La Chronique Agora

Petit rappel des droits et devoirs chrétiens…

▪ Nous sommes en train d’examiner une idée importante sur la manière dont l’économie fonctionne… dans le but de comprendre ce qui pourrait se passer ensuite. Nous y reviendrons bientôt. Aujourd’hui, nous parlons d’autre chose…

Posez la question à n’importe lequel ou presque des changos — garçons — au ranch : il vous dira que son père est "inconnu". La mère le sait sans doute. Ou pas. Mais la culture dans cette région des Andes fait que souvent, les pères ne reconnaissent pas leurs enfants.

Cela ne plaît pas à Maria. Elle est arrivée il y a 40 ans pour enseigner à l’école locale. Elle a épousé le contremaître et n’est plus repartie. A présent, au lieu de faire la leçon aux enfants sur la grammaire, elle sermonne les adultes sur leurs responsabilités morales.

"L’Eglise catholique ne connaît que deux rôles pour une femme", a-t-elle dit sévèrement, foudroyant du regard Victorina et une autre madre soltera, Juanita. Elle donnait des instructions en anticipation du baptême. Les deux femmes ont chacune un enfant, et toutes deux voudraient que le Padre les baptise le dimanche de Pâques. Maria les envoyait au diable.

"Soit on se marie et on a des enfants… soit on entre dans les ordres. Dans les deux cas, on est censée servir Dieu et l’église".

Les deux femmes ne font ni l’un ni l’autre. Elles sont mères célibataires. L’une est la mère de Talia Natalie, âgée d’environ six mois, dont les parrain et marraine, grands et clairs de peau, observaient la scène avec un mélange de curiosité et d’appréhension. Nous nous demandions si nous faisions le bon choix en acceptant de parrainer une petite fille indienne que nous connaissons à peine dans un langage que nous maîtrisons tout juste.

▪ Pas facile, la vie au ranch…
Vivre dans la province andine de Salta, ça vous endurcit. D’abord, des yeux bleux et une peau claire sont mal adaptés aux déserts d’altitude. Mais on fait avec ce qu’on a.

Ensuite, les poumons sont mis au défi. A près de 3 000 mètres d’altitude, il y a moins d’oxygène dans l’air. Si on a passé son existence au niveau de la mer, on a de bonnes chances d’être pris d’étourdissements. Les poumons ont besoin de temps pour s’habituer et compenser ce manque d’oxygène.

Ensuite, le système digestif doit se blinder. Il y a des micro-organismes auquel il n’est pas habitué

Ensuite, le système digestif doit se blinder. Il y a des micro-organismes auquel il n’est pas habitué. Les standards sanitaires ne sont pas les mêmes qu’à Paris ou Baltimore. L’an dernier à Pâques, par exemple, nous sommes entré dans la cuisine. Pour la fête pascale, Jorge avait tué un agneau… et posé son corps décapité et écorché à même la table. Les mouches bourdonnaient aux alentours, se demandant s’il fallait se poser dès maintenant sur la viande… ou attendre qu’elle soit cuite. L’eau provient de ruisseaux de montagne — c’est celle qu’utilisent les chèvres, les vaches, les lamas et les humains en amont — et elle arrive non-traitée jusqu’à nos robinets. Les fenêtres n’ont pas de moustiquaire. Il n’y a pas moyen d’y échapper : le système digestif doit s’habituer à un peu de dysenterie.

Plus bas encore, les organes reproductifs sont soumis à leur propre test. La muna muna est une infusion locale, provenant de plus haut dans les montagnes et régulièrement consommée au ranch. Notre cuisinière glousse chaque fois qu’elle nous la sert. Cette herbe est censée avoir un effet aphrodisiaque… sur lequel nous ne nous prononcerons pas.

Il y a ensuite le gluteus maximus… le fessier, de son nom scientifique. Nous arrivons au ranch après avoir passé neuf mois de l’année à voyager dans des automobiles confortables, assis dans des fauteuils d’avion rembourrés, ou installé sur des fauteuils de bureau douillets. Rebondir pendant cinq heures sur un morceau de cuir dur fermement attaché au dos d’un cheval au trot cause un choc au postérieur. Il faut des semaines avant que nous nous sentions à l’aise.

Mais il n’y a probablement rien qui mérite plus d’être endurci que notre sens moral.

▪ La morale est-elle plus sévère en altitude ?
"L’Eglise est très claire à ce sujet", a continué Maria. "En tant que chrétiennes, vous avez des droits et des devoirs. Vous avez le droit à tous les sacrements de l’Eglise. Vous êtes baptisées pour avoir la vie éternelle. C’est un droit que personne ne peut vous enlever — même si on vous tue. Vous avez le droit de confirmer votre foi, quand vous êtes adolescentes… puis de vous confesser et de communier, pour que vos péchés soient pardonnés. Et vous avez le droit de vous marier à l’église. Finalement, vous avez le droit à l’onction, à la fin de votre vie, quand vous êtes accueillies parmi la communauté des saints au paradis. Toutes ces choses sont les droits que vous avez en tant que chrétiennes".

"Mais vous avez aussi des devoirs. Vous ne pouvez pas vivre avec n’importe quel homme quand ça vous chante. Vous êtes censées vous marier. Inutile de se contenter d’aller voir le maire. On se marie à l’église. Ensuite, on a des enfants. Ensuite, on amène ses enfants à l’église pour les faire baptiser et les élever dans la vraie foi. C’est comme ça qu’on fait. L’Eglise — en tant qu’intermédiaire du Seigneur — pardonne les péchés. Mais seulement si on arrête de les commettre".

La doctrine (et les moeurs) ont peut-être — peut-être — légèrement évolué depuis que Maria a fait sa première communion

La doctrine (et les moeurs) ont peut-être — peut-être — légèrement évolué depuis que Maria a fait sa première communion. Sans doute que les derniers développements n’ont pas encore atteint cette vallée lointaine…

Aujourd’hui, les grandes religions sont plus détendues. A plus basse altitude, on ne pardonne peut-être pas exactement les péchés mais on les ignore facilement — tant que le pécheur recycle ses déchets et arrête de fumer.

"L’Eglise acceptera ces bébés dans la communauté chrétienne. Mais vous avez des devoirs en tant que parents et en tant que parrain et marraine. Le premier d’entre eux, c’est de vous conduire en bons chrétiens".

Le parrain et la marraine se sont entre-regardés, se demandant s’ils seraient à la hauteur.

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