La Chronique Agora

Effet Cantillon ou cotillons ?

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Pour les plus gros acteurs du marché, les changements de politique par les banques centrales n’arrêtent pas le flot de liquidité… ni celui de champagne.

En dépit de la stratégie poursuivie officiellement par les banques centrales depuis mars 2022 – et la Fed en particulier – et qui consiste à « assécher la liquidité » après avoir ouvert les vannes en grand depuis avril 2020, les « conditions financières » demeurent étrangement favorables aux Etats-Unis. Comme si les conditions restrictives mises en place n’avaient aucun effet sur la spéculation et l’appétit pour les actifs financiers.

Ceci est dû au maintien du robinet de la Fed qui rend les liquidités abondantes pour le sommet de la pyramide financière, par le biais d’injections quotidiennes.

La Fed entretient ainsi en toute connaissance de cause un « effet Cantillon ».

Premiers servis

Ce phénomène a été baptisé ainsi en hommage à un économiste éponyme d’origine irlandaise (né en 1680), mais ayant vécu en France durant la majeure partie de sa vie : Richard Cantillon.

Ce proche collaborateur de John Law (dont le nom reste associé à un des plus grands scandales financiers de l’histoire de notre pays) reste manifestement trop peu étudié par nos banquiers centraux et nos élites politiques. Il a cependant démontré « qu’une injection de monnaie dans l’économie exerce un effet progressif et différencié sur les prix, au fur et à mesure que la monnaie se propage par les échanges à partir du point où elle a été injectée ».

De façon plus triviale, il signifie que l’ajout de nouvelles unités de monnaie dans un système monétaire bénéficie surtout à ceux sont qui sont proches de la source d’émission monétaire et captent les nouvelles unités de monnaie en premier. Ceux-ci en retiennent en effet une grande partie avant de laisser une fraction – parfois marginale, pour les plus avides – « ruisseler » vers les échelons inférieurs.

Aujourd’hui, les banques centrales créent de l’argent fictif et leurs complices/contreparties, les « primary dealers » (les établissements financiers qui interagissent directement avec les banques centrales) le distribuent à leur tour à leurs partenaires – les intermédiaires financiers –, afin qu’ils puissent utiliser cette manne céleste pour acheter des obligations d’Etats. Ce processus permettant de financer les déficits.

C’est le principe du quantitative easing ou QE : de l’argent magique afflue vers le marché des obligations et pousse artificiellement les taux d’intérêts vers le bas, ce qui spolie les épargnants dont les capitaux mis de côté pour la retraite sont de moins en moins bien rémunérés, tandis que les pressions inflationnistes augmentent.

Et ce, malgré le risque grandissant généré par une course effrénée vers le surendettement : le rationnement des liquidités et la hausse des taux permettent justement de calmer le jeu et de contraindre les Etats et les entreprises à adopter une gestion plus saine.

Actif limités et monnaie infinie

Mais les banques centrales font depuis 14 ans (et la « Grande Crise Financière ») tout l’inverse, en encourageant l’impéritie des gouvernements et les bulles d’actifs financiers.

Contrairement aux épargnants dont les économies rapportent de moins en moins, ce qui compromet leur avenir, les plus riches qui ont un accès illimité au crédit – comprenez la création monétaire – peuvent emprunter davantage à des taux plus bas, ce qui leur permet de continuer à acheter toujours plus d’actifs financiers (actions, obligations, pierre papier, matières premières sur les marchés à terme) avec de l’argent quasi gratuit.

Les actifs comme les biens immobiliers et les valeurs mobilières existant en quantité limitée, l’afflux d’argent ne peut que les faire grimper inexorablement.

Pour ceux qui n’ont pas un accès direct au crédit gratuit (chaque prêteur prélevant sa dime), tous les actifs « réels » qu’ils souhaiteraient – par nécessité – acheter voient leur prix s’envoler… bien plus vite que leurs revenus et la valeur de leur épargne.

Autrement dit, le peu d’argent qu’ils ont en stock et qu’ils utilisent perd de sa valeur, tandis que celui qui est fourni en excédent aux plus riches est converti en « autre chose » qui ne se dévalue pas.

Les gens qui sont en bas de l’échelle, qui n’ont ni la capacité d’acheter des actifs, ni l’option de s’endetter sans motif auprès des banques, ne peuvent éventuellement accéder à cette nouvelle monnaie qu’après qu’elle ait perdu pour eux une partie de son pouvoir d’achat.

L’utilisation de la planche à billets est bien une sorte de taxe cachée sur le pouvoir d’achat de la classe populaire et de la classe moyenne.

Cette taxe génère au contraire une garantie de hausse du patrimoine financier pour les « Cantillionnaires », ceux qui ont la capacité de convertir de l’argent « peau de chagrin » en « autre chose ».

Ce sont donc eux qui captent les flux de bénéfices générés par les entreprises (dividendes), les revenus des émissions obligataires (coupons), l’immobilier (loyers) au détriment du reste du monde.

Grâce aux injections « au jour le jour » de la Fed, l’ère des « Cantillionnaires » boursiers joue les prolongations : ambiance « FOMO » pour les les non-initiés surpris par le « rally », champagne et cotillons pour les autres !

Wall Street et les indices européens sont-ils parti pour une 19ème semaine d’un cycle haussier complètement déconnecté de la réalité, mais fidèle reflet de la sur-liquidité ?

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