La Chronique Agora

Pourquoi les élections en Chine pourraient tout changer pour les bons du Trésor US

Depuis Deng Xiaoping, la Chine a renoué avec ses fondamentaux plurimillénaires et confucéens : il s’agit d’un mélange de pragmatisme, de savoir-vivre politique, de vision à long terme et de préservation de l’existant.

C’est ainsi que cohabite, dynastie après dynastie, un mélange de tentations réformistes et de repli conservateur, de guerres de conquête et de consolidation du royaume ou de l’Empire… La constante historique qui survit à la succession des cycles (et même à des bouleversements culturels comme la période Mao), c’est le confucianisme.

Cette doctrine qui date du sixième siècle avant notre ère admet la pluralité des opinions, promeut l’égalité des chances quelle que soit son origine sociale ou ethnique. Ce qui compte, c’est la pratique de la sagesse et de la vertu, et pour ceux qui exercent un pouvoir (à quelque niveau que ce soit), la parfaite maîtrise des principes de l’administration d’un royaume. Cela commence par la probité à l’échelon personnel et la loyauté envers le Prince — vu comme symbole de l’Etat plutôt que comme une icône de chair et d’os.

La Chine pratique toujours cette forme d’élitisme et de sélection par le confucianisme. Peu importe que le postulant à une haute fonction soit riche ou pauvre à l’origine, civil ou militaire, c’est sa compétence et sa bonne pratique de la « vertu » qui doivent lui conférer une légitimité pour la fonction qu’il convoite.

Voilà ce qui se passerait dans un monde idéal — mais la Chine vient d’être secouée cet automne par de nouveaux scandales de corruption, de prébendes… Heureusement, la peine de mort s’applique encore aux traîtres et aux escrocs : le Parti dispose bel et bien du pouvoir de faire le ménage par le vide… et il ne s’en prive pas.

Pour ceux qui ne relèvent pas du peloton d’exécution, il existe une autre façon de les enterrer publiquement et pour longtemps : il s’agit de la disgrâce — et peu s’en remettent.

▪ Comment parvient-on au sommet d’une pyramide de 1 350 millions d’individus ?
Comme chacun sait, ce n’est pas par le biais du vote démocratique à l’occidentale : nous aimons beaucoup le concept de HEC, sorte de Haute Ecole Chinoise, où se côtoient depuis deux décennies hommes d’affaires et apparatchiks de la vieille école.

Outre Confucius et Sun Tzu (l’art de la guerre), les futurs très hauts dirigeants — qui administrent déjà des régions ou des provinces — intègrent désormais une culture économique fortement teintée de Von Hayek, Von Mises et de Milton Friedman. Cela histoire de ne rien ignorer des références culturelles anglo-saxonnes et du courant de pensée dominant aux Etats-Unis, inspiré des travaux de l’école de Chicago, laquelle règne sans partage de la Fed à Wall Street en passant par la Maison Blanche depuis le début des années 80.

Toute la difficulté consiste pour les hauts fonctionnaires chinois — les mandarins du 21ème siècle — à trouver des justifications socialistes à des pratiques néo-libérales que ne renierait pas le Tea Party.

Pékin n’ignore rien du mode de fonctionnement de son principal partenaire/rival économique planétaire. Il en découle une certaine forme de mimétisme sociologique qui va du creusement abyssal des inégalités à la sous-valorisation chronique et délibérée de la devise à des fins de conquête commerciale.

Sauf que la lecture confucianiste de l’état de la société en 2012 débouche sur le sentiment très fort d’un danger de déstabilisation imminente du pays (le pire des périls… et qui a déjà sonné le glas de plusieurs dynasties) : certains ont beaucoup trop tandis que beaucoup ont encore trop peu.

▪ Montée des périls en Chine
Le constat est sans appel : la richesse ne s’est pas répandue à tous les étages de la société et la nouvelle aisance des classes moyennes s’avère en réalité très fragile. Elle ne résisterait pas à un choc tel qu’une crise immobilière à l’espagnole. Cela semble pourtant constituer aujourd’hui l’un des dangers les plus imminents, à tel point que l’Etat chinois envisage de se transformer en premier propriétaire foncier de la planète Terre afin d’éviter l’effondrement du marché.

Le péril du chômage pourrait être évité par une stratégie volontariste à la japonaise, à base de grands travaux et de campagnes de rénovation du patrimoine. Toutefois, ce keynésianisme des plus classiques se heurte désormais à un obstacle financier de première importance, car Pékin va devoir financer simultanément un système bancaire perclus de créances douteuses.

Le montant des pertes encourues par les établissements de crédit sur le financement de l’industrie, des PME et de l’immobilier reste un des secrets d’Etat les mieux gardés. Pékin n’a guère d’autre choix que de renflouer ce qui doit l’être sans faire de vagues… car tout résulte de choix politiques pleinement assumés, d’abord avant les Jeux olympiques (il s’agissait d’impressionner le monde), puis lors de la crise de l’automne 2008 (ordre a été donné aux banques d’ouvrir en grand les vannes du crédit).

C’est donc sur un fond de montée des périls que s’opère la transition décennale à la tête du pays. Alors que tous les regards sont tournés vers les Etats-Unis au moment où nous écrivons ces lignes, c’est peut-être en Chine que sont en train d’être prises les décisions d’orientations économiques et politiques les plus lourdes de conséquences pour l’économie mondiale.

▪ Pourquoi les Etats-Unis seraient les premiers visés
En résumé, il n’est plus possible de renflouer simultanément les banques locales et soutenir artificiellement l’activité économique sans liquider une partie du stock de T-Bonds américains détenus par le Trésor chinois.

En imaginant que Ben Bernanke doive rendre son badge de patron de la Fed (ou qu’il soit pris par une soudaine envie d’écrire ses mémoires), son successeur risque d’avoir à gérer l’ingérable, c’est-à-dire la défection progressive de la Chine. Mis à part le recours massif à la planche à billets, nous ne voyons guère par quel moyen les Etats-Unis pourraient faire face à ses engagements en 2013.

Oubliez tout de suite des solutions à l’européenne de type cure d’austérité, rigueur budgétaire, matraquage fiscal, hausse de la TVA. Le pays basculerait en quelques mois dans la récession ; le nombre de sans-emplois et de travailleurs pauvres exploserait — ne parlons pas du taux de chômage officiel qui est complètement trafiqué.

Quoi que fasse — ou plutôt ne fasse pas — le Congrès américain, nous ne voyons guère comment les Etats-Unis échapperont à ce scénario. S’ils y échappent, c’est parce que le plafond de la dette est relevé… et dans ce cas, c’est le AAA du pays qui risque de sauter. Si cela entraîne une hausse du coût de refinancement de la dette, ce sera le scénario catastrophe !

Un scénario à l’espagnole… ou plutôt à la grecque car le taux d’endettement réel des Etats-Unis est bien plus proche des 180% redoutés par Athènes que des 80% anticipés par Madrid en 2013.

▪ Comment les marchés réagissent à l’élection présidentielle américaine
Wall Street et la Fed ont fait tout leur possible pour que Barack Obama — crédité de 75% de la hausse du S&P depuis janvier 2009 — effectue un second mandat. Non que les indices américains puissent doubler la mise dans les quatre ans à venir… mais cela leur évite de devoir gérer une incertitude économique durant la période de transition (d’une durée de 10 semaines environ) et surtout d’avoir à spéculer sur la stratégie du successeur de Ben Bernanke.

Ce que nous avons retenu de cette ultime séance du l’ère Obama première mouture… c’est que Wall Street a clôturé exactement au même niveau qu’à 17h41 (+1% à 13 245 points pour le Dow Jones, +0,75% pour le S&P).

Pourquoi une telle précision d’horloger suisse ?

Parce que les trois indices se sont mis à grimper en flèche vers 17h36 — c’est-à-dire juste après la clôture des places de la Zone euro. Neuf minutes plus tard, cependant, tout était terminé alors que le Nasdaq venait de passer de +0,15% à +0,75% et le S&P de +0,3% à +1,1% (à 17h45). Le reste de la séance s’est soldé par un lent dégonflement des scores, lequel a duré jusqu’au coup de cloche final.

Il semblerait que le rally de 17h36 se soit enclenché avec la circulation des premières rumeurs de victoire de Barack Obama sur les sites de paris en ligne, dont les prédictions sont jugées assez fiables… mais au milieu de la nuit, personne ne semblait plus sûr de rien, et le Dow Jones a reperdu le tiers de ses gains en after hours.

Au risque de nous répéter, c’est peut-être le vote du Parlement grec qui créera l’évènement ce mercredi. Que le plan de « super-austérité » exigé par la Troïka soit voté ou non, une nouvelle situation de crise pourrait nous exploser à la figure avant la date fatidique du 16 novembre, présentée par Athènes comme l’ultime limite avant la faillite.

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