▪ Au temps des premiers épisodes de la crise grecque, nos élites bruxelloises nous avaient juré que jamais au grand jamais l’épargne d’un citoyen de l’Eurozone ne serait menacée en cas de faillite d’une banque.
Pourtant, ça vient d’arriver.
Peu importe que l’on essaye de nous vendre le caractère hypertrophié (voire immoral) du système bancaire chypriote : que dire dans ce cas du Luxembourg ?
Alors est-ce le fait que les banques de Chypre sont exsangues ? Dans ce cas, celles de l’Irlande sont dans d’aussi sales draps depuis 2008 — et ce pays continue de siphonner des dizaines de milliards de recettes fiscales chez ses principaux partenaires.
Est-ce qu’il existe des paradis fiscaux plus « moraux » que d’autres ?
La BCE juge pourtant que l’Irlande a droit à un peu de mansuétude : la City n’est en effet qu’à quelques millièmes de seconde d’une transaction informatisée avec des banques basées à Dublin… un accident est si vite arrivé !
▪ Promis, juré !
Nos élites du FMI, en décembre 2011 nous avaient promis 1,1% de croissance en Europe en 2012. Quant à l’OCDE, elle y allait d’un majestueux +2% — prévision maintenue jusqu’en mai 2012 avant une brusque révision à la baisse à +0,3% début novembre.
Il y tout juste un an, le FMI et l’OCDE pronostiquaient encore +1,5% et +1,6% de croissance dans l’Eurozone pour 2013. Promis, juré : le redressement des PIB, c’était pour cette année.
Bercy, l’Elysée et l’OCDE nous avaient également promis +0,5% à 0,6% en France cette année… maintenant, c’est +0,1%… Mais là aussi, promis juré, ça ne dégénèrera pas en récession !
Mario Draghi a juré de tout faire pour sauver l’euro ; c’est ce qui lui a permis précisément de n’avoir plus rien à faire depuis 26 juillet dernier… jusqu’à l’affaire chypriote.
Super-Mario et tous les autres dirigeants européens ont fait comme s’ils ignoraient que la décote sur la dette et les banques grecques 18 mois auparavant ruinait de facto les banques de Nicosie, lesquelles avaient copieusement soutenu Athènes via l’afflux des capitaux russes en quête de rendements élevés.
Mais promis juré, quand Chypre a rejoint l’Eurozone en janvier 2008, personne ne savait que le système bancaire local représentait quatre fois le PIB de l’île… ni que les Russes y investissaient des sommes soustraites au fisc moscovite… ni que l’OTAN y possédait une importante base militaire… ni que le pays était le dernier de la planète — avec les deux Corée — à être scindé en deux, la partie nord-est de Chypre restant toujours sous administration turque.
▪ 1987/2013, similitudes et dissemblances
Maintenant, nous avons bien saisi la véritable dimension de la formule « nous ferons tout pour sauver l’euro ». Oui, il s’agit bien de sauver la monnaie unique, pas l’Europe sociale.
Il ne s’agit pas non plus de préserver les citoyens des conséquences des erreurs de leurs élites, ni de leur épargner le chômage de masse, ni les dommages collatéraux provoqués par la guerre des devises — honteusement rebaptisée « tentative de relance ambitieuse, originale et unilatérale de l’économie japonaise par la surabondance monétaire ».
Comme j’ai eu l’opportunité de le rappeler sur BFM vendredi, nous observons aujourd’hui plus d’une concordance entre la situation du début de l’automne 1987 avec celle que nous connaissons depuis l’automne 2012 :
1) Grand écart stratégique entre une Fed devenue hyper laxiste avec l’entrée en fonction d’Alan Greenspan et une BCE ultra-orthodoxe, qui marche aujourd’hui dans les traces de la Bundesbank de Hans Tietmeyer.
2) Des indices boursiers au plus haut historique aux Etats-Unis mais aussi en Allemagne.
3) Des anticipations de bénéfices irréalistes malgré des signaux économiques alarmants.
4) Un discours totalement univoque affirmant qu’il n’y a pas d’alternative aux actions. En 1987 aussi, il apparaissait totalement stupide d’acheter des emprunts d’Etat, lesquels offraient un retour sur investissement ridicule par rapport à celui des entreprises cotées.
Mais il existe en 2013 tout autant de discordances radicales qui rendent la comparaison entre les deux époques non pertinente :
1) La Fed et la Bank of Japan (BoJ) se sont lancées dans des politiques monétaires non conventionnelles et pour tout dire, totalement expérimentales. L’excès de dette est désormais combattu par la création de deux fois plus de dette (+1 200 milliards de dollars au Japon sur 24 mois).
2) en 1987 et en 2001 et 2007, les épargnants se ruaient par millions sur les actions. Aujourd’hui, les marchés sont tirés à la hausse par un acheteur unique (Fed, BoJ).
3) En 1987, il y avait de la croissance en Europe et de vraies raisons pour les gérants et les investisseurs de se montrer optimistes. Aujourd’hui, elle ralentit même dans les émergents.
4) Il y a 25 ans, le partage de la richesse entre les salariés et les actionnaires était à peu près équitable. Aujourd’hui, les entreprises ont modifié le ratio de 50/50 vers 80/20 (en faveur des actionnaires), et la première variable d’ajustement est l’emploi. En 1987, on embauchait à tour de bras.
En 1987, quand un mauvais chiffre tombait aux Etats-Unis, c’était Wall Street qui accusait le coup. Si dans le même temps, les nouvelles étaient favorables en France, le CAC 40 montait.
▪ L’emploi américain fait à peine plier les marchés
Aujourd’hui c’est exactement l’inverse, comme le démontre la séance de vendredi. De mauvais chiffres de l’emploi américain ont déclenché une spirale baissière sur les places européennes (-1,4% en moyenne et -1,7% à Paris).
En revanche, les indices américains ont reculé sans intensité. Le Dow Jones affichait -0,28% et le S&P 500 ne cédait pas plus de 0,45%. Le Dow Transport s’est même offert le luxe d’une progression de 0,45%. Les indices US ne cèdent pas plus de 1% en moyenne sur l’ensemble de la semaine contre -1,8% pour le CAC 40.
Le marché du travail aux Etats-Unis a connu un coup de blues en mars. Mais une fois de plus, cette faiblesse inattendue n’a fait que renforcer la conviction que la Fed poursuivra son quantitative easing aussi longtemps que l’économie américaine ne connaîtra pas un redressement significatif. Avec 88 000 emplois créés en mars contre 236 000 en février, c’est une preuve que la croissance reste très vulnérable à un ralentissement des dépenses de l’Etat.
La « bonne nouvelle », c’est le taux de chômage : il recule de 7,7% vers 7,6% (au plus bas depuis décembre 2008) — alors que le taux de la population active disposant d’un emploi (63,3%) est le plus faible jamais observé depuis 34 ans (depuis mai 1979).
Il y a moins de chômeurs mais davantage de personnes sans emploi… Un paradoxe qui perdure mais qui ne trouble guère les investisseurs : c’est simplement parce que trois à cinq millions de personnes ont soit renoncé à chercher du travail, soit ne sont plus éligibles à la moindre indemnité.
Wall Street nous jure qu’à partir du moment où il y aurait du travail, ces « disparus » de la statistique officielle reviendraient s’inscrire dans les agences pour l’emploi, ce qui ferait grimper le taux de chômage !
Pourvu que la croissance demeure suffisamment basse et que les entreprises continuent de tailler dans leurs effectifs afin que les exclus du système (de plus en plus nombreux) restent sagement confinés aux tréfonds de leur néant !
Combien de temps un système qui raisonne de la sorte peut-il espérer survivre ? Combien de temps les créanciers des Etats-Unis vont-ils préférer détenir des T-Bonds plutôt que de l’or, de l’argent ou du platine ?
Très longtemps, pense Wall Street… mais il ne faut jurer de rien !