▪ J’avais pris beaucoup de plaisir à lire La prospérité du vice de Daniel Cohen — cet ouvrage consacre de nombreux chapitres à opposer vision monétariste et vision keynésienne de l’économie, ainsi qu’à expliquer les causes de la plupart des guerres. Cependant, je crois que je vais bien plus m’amuser avec ce nouveau concept promu par les élites de Bruxelles : "la prospérité par le vice".
Il s’agit simplement de prendre en compte le PIB fantôme généré par l’économie souterraine |
Il s’agit simplement de prendre en compte le PIB fantôme généré par l’économie souterraine dans la comptabilité de la richesse nationale de chaque pays membre.
Un projet mis à l’ordre du jour dès 1995… mais que le Parlement européen avait rejeté à l’époque pour toute une série de raisons parfaitement valables. Elles sont aujourd’hui jugées subalternes, car nécessité fait loi : tout moyen permettant de gonfler le PIB dans l’Eurozone et l’Union européenne devient hautement souhaitable lorsque les Etats-Unis semblent s’envoler vers un nouveau cycle de prospérité.
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Il y a donc de cela près de 20 ans, l’idée d’intégrer l’économie souterraine (principalement le chiffre d’affaires de la drogue et la prostitution) dans les calculs classiques avait achoppé sur le caractère tout relatif du qualificatif "souterrain". En effet, certaines activités réputées illicites (négoce du cannabis, prostitution, maisons closes) sont parfaitement légales dans certains pays comme les Pays-Bas (de longue date) ou la Belgique et l’Espagne.
En France, les revenus de la prostitution sont soumis à l’impôt, c’est le racolage et le proxénétisme qui sont illégaux.
En Allemagne, le commerce de vidéos pornographiques et les hypermarchés de l’érotisme ont pignon sur rue et sont cotés en bourse ; la prostitution à Hambourg constitue un secteur d’activité à part entière dans le célèbre quartier Sankt Pauli. Cette activité est également légale en Autriche ou en Grèce… elle est en revanche réprimée dans les Balkans et les clients sont poursuivis dans les pays scandinaves et certain Etats baltes.
▪ Les disparités ne sont pas uniquement juridiques
Malgré ces importantes disparités, l’Union européenne pousse les parlementaires à voter l’inscription de la drogue et de la prostitution dans le PIB de chaque pays. Cela ne changera pas grand-chose notamment pour les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Espagne… mais risque de faire une sacrée différence dans les ex-pays de l’Est, et même en Grèce. Cette dernière s’était vu interdire la prise en compte de son économie parallèle en 2006 par ceux-là mêmes qui l’exigent d’elle aujourd’hui… sachant qu’à l’époque, cela aurait pu gonfler le PIB grec de 20% à 25% et modifier totalement son ratio de solvabilité.
D’après de plus récents calculs, le PIB grec augmenté des trafics illicites et de la prostitution afficherait 2% de plus… et avec le blanchiment d’argent, il repasserait largement positif (contre une récession de -3,7% en 2013).
Bruxelles va passer à côté de l’essentiel — que vous soupçonnez certainement : le travail au noir. |
Mais en cette période de crise qui n’en finit plus de gangrener nos économies, Bruxelles va passer à côté de l’essentiel — que vous soupçonnez certainement : le travail au noir. Il progresse à un rythme exponentiel dans les pays où la répression fiscale et l’austérité s’abattent sans merci sur la population — cela afin de tenter de renflouer les caisses vidées par la crise financière et les déséquilibres concurrentiels qui s’exacerbent entre le nord et le sud.
Je ne parle même pas de la corruption politique (pots-de-vin, dessous-de-table, blanchiment d’argent…) car toute tentative d’investigation et d’évaluation est soigneusement verrouillée.
Une des conséquences les plus singulières de ce nouveau mode de comptabilité imposé aux Etats serait de pénaliser les pays où la part de l’économie souterraine est plus importante et qui sont également — par pure coïncidence certainement — les moins développés.
En effet, comme tout est affaire de gros sous, la taille du PIB officiel revêt une importance déterminante : la participation des Etats-membres au budget européen est justement indexée sur leur richesse nationale.
Mécaniquement, les pays les plus touchés par la crise vont donc voir leur contribution augmenter bien plus fortement que celles des pays riches. La Grèce, la Hongrie, la Slovénie, la Croatie — déjà exsangues — vont donc être ponctionnés plus lourdement. Parallèlement, l’Allemagne verra sa contribution allégée en fonction de sa perte relative de pondération dans le PIB global de l’Europe.
Pour la France, le nouveau mode de calcul devrait avoir une incidence neutre… en espérant que Bruxelles s’abstienne encore longtemps de fourrer son nez dans le vaste domaine du travail au noir. Cela ferait certes très mal aux finances de l’Hexagone… mais serait surtout fatal à la Grèce et à l’Italie.
[NDLR : Retrouvez Philippe Béchade — ses analyses, ses conseils et ses recommandations — jour après jour dans le Pitbull. Qu’est-ce que c’est que le Pitbull ? Eh bien, tout est expliqué ici…]