▪ Lorsque j’ai rédigé le dernier paragraphe de la Chronique publiée lundi — c’est-à-dire vendredi soir, mais parfois je la complète le dimanche avec les derniers événements du week-end –, j’ai évoqué de façon un peu humoristique les quelques raisons du désamour entre les Bleus et leurs sponsors. Je n’imaginais pas quel psychodrame se jouerait samedi puis dimanche, et sur lequel je ne reviens pas tant le sujet prend l’ampleur médiatique d’un 11 septembre dans les médias français mais également internationaux.
Ce n’est que du football après tout… 11 bonshommes qui tapent dans un ballon et qui affichent parfois un ego surdimensionné. Cela rappelle le comportement de beaucoup de personnages politiques à l’approche d’échéances décisives, sauf que les enjeux financiers n’ont souvent pas grand-chose à voir… tout du moins faut-il l’espérer pour la bonne marche de la démocratie.
Nous avons tous vu des équipes dirigeantes — à quelque niveau que ce soit — se déchirer lorsque des impondérables surviennent. Cela peut se terminer par la désignation d’un bouc émissaire (un procès retentissant l’illustre parfaitement depuis une semaine, mais ce peut aussi être un pays qui ne joue pas le jeu)… par une scission au sein d’un parti… par la démission d’un membre éminent qui assume l’entière responsabilité de l’échec.
Une des variantes amusantes se caractérise par une guerre de communiqués et une succession de coups tordus — jusqu’à ce qu’un troisième larron mette tout le monde d’accord en prenant le contrôle de la structure en déliquescence, ses membre étant trop occupés à se battre entre eux pour échapper à leur prédateur.
Mais après avoir vu défiler à l’écran une succession surréaliste de démissionnaires d’instances fédérales, de putschistes (revendiqués ou supposés), de responsables qui ne contrôlent plus rien, de ministres les larmes aux yeux, de millionnaires du ballon rond qui se mettent en grève (à 10 000 euros de salaire par jour, sont-ils en lutte pour le maintien de leur pouvoir d’achat face aux ravages de l’inflation ?)… je me suis demandé si nous n’assistons pas à un phénomène d’une portée symbolique plus profonde et qui déborde en effet du cadre des gazettes sportives.
▪ Souvenez-vous des manifestants devant Wall Street réclamant de voir les traders et leurs chefs répondre du désastre qu’ils avaient causé. Souvenez-vous des résolutions (demeurées lettre morte) du G20 censées moraliser la finance. Souvenez-vous de l’opprobre à l’encontre de ces brasseurs d’argent irresponsables. Faisant la parfaite synthèse de l’arrogance et de la cupidité, ils s’en sont accommodés et ils ont continué de se verser des bonus pharamineux.
Des stars déchues, mais des stars finalement intouchables et encore plus riches quelques mois après le désastre de l’automne 2008.
Beaucoup furent jugés coupables par les médias… mais seuls quelques lampistes ont payé parce qu’ils ne disposaient pas des bons appuis et des bonnes protections.
La frustration d’une majorité d’Américains est largement sous-estimée de ce côté-ci de l’Atlantique. Par ailleurs, toute une frange de la population qui s’enfonce dans la pauvreté en Europe, mais qui n’a guère l’occasion d’exprimer sa révolte, constitue le terreau d’un rejet radical du système.
▪ Rome avait fort bien compris quelle était la parade il y a deux millénaires, lorsque l’empire, en proie à de coûteuses querelles intestines, commença à vaciller sur ses bases. Qui ne connaît le célèbre aphorisme de Juvénal, qui résuma la stratégie de l’époque par « du pain et des jeux » ?
Le cirque sauva plusieurs républiques romaines. Ceux qui descendaient pour combattre dans l’arène connaissaient la règle : « pas de pitié, pas de quartier ».
Le cirque était une métaphore de la haute société de l’époque et un parfait exutoire à la rancoeur populaire. Les comploteurs, les traîtres, les profiteurs, les lâches y étaient soit sacrifiés, soit autorisés à y combattre comme gladiateurs d’occasion, le temps d’un dernier après-midi. Face aux lutteurs de métier, adulés du public — en particulier des femmes –, leurs chances de survie étaient en effet voisines de zéro.
▪ Au 21ème siècle, le Mondial 2010 survient en pleine crise économique — et désormais également en pleine crise de confiance pour le plus petit dénominateur commun des habitants d’une partie du Vieux Continent, à savoir l’euro.
Les héros chaussés de crampons (et non d’un trident ou d’un glaive) de chaque pays qualifié étaient censés faire oublier au peuple un peu de sa frustration, apporter du rêve, montrer de la bravoure, faire rejaillir un peu de leur gloire sur leurs supporters.
Et voilà que les gladiateurs français, que les médias présentent corrompus par l’argent, sont victimes d’une rupture avec le réel et les attentes du public — comme les sénateurs romains autrefois puis par analogie les agences de notations et les banquiers de Wall Street de notre époque contemporaine. Ils se mettent en grève.
Chacun sait ce qu’il advint de la révolte de Spartacus… Elle fut noyée dans le sang et les conjurés périrent jusqu’au dernier !
Les politiques condamnent, les sponsors coupent les ponts, les médias se chargent d’orchestrer le massacre et la foule applaudit ! Enfin, des coupables — qui ont fait de l’impopularité une marque de fabrique — vont payer ! Cela faisait deux ans que le peuple attendait cela !
Ils ont effectivement foulé au pied une longues liste d’idéaux sportifs, ruiné l’image de l’équipe de France, mis l’Elysée en émoi… Mais ils ne sont pas partis avec la caisse comme Lehman ou AIG ; ils n’ont pas non plus obligé la République à se saigner aux quatre veines pour éponger financièrement le désastre avec l’argent du contribuable !
Les agissements passés de certains banquiers — sans parler des récents stress tests — ne sont pas plus reluisants que les résultats sportifs de la plupart des équipes nationales européennes, Portugal excepté. Ils doivent se réjouir de voir l’attention du public se focaliser sur la désintégration des Bleus, des plus hauts dirigeants de la FFF au préparateur physique suppléant.
▪ Lundi était en quelque sorte leur jour de chance puisque de bonnes nouvelles sont venues d’Asie. Un vent d’euphorie a suivi l’annonce par la Chine d’un rétablissement d’un flottement du yuan — indexé sur un panier de devises — après deux années de change fixe et d’arrimage au dollar.
Pékin était accusé de maintenir sa monnaie à un niveau artificiellement bas et de plomber le commerce extérieur de ses concurrents occidentaux. Ce n’est qu’un geste symbolique, toutefois, et certainement pas la « révolution » que certains voudraient y voir. Le yuan a perdu 0,5% ce lundi, à 6,7940 $. Une fois passé l’appel d’air de ce lundi 21 juin, son repli sera graduel et probablement très lent — contrairement à celui de la monnaie unique qui a reperdu 1,3% entre l’ouverture sur les marchés européens (vers 1,2465 $) et la clôture outre-Atlantique (à 1,2320 $).
La Bourse de Paris s’était emballée de +2% à l’ouverture avant d’en terminer sur un score de +1,3%. Elle a ainsi égalé sa plus longue série historique de hausses, datant de mi-juillet 2009, avec l’inscription d’une neuvième séance d’affilée. Cela porte à 12% le gain cumulé depuis le 9 juin dernier.
Si la versatilité des marchés demeure vertigineuse, les volumes restent plutôt anecdotiques. Moins de 3,5 milliards d’euros ont été échangés ce lundi à Paris pour un gain médian de 1,5%… ce qui est loin de traduire le retour en force des acheteurs.
La zone des 3 735 (clôture du 12 mai dernier) puis des 3 755 points (MM100 et cours d’ouverture) demeure une résistance majeure. A plus forte raison depuis que Wall Street a trébuché en fin de séance dans le sillage d’un euro qui n’a pas su préserver son avantage initial et laissé filer le dollar. La journée s’est donc soldée par une nouvelle défaite et un score sans appel de 1,2315 qui compromet sa qualification pour accéder aux 1,2550/1,26 $ — ce qui le sortirait de la zone rouge.