Pourquoi l’Etat affaiblit-il les propriétaires, en augmentant le poids de la fiscalité ?
A première vue, le dernier rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a de quoi mettre du baume au coeur des propriétaires. Publié à quelques jours des fêtes, il préconise de baisser significativement les droits de mutation appliqués aux transactions immobilières, plus communément appelés « frais de notaire ».
Le CPO, qui dépend de la Cour des comptes, est allé à rebours de la tendance actuelle qui consiste à présenter les propriétaires, qu’ils possèdent leur seule résidence principale ou des biens locatifs, comme des nantis qu’il faut toujours plus taxer.
Après une année 2023 qui a vu refleurir les projets de taxation des prétendus « loyers fictifs » perçus par ceux qui ont épargné pour ne plus être locataires, qui a cloué au pilori fiscal les bailleurs qui mettent en location leurs bien sous le régime du meublé, et qui a vu la taxe foncière subir une hausse d’ampleur historique, la préconisation d’un répit sur les droits de mutation pouvait être vue comme une juste pause dans le matraquage fiscal.
Las, dans le détail, le CPO préconise simplement de reporter les sommes récoltées lors des transactions sur la taxe foncière. Se plonger dans le détail des chiffres indique qu’une telle mesure, si elle était mise en oeuvre, impliquerait au bas mot un doublement de cette taxe qui a déjà augmenté de 9% en 2023.
En pratique, il s’agirait d’un tour de passe-passe qui conduirait à renforcer en façade l’attractivité de la propriété immobilière en limitant la friction lors des transactions. En contrepartie, les propriétaires seraient saignés année après année, ce qui aurait pour effet de laminer la rentabilité des investissements immobiliers de long terme.
Alors que le manque de logement est criant dans un nombre croissant d’agglomérations, que les constructions neuves sont à l’arrêt, et que jusqu’à 40% du parc immobilier ancien pourrait disparaître du marché locatif du fait des nouvelles normes de performance énergétique, la proposition du CPO est un contre-sens économique.
En remplaçant une taxation importante mais unique par une perte financière récurrente, la réduction des droits de mutation va décourager les épargnants qui souhaitent se constituer un patrimoine locatif en début de vie active. Ce sont pourtant eux qui ont la possibilité de posséder et d’entretenir leurs biens durant des décennies.
Dans le même temps, les propriétaires actuels subiraient une double peine. Après avoir payé des droits de mutation au prix fort, ils payeraient chaque année une taxe foncière doublée. Alors que celle-ci représente déjà entre un et deux mois de loyers dans certaines villes, ils seraient potentiellement contraints de verser jusqu’à quatre mois de loyers par an aux pouvoirs publics pour le privilège de détenir des biens de moins en moins rentables.
Taxer plus au nom de l’égalitarisme
Le projet de réforme est, de manière classique en France, justifié par une volonté affichée d’égalitarisme fiscal. Une note de l’Insee, dévoilée en même temps que le rapport du CPO, s’émouvait du fait que les impôts fonciers pèsent moins sur les ménages les plus riches que sur les ménages les plus pauvres.
Selon l’institut, la médiane des dépenses de taxe foncière est de 2,5% du revenu disponible. Cela signifie que la moitié des ménages français propriétaires dépense plus que ce montant, et que l’autre moitié dépense moins.
Pour les ménages de la classe moyenne, ce montant atteint en revanche les 4% du revenu disponible, tandis que les 1% des foyers les plus riches ne versent que 1,5% de leur revenu disponible en taxe foncière.
Il n’en fallait pas plus à Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, pour déclarer que « la taxe foncière pèse deux à trois fois plus dans les revenus disponibles en Seine-Saint-Denis qu’à Paris, ce qui est assez aberrant », et justifier la remise à plat préconisée par le CPO.
Or, cet écart a priori socialement injuste s’explique par un biais statistique élémentaire : à mesure que le patrimoine augmente, à partir de la classe moyenne, l’immobilier représente une part décroissante des actifs des ménages.
Si les déciles les plus pauvres de la population sont rarement propriétaires de leur résidence principale et n’ont souvent aucun patrimoine immobilier, la pierre reste l’épargne préférée des Français. A mesure qu’un ménage s’enrichit, il a tendance à acheter sa résidence principale, puis quelques biens locatifs. En revanche, les foyers les plus riches se diversifient sur d’autres actifs financiers comme les actions, les obligations, les cryptomonnaies ou encore l’art.
La base de taxation relative étant plus importante chez les classes moyennes que chez les 1% les plus riche, il est normal – et mathématiquement inévitable – que l’impôt foncier représente une part du revenu plus importante chez les premiers que chez les seconds.
Pire encore, la mesure envisagée de remplacement des droits de mutation par un renforcement des taxes annuelles viendrait aggraver la situation – et de façon significative.
Des montants qui donnent le tournis
En 2023, les propriétaires immobiliers ont eu une douloureuse surprise en découvrant le montant de leurs impôts fonciers.
Sur le territoire, la hausse s’est établie en moyenne à 9%. Ce chiffre, déjà impressionnant dans la mesure où les loyers n’ont pu être légalement augmentés que de 3,5%, cache encore de profondes disparités.
Outre les +60% appliqués à Paris, la province a également subi la gloutonnerie administrative avec +44% à Meudon, +33% à Grenoble, +22% à Troyes ou encore +21% à Metz. Cette année, l’augmentation moyenne devrait être au minimum de 4% sur le territoire – sans compter les coups de matraque supplémentaires qui peuvent être décidés au niveau local.
Or, les droits de mutation rapportent en année pleine plus de 20 milliards d’euros – même si le montant 2023 sera probablement moins élevé du fait du gel du marché immobilier. De son côté, la taxe foncière a rapporté 26 milliards d’euros en 2022.
Il faudrait donc, pour absorber le manque à gagner d’une suppression des droits de mutation, que la taxe foncière annuelle augmente de près de 80%. En cas de simple diminution par deux de son montant, la taxe foncière augmenterait tout de même de 40%, un montant qui sera difficile à absorber pour les propriétaires.
L’argument redistributif est battu en brèche : toutes choses égales par ailleurs, les classes moyennes verraient le poids de la fiscalité immobilière peser encore plus sur leur revenu disponible que les « ultra-riches », et la différence irait encore en augmentant, à moins de mettre en place une nouvelle usine à gaz qui indexerait la taxe foncière sur le revenu fiscal des contribuables.
Pourquoi l’Etat se risquerait-il à implémenter une mesure qui viendrait laminer la rentabilité annuelle de la location immobilière, heurter de plein fouet les propriétaires au long cours et augmenter encore le poids de la fiscalité pour les classe moyennes ?
La raison est sans doute à chercher dans le contexte actuel. Les droits de mutations étaient devenus, à mesure de la hausse des prix de l’immobilier, une manne pour nos dirigeants. L’année 2023 a rappelé que le marché de la pierre ne monte pas jusqu’au ciel, et peut même se geler brutalement.
En reportant la taxation de l’immobilier sur la détention plutôt que sur les transactions, les pouvoirs publics seront assurés de toucher la même somme tous les ans, et ce quel que soit le dynamisme du marché. En termes économiques, l’Etat et les communes, qui récoltent les fruits de la taxe foncière, vont simplement transférer le risque de cyclicité des revenus sur les propriétaires.
Sous couvert de « justice fiscale », la mesure sera en réalité un énième transfert de richesse de la sphère privée vers la sphère publique. Au vu des montants en jeu, qui se chiffrent en dizaines de milliards d’euros par an, la mesure n’est pas que technique et mériterait un véritable débat de société.