les pays en question n’ont aucun intérêt à ce que leurs réserves s’évaporent trop vite. Donc même si en sous-main, ils augmentent à toute vitesse la part "euro" de leurs réserves en devises, le discours général se veut rassurant. Les Etats-Unis peuvent ainsi continuer à se permettre de prélever de fait un impôt sur le monde entier, puisqu’en imprimant d’autres billets et en créant de la monnaie par le biais du crédit, ils abaissent la valeur du dollar et prennent de la richesse à tous les détenteurs de dollars dans le monde. Aucun autre pays ne peut utiliser la "planche à billets" aussi impunément ou quasi (ça mettra peut-être des années, mais la punition finira par arriver… et ça a déjà commencé).

Secundo, les investisseurs du monde entier, aveuglés par le statut de grande puissance qu’est encore le pays de George Bush, mettent leur argent en actions et obligations américaines, censées être et plus dynamiques, et plus sécurisées. Les affaires Enron ou Worldcom, et plus récemment celle du subprime, ont montré le caractère illusoire de cette confiance aveugle. Rien n’y fait, les "zinzins" de tous les pays du monde continuent à investir une part très appréciable de leurs avoirs en titres américains (ce qui permet à d’autres de s’enrichir confortablement, en jouant à la baisse — donc, comme le disait Laetitia Bonaparte avec son accent corse, "pourvou qué ça doure" !).

Tertio, les Etats-Unis exercent une dictature de fait sur de nombreux aspects de la vie mondiale moderne, qu’il s’agisse de l’organisation de l’Internet, du fonctionnement de plusieurs organismes internationaux, de leur "culture" (ou de ce qui en tient lieu)… ou encore la dictature linguistique, puisque ce pays économise plusieurs efforts et beaucoup d’argent grâce au fait que le monde entier apprend l’anglais, tandis que rares sont les Américains qui parlent les langues s’ils ne sont pas d’origine étrangère ; la littérature et la presse scientifiques et spécialisées s’éditent en anglais ce qui permet un meilleur accès à l’information pour les Américains, etc.

Les Etats-Unis restent ainsi un pays riche ; riche de son élite entreprenante (qui détient des moyens financiers très conséquents et n’a pas dit son dernier mot) ; riche de ses modèles "culturels" et comportementaux exportés au monde entier ; riche de son potentiel scientifique très important (qui résulte d’une politique intelligente, tendant à attirer des chercheurs du monde entier). Mais c’est un pays malade, et l’actuelle chute du dollar n’est que la suite de la désillusion qui aujourd’hui saisit le monde. Comme, en même temps, le pays est dirigé par un président incapable et un groupe de conseillers douteux et sans talent, rien ne freine cette chute (qui, du reste, n’est pas si désavantageuse que cela au pays).

En même temps, l’euro jouit d’un prestige de plus en plus grand. Il est bien loin, ce juillet 2001 où un plus bas historique avait été touché à 0,84 $. L’économie européenne va bien mieux ; la part de l’euro dans les paiements internationaux est devenue proche de celle du dollar, et l’euro est aussi en passe de devenir la première monnaie de réserve au monde. Bref, en seulement six ans, tout a changé ! Si la livre et le franc suisse rejoignaient aujourd’hui la zone euro, la suprématie du dollar ne serait plus qu’une donnée de l’histoire.

Encore faut-il se demander si cela est forcément bon pour l’économie européenne, et, en ce qui nous concerne, pour les marchés boursiers français. Les implications pour l’économie en général sont multiples et contradictoires, et nous n’allons pas en parler ici, l’espace manquant. Concentrons-nous sur la Bourse. Il est évident que l’effet des changes influe différemment sur les secteurs économiques et sur les sociétés données, et cela oblige donc à regarder de près les aspects financiers (en quelle devise sont libellés tels ou tels contrats ?) et marketing (à combien revient désormais tel produit américain et tel produit français ? Comment cela va-t-il influer sur les parts de marché sur tel marché donné ?). En outre, les difficultés de l’économie américaine, compte tenu de son poids et de l’interdépendance de l’économie mondiale, ne peuvent qu’influer sur les marchés du monde entier. Partant de là, peu importe dans l’absolu le taux de change, seule compte la situation économique véritable, dont la chute du dollar n’est qu’une des conséquences. Or, cette situation est fort mauvaise, et la crise dite du subprime n’est pas ce qu’il y a de plus grave. D’une manière générale, le système économique américain, qui a trop longtemps joui du privilège financier lié à la magie du dollar, est trop faible et inadapté au monde moderne, devenu plus complexe.

Dans cette situation, il convient aux investisseurs français d’accroître leur vigilance, les mois et années à venir pouvant être plus volatiles que par le passé. Il faut aussi ouvrir les yeux, des opportunités intéressantes vont se présenter lors de cette période dynamique qui s’ouvre. Quant aux Américains, ils peuvent utilement méditer le fameux message In God we trust qui se trouve sur leurs billets : c’est, en effet, la seule espérance qui leur reste.

Meilleures salutations,

Léo Golovine
Pour la Chronique Agora

(*) Investisseur de talent, Léo Golovine est trader depuis 14 ans. Au fil des années, il a élaboré une méthode fondée sur une approche méthodique et rigoureuse de l’analyse technique. Les résultats sont là, puisque son système de sélection surperforme largement les marchés depuis 2002 — grâce notamment à une approche inédite de suivi de tendance et de gestion des positions.

NDLR : Avis à tous les amateurs de profits à répétition! Le nouveau service de Léo sera officiellement inauguré cette semaine : rendez-vous vendredi pour tous les détails…

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