▪ Vous voulez connaître le secret du succès dans le monde civilisé moderne ? Soyez civilisé.
Nous y reviendrons dans quelques lignes.
D’abord, il semblerait que l’or remonte vers les 1 200 $, après avoir touché un plancher. Le temps aura le dernier mot. Rappelez-vous que l’or n’est pas un investissement : c’est juste une monnaie. La meilleure qui existe. Gardez-en sous la main ; vous pourriez en avoir besoin.
Revenons-en au secret du succès.
En 1962, Robert Axelrod était encore étudiant… mais il avait accès au seul ordinateur de l’Université du Michigan — une machine encombrante et primitive. Les étudiants commençaient tout juste à comprendre quoi faire avec des ordinateurs. Axelrod avait eu l’idée de le programmer pour jouer à un jeu.
Le jeu était censé résoudre ce qu’on appelle "le dilemme du prisonnier" : avec un ami, vous êtes arrêté pour trafic de drogue. Si vous vous taisez tous les deux, vous serez probablement tous les deux relâchés. Si l’un dénonce l’autre, le premier sera libéré tandis que l’autre sera gardé sous les barreaux. Si vous vous dénoncez mutuellement, vous ferez tous les deux de la prison… mais probablement pas aussi longtemps, puisque vous avez tous deux coopéré avec la police.
Vous êtes dans des cellules séparées, interrogés en privé. Que faire ?
Dans de nombreuses situations — professionnelles ou personnelles — il faut prendre une décision sur l’attitude à prendre |
La question n’est pas uniquement théorique. Dans de nombreuses situations — professionnelles ou personnelles — il faut prendre une décision sur l’attitude à prendre. Etre "gentil" avec les gens — ou bien penser à soi d’abord, sans s’intéresser aux conséquences pour les autres ? Lors d’un divorce, par exemple, vaut-il mieux essayer de s’en sortir avec le plus possible… ou plutôt travailler de concert afin de trouver la meilleure solution pour les deux ? Quelle est la meilleure stratégie ?
▪ GTFT, gentillesse et méchanceté
Cette question a engendré toute une sous-culture de logiciens. Axelrod a développé des algorithmes pour modéliser les choix par ordinateur. Un programme faisait toujours le choix "égoïste" (il l’appela "Lucifer"). Un autre était toujours "gentil" (il l’appela "Jésus"). Et d’autres étaient plus nuancés.
Le jeu fut répété encore et encore, permettant aux programmes de modifier leur comportement selon les réactions générées. Lequel réussissait le mieux ? Un programme appelé GTFT, Generous Tit for Tat ("donnant-donnant", en français). Il commençait toujours avec un geste généreux. Si on répliquait par un geste méchant, il "prenait sa revanche" — avec méchanceté à son tour. Une fois sur dix, cependant, le programme répondait à la méchanceté avec une générosité imméritée.
GTFT est une version primaire de la réussite dans la civilisation moderne. On est "gentil". On s’attend à ce que les autres le soient aussi. Et on réagit quand ils ne le sont pas. Cela fonctionne — plus ou moins bien — au niveau personnel. Et il en va de même pour l’économie.
Nous avons déjà vu pourquoi les économies planifiées ne fonctionnent pas : elles ne sont pas très gentilles.
Dans une économie de marché, le principe du "fais à autrui ce que tu voudrais que l’on te fasse" règne ; dans une économie planifiée, tout le monde est forcé d’accepter ce qu’on lui donne. Il n’y a pas de place pour le donnant-donnant ; les planificateurs centraux disent à tout le monde quoi faire. Mais ils n’ont jamais assez d’information ou de bande passante. Ils ne savent pas ce que les producteurs peuvent produire, ni ce que les consommateurs veulent. Ils tentent de compenser leur ignorance en mettant les gens dans des catégories… le prolétariat, la bourgeoisie, les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux… selon ce qui leur convient au moment M. Ils simplifient à la fois la quantité et la qualité avec des statistiques lourdaudes qui n’ont généralement aucun sens.
Ainsi, dans un célèbre exemple provenant de l’Union soviétique, les planificateurs centraux ont indiqué aux producteurs de clous leurs quotas en termes de poids. La tâche qui leur était assignée n’avait rien à voir avec ce que les consommateurs voulaient ; on leur demandait simplement de produire un nombre prédéterminé de tonnes de clous. Les fabricants ont rempli leurs quotas en produisant de gigantesques piques de 5 kg, à peu près inutilisables. Lorsqu’ils se sont aperçus du problème, les planificateurs sont passés à des quotas basés sur le nombre de clous produits. Ce qui mena les producteurs à fabriquer des millions et des millions de minuscules épingles.
Les résultats ont été concluants : les économies planifiées ne peuvent pas faire concurrence aux économies de marché |
▪ Une histoire de clous
Lorsqu’on ignore le système de marchés civilisé — dans lequel les gens se mettent volontairement d’accord — on peut s’attendre à des problèmes. L’Union soviétique nous a fourni un magnifique cas d’étude sur une période de 70 ans, avec approximativement 300 millions de participants réticents. Les résultats ont été concluants : les économies planifiées ne peuvent pas faire concurrence aux économies de marché, pour des raisons expliquées par Friedrich Hayek il y a 80 ans dans son ouvrage The Fatal Conceit ["L’Illusion fatale", ndlr.].
Hayek parlait d’économie. L’idée de mon collègue Porter Stansberry, dont nous parlions hier, était que le même principe s’applique aux individus dans leurs vies personnelles et professionnelles.
Toutes les transactions — en affaire, au travail, en amour et dans les relations quotidiennes — sont basées sur un avantage mutuel. On n’obtient rien sans donner en échange. Oui, on peut jouer les gros bras. On peut menacer. On peut tromper. On obtiendra alors ce qu’on veut… pendant un temps. Mais ce sont les accords "gagnant-gagnant" qui font les amis et les clients heureux. C’est le programme "donnant-donnant" qui fonctionne.
Ce n’est pas la fin de l’histoire, ceci dit. Alors que les ordinateurs continuaient à jouer, GTFT a évolué. Moins il se vengeait, mieux il fonctionnait. Le parallèle avec le monde réel est évident. Plus il y a de confiance dans une société, plus le principe du "donnant-donnant" devient efficace. Lorsqu’on peut faire confiance aux autres, il n’est pas nécessaire de payer des agents de sécurité, des vérifications, des audits, de la police, des tribunaux, de la surveillance, des avocats — et autres coûts de protection et d’application des lois.
Mais plus on baisse sa garde… plus on s’expose à de très mauvaises surprises. Tandis que les ordinateurs jouaient gentiment à "Jésus", un programme renégat — ressemblant à "Lucifer" — a attaqué. Le système entier est tombé en panne.
La leçon ? Soyez généreux. Soyez gentil. Mais gardez de l’or, au cas où.