La Chronique Agora

Une drôle de déflation en Zone euro

▪ Tout a commencé jeudi dernier, lorsque les opérateurs ont succombé à l’ombre d’un doute concernant la matérialisation du scénario plébiscité depuis fin avril : la BCE se mettant à injecter — à sa façon mais c’est l’intention qui compte — des liquidités dans le système financier de façon à compenser le resserrement du robinet opéré par la Fed d’ici fin octobre.

Il en a résulté une spectaculaire hausse de la volatilité sur dettes du sud de l’Europe. Les BTP italiens ont été particulièrement concernés : jusqu’à +20 points de base en intraday jeudi avant une timide embellie vendredi. Ils ont ainsi vu leur rendement se tendre de 11 points de base, passant de 3,05% vers 3,16% ce lundi.

Les Bonos espagnols limitaient la casse en début de semaine mais se dégradaient tout de même de sept points de base, de 2,95% vers 3,02%. Quant au 10 ans portugais, il décalait également de 12 points de base — soit un cumul de plus de 30 points de base par rapport à ses niveaux plancher historiques testés mercredi dernier, autour de 3,55%.

De tels mouvements de cours sont difficiles à interpréter… tout comme les propos de Jens Weidman, le patron de la Bundesbank. Il estimait dans un entretien ce lundi que « la force de l’euro » ne doit pas être surestimée dans le cadre du scénario d’inflation basse.

La monnaie unique est peut-être temporairement victime de son succès… ou plus précisément de l’attrait que certains actifs à fort rendement (les emprunts périphériques) exerçaient — jusqu’à jeudi dernier — sur les capitaux spéculatifs qui circulent en excédent.

La faiblesse du dollar et du yen est, symétriquement, un phénomène qui n’échappe à personne… Et avec la douceur de l’hiver 2013/2014, les prix énergétiques sont demeurés fort sages, ce qui a grandement contribué à ramener l’inflation sous le seuil des 1%.

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Jens Weidman ne détecte pas de signes évidents que l’Europe soit confrontée à un processus déflationniste… même si certains pays subissent la pression d’un recul du pouvoir d’achat dans le cadre des plans de rétablissement des grands équilibres budgétaires.

▪ Nous ne sommes pas d’accord avec Jens !
Autant je peux suivre Jens Weidman sur le terrain de la confiance retrouvée qui rend les dettes périphériques irrésistibles (cette « folie douce » est un fait), autant je ne partage pas son manque d’inquiétude relative aux pressions déflationnistes qu’exercent la chute des salaires à l’embauche et le laminage des pensions de retraite dans pratiquement tous les pays de l’Eurozone.

Il ne s’alarme pas davantage du niveau historique des marges des entreprises multinationales. Il va pourtant de pair avec une absence tout aussi historique de redistribution de la richesse sous forme de salaires ou autres avantages… principale source de pouvoir d’achat « positif », hors effort redistributif (prestations sociales, aides diverses ciblées sur les plus modestes).

Le phénomène le plus troublant qui ressort des chiffres de croissance du premier trimestre, c’est l’absence de propagation de la vitalité germanique vers ses principaux partenaires

Le phénomène le plus troublant qui ressort des chiffres de croissance du premier trimestre, c’est l’absence de propagation de la vitalité germanique vers ses principaux partenaires (France, Pays-Bas, Autriche). C’est comme si la hausse de la consommation en Allemagne –indéniable cette année — restait circonscrite aux frontières du pays, à moins qu’elle ne profite à des pays à bas coût de production… hors Union européenne.

L’un des écueils les plus menaçants pour le secteur potentiellement le plus fertile en emplois, c’est le rapport de plus en plus asymétrique entre les multinationales (qui usent et abusent de l’optimisation fiscale) et la chaîne des sous-traitants qui se termine à l’échelon des PME/PMI… soumises à une taxation « plein pot » si jamais elles réussissent à sauvegarder un peu de pricing power dans un contexte de pression impitoyable sur leurs marges de la part des donneurs d’ordres.

Embaucher au niveau des PMI/PMI devient un exploit en l’absence de visibilité à moyen ou long terme et de « grande thématique » économique d’avenir — sans parler de planification.

▪ Quid du salaire minimum ?
Face aux pressions impitoyable sur les coûts de production, alors que les équipes sont partout réduites au strict nécessaire (une simple absence suffit à tout désorganiser), le niveau du salaire minimum est désormais accusé de tous les maux.

Il y a 15 ans (peu avant l’avènement de l’euro), un seul SMIC suffisait — à peu près — pour nourrir, soigner, loger une famille. Aujourd’hui, deux SMIC ne suffisent plus à trouver un toit à proximité des grands bassins d’emplois ou à faire face à des soins dentaires.

Même des salaires qui ne permettent plus de vivre décemment — ce choix douloureux a été préféré en Allemagne à l’exclusion du marché de l’emploi il y a tout juste 10 ans — sont considérés comme « trop chers ».

Mais statistiquement, nous vivons depuis 30 ans en cycle de désinflation… et le paradoxe, c’est que moins il y a d’inflation (0,5% en rythme annuel, rendez-vous compte), plus la population qui vit de son salaire se paupérise.

Ne cherchez pas plus loin pourquoi les classes moyennes épargnent plus compulsivement à mesure qu’elles sentent se rapprocher le seuil du déclassement social.

▪ Une déflation par renoncement
Là où je rejoins pleinement M. Weidman, c’est que nous ne vivons pas une déflation où les consommateurs « joueraient la montre », sachant que plus le temps passe plus les prix baissent (c’est partiellement vrai pour l’électronique grand public). Il s’agit d’une déflation par renoncement à consommer, sur fond d’envol des coûts liés au vieillissement, au prix de l’immobilier (exclusion sans précédent des primo-accédants), à l’allongement de la durée des études.

Nous vivons décidément une drôle d’époque où il n’y a pas d’inflation mais où tout coûte plus cher !

Oui, nous vivons décidément une drôle d’époque où il n’y a pas d’inflation mais où tout coûte plus cher !

Une époque où les Etats sont incapables de rembourser mais où les créanciers (banques, family offices) acceptent une rémunération sans commune mesure avec les risques qu’ils prennent.

Normal, ils prêtent avec de l’argent qui ne leur appartient pas (celui des banques centrales) pour encaisser des revenus qu’ils ne redistribuent pas (à ceux qui créent la vraie richesse).

[NDLR : Retrouvez Philippe Béchade tous les jours dans la lettre Pitbull — un éclairage acéré de l’actualité financière et boursière… avec des recommandations pour en profiter ! Cliquez ici pour en savoir plus.]

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