▪ Brésil, Inde, Qatar, en attendant Abu Dhabi et la Malaisie… On ne compte plus les pays où le Rafale — l’avion de chasse de Dassault Aviation — est ou a été en "pole position" pour remporter l’appel d’offres de pays étrangers. Le Brésil est venu rappeler une nouvelle fois que ce statut de favori n’est en rien un gage de succès. Brasilia a annoncé le 18 décembre dernier que c’est finalement le Gripen NG, l’avion du Suédois Saab, qui équipera l’armée brésilienne.
▪ Pourquoi le Rafale a-t-il été balayé ?
Le ministre de la Défense française, Yves Le Drian, a rapidement relativisé l’échec, en précisant que le marché brésilien n’était pas "la cible prioritaire" de la France. En ligne de mire les contrats indien et qatari. Pourtant les leçons de cet échec sont riches.
L’argument brandi par Celso Amorim, le ministre brésilien de la Défense, pour expliquer le choix du Gripen a concerné le prix. Si la différence de prix entre le Rafale et le Gripen n’a pas encore été révélée, on sait qu’elle avait atteint 25% lors d’un précédent appel d’offres organisé par la Suisse. Si la différence de prix est effectivement grande, l’écart technologique l’est tout autant. L’avion suédois reste un monomoteur, et emporte 4,2 tonnes de matériels de moins en vol que le Rafale. Au final, une flotte de 18 Rafale peut effectuer le travail de 22 Gripen. Louis Gallois a résumé l’équation dans une phrase lapidaire : "le Gripen ne se compare pas au Rafale".
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C’est peut-être là le problème en vérité. Bombant le torse devant les performances du Rafale, les ingénieurs français ont peut-être négligé les besoins du marché. Comme le note Hassan Meddah de L’Usine Nouvelle, "[les Brésiliens] ont opté pour un appareil capable d’accomplir le cahier des charges fonctionnel sans être un bijou de technologie aéronautique". Remplir le cahier des charges, n’est-ce pas le premier critère des industriels ?
Cet épisode me rappelle l’échec du consortium de l’industrie nucléaire regroupant EDF, GDF-Suez, Total, Areva, Vinci et Alstom — consortium qui s’était échoué sur les plages d’Abu Dhabi lorsque l’Emirat avait choisi l’offre du Coréen Kepco contre les EPR français. Sophistiquée, l’offre française l’était peut-être trop. La France va peut-être être forcée de reconsidérer enfin sa stratégie à l’international.
▪ Hausse des dépenses, baisse des rentrées
Car ces échecs à répétition — je rappelle que le contrat avec l’Inde court depuis trois ans, bientôt quatre — vont finir par peser sur le budget de la Défense. Déjà, le ministre délégué aux relations avec le Parlement, Alain Vidalies, a reconnu après l’annonce du Brésil que cet échec pourrait peser sur la "loi de programmation militaire", dont la rédaction avait pris en compte la vente de Rafale à l’étranger.
L’annonce arrive d’ailleurs alors que les premiers chiffres sur le coût des interventions militaires françaises commencent à être publiés. Après les 647 millions d’euros de l’opération Serval selon la Cour des comptes, c’est 150 millions d’euros qui pourraient être dépensés pour l’opération Sangaris, l’opération en Centrafrique.
Bien entendu le secteur de la défense n’a pas pour vocation première de présenter un budget équilibré, et encore moins à être un vecteur d’exportation du made in France. Toutefois dans une situation de rigueur budgétaire, le hiatus qui est en train de se créer entre dépenses et recettes va rapidement devenir intenable. C’est tout l’objet de la demande d’aide financière par la France à ses partenaires européens dans son opération en Centrafrique. Cette demande s’inscrit dans un retour plus large du projet d’Europe de la défense.
▪ La "lente hibernation" s’achève
Sans parler de "printemps" de la défense européenne, l’"hibernation" — selon l’expression d’un diplomate européen — de la défense européenne est en train de prendre fin. Les différentes opérations dans lesquelles se sont lancés la France et plusieurs autres pays européens ces dernières années, en Libye, au Mali et aujourd’hui en Centrafrique, ont renforcé l’idée selon laquelle l’Europe doit être capable de s’impliquer dans son "étranger proche".
Cette mise en commun est également dictée par des considérations financières. Tous les pays européens connaissent des difficultés financières et n’hésitent plus à sabrer dans le budget des armées. Le budget de la défense en Europe a encore baissé, de 3% en 2012 par rapport à 2011. Côté industriel, la suppression de 5 000 emplois chez EADS a également jeté un froid dans plusieurs pays européens. Mutualiser ce qui peut l’être est ainsi devenu vital.
La France s’est engouffrée dans la brèche. François Hollande a ainsi proposé lors d’un Conseil européen le mois dernier de faire passer l’opération Sangaris sous pavillon européen. Pour l’instant seule la Pologne s’est montrée prête à envoyer des troupes en Centrafrique. De même, la France a avancé l’idée d’un fonds pour financer les opérations de maintien de la paix de l’Union européenne.
▪ L’industrie en avance sur le politique
Malgré les querelles de clocher dans le ciel européen, l’industrie de la défense en Europe est déjà partiellement intégrée. Ainsi le groupe européen EADS est un actionnaire important de Dassault, à hauteur de 46,3%. EADS profiterait ainsi du succès du Rafale aux Emirats Arabes Unis alors même que son propre avion, l’Eurofighter Typhoon, vient tout juste d’être écarté de la sélection. Que ce soit Dassault ou EADS qui soit retenu, l’Union européenne gagne sur les deux tableaux.
Et à l’avenir, de nouvelles pistes d’intégration sont visibles. Certains pays sont spécialistes de quelques segments particuliers, créant une bonne complémentarité au niveau européen. Ainsi la Belgique est spécialisée dans l’aéronautique, la Finlande et la Pologne dans les véhicules blindés, la République tchèque et la Pologne dans les hélicoptères, l’Estonie dans le cyber, etc. Cette complémentarité pourrait donner lieu à une industrie de la défense véritablement européenne. C’est tout l’objectif d’un projet de drone européen.
▪ Un drone européen pour 2025 ?
Si la proposition française d’un fonds commun n’a pas suscité l’enthousiasme de l’Angleterre ou de l’Allemagne, les chefs d’Etats et de gouvernement se sont cependant accordés sur le lancement de plusieurs programmes industriels. Ils se sont notamment entendus autour du développement de capacités de ravitaillement en vol et d’un drone européen.
Le projet d’un drone européen MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) est déjà porté par EADS (Cassidian) et Dassault ainsi que par l’Italien Finmeccanica, les Français Sagem et Thales, et tout récemment le Polonais WB Electronics. Ce projet, qui effectue son retour après un premier abandon en 2012, évite de reproduire les mêmes erreurs que pour les avions de chasse. Dassault et EADS seraient désormais partenaires. Reste à savoir ce que décidera l’Anglais BAE Systems, un temps partenaire de Dassault.
Contrainte et forcée, la France est aujourd’hui le premier promoteur d’une Europe de la défense. Reste à savoir comment Dassault pourra réintégrer le jeu européen, lui qui a longtemps joué individuel.