La Chronique Agora

L’Egypte fait-elle vraiment bouger le prix du pétrole ?

▪ Ces derniers temps, le prix du pétrole augmente à cause des "événements en Egypte", comme on dit. Certes. En dépit du fait qu’elle n’a qu’une production modeste et des exportations pétrolières nettes atteignant le zéro, l’Egypte possède le Canal de Suez. Par conséquent, des événements perturbateurs en Egypte peuvent faire évoluer le prix du pétrole — au moins à court terme, pendant que les opérateurs pétroliers re-routent leurs gros tankers.

Voici d’ailleurs le graphique récent des prix du pétrole, montrant une augmentation de 8 $ environ le baril (via le benchmark du Brent) ces dernières semaines :

Qu’est-ce que j’entends au sujet d’un "coup" en Egypte le 23 juin ?

Lorsqu’on ajuste le cours du pétrole à l’actualité, il n’est pas difficile de déterminer qu’il s’est passé quelque chose quelque part. Aucun doute, par exemple, que les Saoudiens sont ravis de voir leurs exportations pétrolières quotidiennes rapporter à présent 80 millions de dollars dans les comptes bancaires de la famille royale — avec lesquels payer des avantages princiers.

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▪ L’Egypte et le pétrole
Comme vous le savez sans doute, mi-juin, environ 14 millions d’Egyptiens en colère sont descendus dans les rues. Subissant une pauvreté et une désespérance au-delà de la capacité de compréhension de la plupart des étrangers — il faut aller en Egypte pour voir à quel point les choses vont mal — les masses affamées (littéralement) et sans emploi ont protesté contre le gouvernement, vieux d’un an, géré par les idéologues des Frères musulmans.

Suite au refus évident d’un gouvernement "démocratiquement élu" (il y aurait des choses à dire sur le sujet…), l’armée égyptienne a répondu en destituant les fascistes religieux qui étaient et sont, selon la plupart des critères, complètement incompétents pour gouverner. Mais "ne jugez point de peur d’être jugé", je suppose.

C’est donc là ce qui lie le pétrole et de l’Egypte ces derniers temps, selon certains. La hausse des prix du pétrole est entièrement due à l’Egypte — toujours selon certains.

▪ Le pétrole à long terme
Cependant, prenons un peu de recul et regardons comment les événements égyptiens s’intègrent dans le paysage pétrolier de long terme. Voici par exemple le cours du pétrole depuis l’an 2000 :

Où est ce "coup" égyptien, déjà ?

Comme vous pouvez le constater, les tendances de long terme du prix du pétrole suivent leur propre chemin. La hausse courte et serrée des prix en 2001 était — comme vous le savez — la réaction des marchés aux attentats new-yorkais du 11 septembre de cette même année.

Quelques années plus tard, le pic de 2007 et 2008 était dû à l’effondrement financier mondial. Le krach des cours en 2008 était dû… eh bien, au Krach de 2008.

Les prix du pétrole se sont remis en 2009-2011. Ce n’était pas suite à une reprise économique significative en Occident, vous pouvez en être sûr. Ni l’Amérique du Nord ni l’Europe occidentale n’ont été les "locomotives économiques" mondiales, pour utiliser un terme remontant aux antiques années 1980.

Non, la hausse des prix du pétrole en 2009-2011 a été générée par la croissance de la demande énergétique dans les marchés émergents — la Chine bien entendu, mais aussi l’Inde et une myriade d’autres économies plus petites. En fait, la demande de pétrole occidentale a chuté ces dernières années dans toutes les économies — américaine, canadienne et européenne. Parallèlement, les marchés émergents, à la croissance rapide, ont fait grimper le prix des barils.

Le plateau des prix du pétrole entre 2011 et aujourd’hui — ce canal de 95 $ – 115 $ pour le Brent — était dû à un ensemble de facteurs : une détresse économique extrême au Japon (effondrement de Fukushima) et en Europe (effondrement de la Zone euro), plus une récession durable en Amérique du Nord.

Ajoutez à cela le ralentissement en cours de la croissance économique en Chine. A quoi il faut bien entendu additionner l’augmentation de l’offre pétrolière provenant du fractionnement aux Etats-Unis et au Canada… Et voilà l’explication du manque de mouvements significatifs dans les cours du pétrole ces deux dernières années, dans un sens ou dans l’autre.

▪ L’Egypte n’est que du bruit de fond
Revenons à la première idée exposée dans ces lignes. Comment les événements égyptiens s’intègrent-ils dans le paysage pétrolier ?

Les problèmes égyptiens sont importants pour les gens prisonniers des questions quotidiennes. On peut dire que les Egyptiens — dans les rues comme dans leur quartier général — ont fait ce qu’ils devaient faire pour éliminer un gouvernement au bord du règne totalitaire, tout en faisant basculer l’antique nation dans le chaos économique voire la famine de masse (notez qu’après la reprise, les Russes et les Chinois ont immédiatement offert une aide alimentaire à l’Egypte, tandis que les Etats-Unis promettaient quatre avions de chasse F-16 aux généraux).

Si l’on regarde l’ensemble du tableau, cependant, les récents événements égyptiens ne sont que du bruit de fond par rapport aux tendances énergétiques de long terme.

▪ Le scénario des "guerres du pétrole"
Bien entendu, ces mêmes événements récents en Egypte pouvaient présager un choc des cultures dans tout le Moyen-Orient, avec un effet plus profond sur les futurs prix de l’énergie. C’est une autre histoire, et elle fait partie d’un scénario sur "les guerres du pétrole" dont nous avons parlé dans ces lignes ces dernières années.

Ce n’est pas que le pétrole égyptien soit si important pour le monde. Le pétrole de l’Egypte — ce que le pays produit et ce qu’il importe — n’est pas un gros chiffre pour les marchés mondiaux. Vous pouvez voir ci-dessous à quel point les exportations vers les marchés mondiaux (en vert) déclinent depuis des années :

Faisons la version courte de ces "guerres du pétrole" : des troubles religieux se produisant à peu près n’importe où au Moyen-Orient peuvent potentiellement perturber les flux pétroliers et faire considérablement grimper les prix.

Lorsque des pays sombrent dans l’anarchie au Moyen-Orient, les volumes pétroliers se trouvent perturbés quasiment par définition. Cela pourrait concerner quelques centaines de milliers de barils par jour (comme avec la guerre civile au Liban en 2011)… ou jusqu’à 10 millions et plus de barils par jour (imaginez une fermeture du Détroit d’Ormuz). Cela peut suffire à peser sur les cours.

La politique égyptienne pourrait donc affecter d’autres nations dans la région. Mon conseil serait de rester loin d’investissements trop exposés aux troubles du Moyen-Orient. Concentrez-vous plutôt sur des producteurs éloignés du Moyen-Orient, ainsi que sur les foreurs et les entreprises de service qui aident à creuser les puits.
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