La Chronique Agora

El Petro, la cryptomonnaie centralisée d’un Etat désespéré

petro

Le Venezuela veut émettre une cryptodevise adossée à ses réserves de pétrole qu’il placera auprès d’investisseurs étrangers le 15 février prochain.

Le Venezuela – exemple de réussite économique cher à Jean-Luc Mélenchon – est en récession de 18,6% de son PIB sur l’année 2016. Le pays affiche 741% d’inflation et un déficit public de 20% (1). Mais il sera bientôt à la pointe de la technologie.

El petro : la cryptomonnaie qui sortira le Venezuela de l’impasse ?

Pour faire face à une crise généralisée, le successeur d’Hugo Chavez, Nicolas Maduro, entend voguer sur la tendance des cryptomonnaies. En effet, il veut proposer une devise virtuelle nationale, El Petro.

La solution miracle pour « lutter contre la guerre économique orchestrée par les Etats-Unis » et qui « va permettre d’avancer vers de nouvelles formes de financement international pour le développement économique et social du pays. » (2)

Le bitcoin, conçu et pensé initialement comme un outil échappant au contrôle des Etats, inspire décidément beaucoup ces derniers.

Annoncé le 3 décembre 2017 à la télévision vénézuélienne, le projet du petro se dessine.

Voici ce que vous devez savoir.


Source : Shutterstock.com

Une cryptomonnaie nationale avec une valeur intrinsèque ?

Il est souvent reproché au bitcoin de n’être adossé à rien du tout, d’être du vent… Ce qui revient à valoriser à zéro la technologie de la blockchain sur laquelle il repose, son réseau ou son aspect totalement décentralisé que bien peu d’altcoins partagent.
[NDLR  : Comment profiter de la bitcoin mania sans acheter une seule de ces monnaies ? Notre spécialiste des nouvelles technologies vous explique sa méthode très simple à suivre ici.]

Le petro, lui, est censé s’appuyer sur du tangible. Notamment cinq milliards de barils de pétrole brut au total et dans une moindre mesure, des gisements d’or, de diamants du pays et d’autres métaux précieux. Si une monnaie fiduciaire quelconque comme le dollar ou l’euro est garantie par les contribuables, le petro, lui, est garanti par les ressources naturelles du pays qui sont de fait nationalisées.

Dans la théorie, le gouvernement annonce que chaque petro sera adossé à un baril de pétrole. A l’heure où nous écrivons, le prix du baril est d’environ 66 $. Le coût de production total d’un baril vénézuélien était d’environ 27 $ (chiffre mars 2016).

Son lancement prendra la forme d’une Initial Coin Offering (ICO) avec une émission prévue de 100 millions d’unités.

Lors de la phase de prévente (pre-sale) de l’ICO, à partir du 15 février, les investisseurs institutionnels pourront recevoir jusqu’à 38 millions de petros. Un bonus sera alloué aux investisseurs de la première heure. Si dans la pratique, proposer des réductions aux participants aux ICO est courant, le rabais va ici jusqu’à 60% par jetons petro. C’est déjà mauvais signe…

Que ne ferait pas un Etat en désespoir d’argent ?

Les richesses naturelles nationalisées d’abord vendues aux étrangers

Dans ce premier temps, l’acquisition de jetons petro ne pourra pas se réaliser avec des bolivars – pourtant la monnaie nationale du Venezuela – mais avec des monnaies fiduciaires comme le dollar, l’euro, yen… et semble-t-il avec d’autres cryptomonnaies.

Dans un second temps, la phase de vente publique (public sale) commencera et 44 millions de petros pourront alors être achetés par le grand public. Cette fois-ci, le bolivar sera accepté.

Pour mémoire, la monnaie nationale a perdu 3 400% de sa valeur face au dollar dans le courant de l’année 2017…

Autre détail, le petro est miné à l’avance (pre-mined). L’émission de nouveaux jetons sera donc à la parfaite discrétion du gouvernement vénézuélien.

Enfin, l’on est en droit de se demander ce qu’il adviendra des 18 millions de petros sur les 100 millions que le gouvernement entend émettre, puisque pendant l’ICO, 82 millions pourront être acquis au total.

Une escroquerie sous la forme d’une cryptomonnaie dévoyée ?

Sans surprise, le petro reçoit de vives critiques. A commencer par l’opposition au gouvernement PSUV de Maduro.

La voix du député Jorge Millán s’est élevée contre ce qu’il qualifie de « nouvel acte de fraude » :

« Nous voici face à un nouveau type d’escroquerie déguisé en solution à la crise financière. Ce gouvernement incompétent veut compenser le manque de production pétrolière avec ces barils virtuels ».

« Ce n’est pas une cryptomonnaie, c’est une vente à terme de pétrole vénézuélien. Elle est faite sur-mesure pour la corruption. »

Le petro est jugé illégal par le parlement. Mais son poids est bien faible face à un exécutif qui n’en fait qu’à sa tête.

Le président est en fin de mandat, mais il tentera la réélection d’ici quelques mois.

Le bolivar à force d’hyperinflation n’a plus la confiance de personne. Cette défiance n’est pas liée au bolivar en lui-même, mais à des gouvernements en pleine déconfiture et incapables de résoudre une crise financière, politique, sociale, humanitaire.

Pourquoi donc le petro aurait-il davantage la confiance du public ? Parce qu’il est prétendument adossé à des barils de pétrole dont le coût d’extraction est peu compétitif et opaque ?

(1) TradingEconomics, chiffre 2015.

(2) Nicolas Maduro veut sauver son pays grâce à une cryptomonnaie, article du Figaro, 4 décembre 2017.

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