– « Combien de temps doit-on conserver ses actions en moyenne ? »
– « Euh attendez une minute… »
– « Merci du renseignement ! »
Au risque de nous répéter, nous n’avons jamais vécu une période boursière de cet acabit… Cette réflexion serait toutefois d’une banalité affligeante (l’histoire ne repasse jamais les plats) si un « petit détail » technique ne faisait cette fois vraiment la différence : depuis le 1er janvier, la durée moyenne de détention d’une action cotée à Wall Street est tombée sous les 20 secondes, selon les données publiées par le New York Stock Exchange.
Oui, vous lisez bien : 20 secondes !
Cela rend obsolète la vieille blague de l’actionnaire néophyte qui téléphone à un chargé de clientèle surmené et lui demande : quelle est la durée de détention optimale d’un portefeuille d’actions ?
Le chargé de clientèle qui tente de se dépêtrer de son rendez-vous lui répond : « attendez une petite minute ! »… et le néophyte, satisfait de ce précieux renseignement, raccroche.
Essayez de le refaire avec « attendez 20 secondes » : cela ne fera rire personne. Mais d’ici peu, nous pourrons vous la proposer avec « attendez une seconde » : fou rire garanti !
▪ Une plaisanterie qui ne fait plus rire
Bon, de toute façon, le high frequency trading (75% des transactions quotidiennes) n’amuse plus personne. C’est une guerre des robots qui se joue sur des échelles de temps dépassant notre entendement : clignez des yeux… et voilà, la totalité des 20 titres composant un portefeuille moyen vient de « tourner » autant de fois en cinq centièmes de seconde que durant une année entière au début des années 80.
Et si l’on prenait les 120 titres du SBF 120, cela ne changerait strictement rien à la démonstration. Cela aurait juste consommé un peu plus de bande passante, mais le temps d’exécution aurait été identique : sept microsecondes (sept millionièmes de secondes) par input, qu’il s’agisse d’un achat ou d’une vente.
Les ordinateurs les plus rapides sont capables aujourd’hui de générer 600 aller-retour sur un même sous-jacent (option, action, devise…) au cours de la même seconde. Certains ordres sont même annulés au bout d’un délai de… 25 microsecondes (c’est-à-dire 25×10 puissance -6) — une échelle de mesure familière aux spécialistes des « phénomènes furtifs » relevant de la physique quantique.
▪ Les robots attaquent
Vous connaissez tout cela par coeur et ce n’est pas notre thématique du jour : ce qui nous stupéfie, c’est l’écrasement de la volatilité par les robots traders, et accessoirement l’uniformité des stratégies algorithmiques programmées dans les machines.
Elles semblent s’inspirer du même principe que Google : identifier la stratégie la plus pertinente (la subtilité consiste pour le logiciel à interpréter le carnet d’ordres et identifier la bonne échelle de temps) et la répliquer avec détermination.
Autrement dit, si un opérateur influent (doté — simple hypothèse — d’une force de frappe de plusieurs centaines de millions de dollars et d’une ligne directe avec la Fed) parvient à initier un mouvement de cours impromptu, il ne faudra que quelques dixièmes de secondes à tous les autres robots pour bondir dans sa roue.
Tout comme le peloton du Tour de France lorsqu’il voit un coureur qui tente une échappée : soudain tout s’accélère, d’autant que des franchissements de seuils se déclenchent en cascade, il n’est pour cela besoin d’aucune actualité ni raison concrète.
Dans la plupart des cas, l’ampleur des gains dépend au contraire de l’effet de surprise — qui a pour corollaire « l’effet Panurge », lequel confère aux marchés ce légitime statut d’efficience et d’omniscience que l’épargnant lui envie.
▪ La tendance est obligée de rester positive
Avec l’approche de la journée des « Trois sorcières », ce vendredi, il n’est pas besoin d’être omniscient pour prévoir que les indices américains seront maintenus à proximité de leurs sommets au moins jusqu’à ce jeudi soir.
La volatilité continue parallèlement de s’effondrer vers des planchers historiques, semaine après semaine. Le Dow Jones enregistre ses plus faibles écarts moyens ces trois dernières semaines depuis… 1986.
Même si les optimistes affirment — et nous ne les démentirons pas — que la tendance demeure positive, le tableau semblait un peu brouillé en clôture mercredi soir. Le S&P 500 restait en effet inchangé grâce à un rebond de dernière minute, le Dow Jones reculait de 0,26%… tandis que le Nasdaq, dopé par Amazon, progressait de 0,33% à 3 196,88 points (contre 3 196,93 le 21 septembre et 3 196,92 au plus haut la veille — avouez qu’une telle précision dans les niveaux clés est assez troublante).
C’était très bien parti mercredi avec une cascade de nouveaux records annuels ou historiques au cours de la première demi-heure de cotation. Le S&P 500 était à 1 525 points et le Nasdaq pulvérisait la résistance des 3 197 points (du 21 septembre 2012) — il est venu s’inscrire à 3 206 points pour la première fois depuis le 15 novembre 2000.
Nous ferons une mention spéciale pour l’indice Dow Transportation : il continue d’exploser tous les compteurs avec une douzaine de records historiques enchaînés depuis le 1er janvier. Il clôturait hier à 5 930 (+0,38%) après avoir culminé à 5 946 points — contre 5 300 points le 31 décembre 2012, soit +12% en six semaines.
Son parcours vertigineux (+22,5% en trois mois) est quasiment sans précédent : il ne trouve d’équivalent que lors des accélérations finales consécutives aux grandes bulles boursières de 1999 et 2007/2008.
Même diagnostic pour le Russell 2000 qui a refait surface à l’arrachée entre 21h30 et 22h pour afficher +0,33% à 920,5 points.
Et dire que le bénéfice de tous ces records est à la merci d’un hoquet informatique d’une vingtaine de secondes qui pourrait anéantir la tendance haussière des trois derniers mois !