La Chronique Agora

Economistes, prévisions et récessions… un trio rarement gagnant

▪ Selon le Bureau américain des statistiques de l’emploi, les prix à la consommation augmentent au taux annuel de 2,1%. Cela nous suggère que le boom actuel des marchés se terminera par une explosion plutôt qu’un soupir.

Les économistes de la Fed affirment qu’ils ne pensent pas que les taux d’inflation grimpent. Ils pensent que le chiffre le plus récent est une exception. Mais pourquoi quiconque les prendrait au sérieux ?

Prakash Loungani, un économiste travaillant pour le FMI, a réalisé une étude dont les conclusions ont de quoi faire rire. Elle a été publiée en 2001 dans le International Journal of Forecasting.

Pour ceux d’entre nous qui se tiennent un peu au courant, cette étude n’avait rien de surprenant. "L’historique des échecs concernant la prédiction de récessions est quasiment ininterrompu", disait-elle.

C’était en 2001. Maintenant que nous sommes en 2014, les experts ont réussi à enregistrer quelques succès ? Pas du tout. M. Loungani et son collègue, Hites Ahir, ont mené une nouvelle étude. Ils ont examiné 77 économies nationales différentes, dont 49 étaient en récession en 2009. Combien de prévisionnistes économiques avaient vu venir la récession un an en avance ?

Allez-y, cher lecteur, devinez.

La réponse est zéro. Récession ou pas ? C’est une question binaire. On pourrait se dire que quelques-uns auraient trouvé la bonne réponse par pur hasard. Absolument pas.

▪ Un historique… parfaitement nul
La reine Elizabeth II en est restée perplexe. Elle voulait savoir comment il se faisait, avec tant d’économistes au service de Sa Majesté, qu’aucun ne l’ait avertie de la pire récession ayant atteint le monde développé depuis que son grand-père, George V, était sur le trône.

Peu importait que les économistes travaillaient pour des entreprises privées ou pour le gouvernement. Les prévisions qu’ils ont faites étaient épouvantables

Elle n’aurait pas eu besoin de poser la question. Peu importait que les économistes travaillaient pour des entreprises privées ou pour le gouvernement. Les prévisions qu’ils ont faites étaient épouvantables. Les économistes n’ont pas vu la récession de 2009 avant qu’elle s’abatte sur leurs têtes, en 2009 — une fois que les marchés ont été divisés par deux et que Wall Street a été à un cheveu de la faillite. Après ça, bien entendu, ils étaient sur le qui-vive. Ils voyaient des récessions partout — même quand il n’y en avait pas. Ils ont prédit des récessions dans 54 des 77 économies étudiées par Loungani, six de plus qu’il ne s’en est réellement produit.

Ce qui nous ramène à la Fed. Son modèle d’"Equilibre Général Stochastique Dynamique" fait des prévisions ; elles sont toujours fausses. Par exemple, en 2011, leur modèle prévoyait une croissance d’environ 3,5% pour 2014. Chaque trimestre, ils ajustaient le chiffre à la baisse, l’avenir approchant du présent. Aujourd’hui, ils prévoient une croissance d’à peine 2% pour 2014.

▪ Pourquoi les gens y prêtent-ils attention ?
En fait, non seulement ils écoutent, mais ils s’inclinent bien bas… et mettent en place des milliers de milliards de dollars de trucages et de bidouillages, dont bon nombre se terminent en désastre. Comme si Napoléon avait attaqué Waterloo sur les conseils d’une diseuse de bonne aventure.

Vous vous insurgerez, disant que nous n’attribuons pas aux économistes tout le mérite qui leur revient. Les économistes ont "évité une dépression de plus". Ils ont même réussi à ramener la volatilité à des niveaux qu’on n’avait plus vus depuis 10 ans. Cela malgré le fait qu’ils ont ajouté 10 000 milliards de dollars aux bilans des banques centrales… gonflé le marché boursier de 150% depuis 2009… et inondé la planète de dettes étudiantes, souveraines et d’entreprises.

"La volatilité ‘éteinte’ par les manoeuvres des banques centrales", titrait récemment le Financial Times. Le VIX n’est qu’à 14. Au plus haut de la crise, en 2008, lorsque Ben Bernanke avait prévenu le Congrès que s’il n’agissait pas d’ici vendredi, "nous n’aurons peut-être plus d’économie lundi", le VIX était à 80 environ. A présent, les investisseurs ne se donnent quasiment plus la peine de lire les gros titres… et les cours varient à peine. Tout de même, empêcher les prix de faire des montagnes russes — c’est une réussite, non ?

Nous pensons qu’il faudrait laisser aux prix la liberté de faire ce qui leur plaît

Eh bien, vous allez peut-être nous trouver vieux jeu, mais nous pensons qu’il faudrait laisser aux prix la liberté de faire ce qui leur plaît. Après tout, ils essaient de nous dire quelque chose. Les prix, selon les économistes classiques, ne devraient pas être fixés. Ils devraient être découverts — parce que le niveau où on les trouve indique ce qu’il faut faire. Des prix élevés parlent de rareté et du besoin de plus d’investissement. Les prix bas crient qu’il y a abondance… voire excès, et avertissent de rester éloigné. Etouffer les prix ne sert aucun dessein.

Qui plus est, vous rappelez-vous de la dernière période de Grande modération ? Au milieu des années 2000, on n’entendait ni le gémissement de la récession ni le grognement des marchés baissiers. Les prix de l’immobilier grimpaient. Les actions aussi. L’économie semblait connaître une expansion durable, en grande partie grâce à la Fed et ses manipulations du crédit immobilier. Jusqu’en 2007, aucun économiste respectable ayant fait entendre un seul pépiement d’alerte n’a été détecté par M. Loungani.

Et le son qu’on n’entend pas aujourd’hui ? Ce calme surnaturel sur les marchés d’investissement ? C’est le son de prix à qui on ne permet pas de s’exprimer…

Mais… des prix qui ne parlent pas murmurent cependant à l’oreille d’une économie angoissée… et lui ordonnent de rompre ou d’exploser.

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