La Chronique Agora

Droit divin, adultère et gouvernement féodal

▪ Depuis quelques jours, nous développons notre nouvelle théorie du gouvernement. Evidemment, nous ne sommes pas complètement sérieux. Mais nous ne sommes pas non plus « non-sérieux ». Tout ça ne monte toutefois jamais au niveau d’une théorie. Il s’agit plus d’une idée :

Le gouvernement est le phénomène naturel par lequel les insiders — les initiés — prennent la richesse, le pouvoir et le statut des outsiders. Ils fournissent peut-être une fonction utile, voire nécessaire — comme le maintien de la paix. Ou pas. Parfois, ils redistribuent la richesse parmi les outsiders. Parfois pas. Ils affirment parfois agir pour le bien du plus grand nombre… et souvent ne le font pas. Parfois ils disent que leurs privilèges leur viennent de Dieu ; parfois, ils ne se donnent pas cette peine. Mais ils prennent toujours la richesse, le pouvoir et le statut de ceux qui ne font pas partie des insiders.

Nous avons déjà vu comment un petit groupe de Romains a pu dépasser les limites de sa ville natale pendant près de 1 000 ans, prenant la richesse des personnes à l’extérieur. Une tribu est passée sous leur contrôle. Puis une autre. Puis une ville. Puis une autre. Et toujours le pouvoir, le prestige et la richesse revenaient à Rome.

Cependant, tous les Romains n’en profitaient pas de la même manière. Rome elle-même était divisée. Durant la période républicaine, les insiders étaient les grandes familles contrôlant le sénat. Puis sont arrivés les dictateurs, les empereurs et les canailles qui ont pu prendre la main sur le gouvernement. Souvent, il s’agissait de militaires — des généraux rusés ou populaires qui grimpaient dans la hiérarchie, assassinaient leurs rivaux et s’emparaient des rênes du pouvoir. Chacun apportait de nouveaux insiders… et virait quelques-uns des anciens. Rome bruissait d’intrigues… qui explosaient parfois en guerre ouverte, un groupe d’initiés se mesurant à un autre.

▪ Après la chute de Rome, les tribus barbares envahirent l’Europe. Les hommes forts purent mettre en place leur propre gouvernement à l’échelle locale. Il n’y avait que peu de théorie ou de justification. Ils utilisaient la force brute pour prendre ce qu’ils voulaient, puis ils s’installaient pour gouverner. Le seigneur fournissait une protection contre les autres seigneurs. Tous exigeaient des paiements, des tributs, de la richesse et de la puissance. Dans les économies largement non-fiduciaires du haut Moyen Age, les impôts prenaient la forme d’une partie de la production… et/ou de jours de travail. Un serf travaillait en moyenne un jour sur 10 pour son seigneur et maître.

Dans ce contexte, le seigneur de guerre local et son entourage tenaient lieu d’insiders. Ils prenaient aux autres autant qu’ils le pouvaient. Ou autant qu’ils pensaient pouvoir exiger.

A mesure que le Moyen Age avançait, le gouvernement perdait peu à peu ses particularités locales. Partout en Europe, les serfs, les seigneurs et les vassaux fonctionnaient sous un système féodal. L’un gouvernait une petite zone et était à son tour gouverné par un autre, qui dirigeait une zone plus grande. Au sommet était le roi, qui ne devait allégeance qu’à Dieu lui-même.

La justification et l’explication du gouvernement ont elles aussi évolué. Comment comprendre ? Pourquoi un homme était-il riche et puissant tandis qu’un autre était faible et pauvre ? La christianisation avait eu lieu en Europe. Tous les hommes étaient censés être égaux aux yeux de Dieu. Comment pouvaient-ils être si différents à leurs propres yeux ?

Pour expliquer tout ça, la doctrine du « droit divin des rois » en est revenue à l’Antiquité. Les érudits de l’époque n’affirmaient pas que les rois étaient des dieux : cela aurait sapé les fondations du monothéisme judéo-chrétien. Ils dirent plutôt que les rois avaient un rôle spécial à jouer, qu’ils étaient nommés… et approuvés par Dieu (par l’entremise des représentants de l’Eglise). Certaines personnes pensaient que les rois descendaient directement de la lignée de Jésus-Christ. D’autres pensaient que Dieu donnait aux rois un droit « divin » de gouverner en Son nom.

Dans l’ordre du monde, chaque personne avait une tâche fixe à accomplir. L’un coupait du bois. Un autre puisait de l’eau. Un troisième était roi. A chacun son travail.

Les intellectuels du Moyen Age ont passé beaucoup de temps sur la question. En tant que théorie politique, elle semblait cohérente et logique. Mais elle comptait des pièges et des impasses. Si le droit de diriger était donné par Dieu, l’homme ne pouvait Le contredire… Sauf que si, apparemment. Il arrivait souvent qu’un dirigeant désigné par Dieu en rencontre un autre sur le champ de bataille. Seul l’un d’entre eux pouvait gagner. A quoi jouait Dieu ?

Et si Dieu donnait à un homme le droit de diriger les autres, est-ce que ça signifiait que tous les ordres qu’il donnait devaient être exécutés, tout comme s’ils venaient directement de la bouche de Dieu ? Et si le roi semblait accomplir l’inverse de l’oeuvre de Dieu ? L’adultère était clairement interdit. Dieu désapprouvait. Mais les rois ne se privaient pas de le pratiquer. Le roi ne souillait-il pas ainsi son corps, trahissant son Dieu ? Pour résoudre ce problème, les intellectuels avancèrent l’idée que le roi avait en fait deux corps — l’un sacré, l’autre profane.

Mais qu’est-ce qui était quoi ?

A suivre…

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