La Chronique Agora

Domestiquer l'inconnu

** Nassim Taleb n’a jamais reçu de prix Nobel pour sa perspicacité en matière de finances. Mais ce n’est pas la SEULE raison qui fait que nous sommes fans de lui. Nous admirons aussi Nassim Taleb parce qu’il est tout ce que les crétins pseudo-intellectuels de Wall Street ne sont pas. Il est futé, intellectuellement honnête… et aussi incroyablement drôle.

– "Mon principal passe-temps", raconte Taleb, "consiste à taquiner les gens qui prennent leur petite personne et les qualités de leurs connaissances beaucoup trop au sérieux, et ceux qui n’ont pas le courage de dire parfois : ‘Je ne sais pas’. (Vous ne pouvez peut-être pas changer le monde, mais vous pouvez au moins vous amuser et gagner votre vie grâce à l’arrogance épistémique de la race humaine)".

– Taleb se qualifie lui-même d’empiriste sceptique et, comme l’explique l’article de Wikipédia le concernant, "il pense que les scientifiques, les économistes, les historiens, les politiques, les hommes d’affaires et les financiers sont victimes d’une illusion de modèle ; ils surestiment la valeur des explications rationnelles faites a posteriori des événements passés et sous-estiment l’importance majeure de l’inexplicable, de l’aléatoire dans les données issues du passé. Dans la lignée des philosophes sceptiques, il pense que le passé ne peut servir naïvement à prédire le futur".
 
** Dans ses deux best-sellers, Le Hasard Sauvage et Le Cygne Noir, ainsi que dans des dizaines de discours et d’interviews, Taleb affirme que les événements rares et catastrophiques sont tout aussi certains qu’ils sont imprévisibles.

– Aussi incroyable que cela puisse paraître, la "science pop" qui a engendré des milliers de milliards de dollars de dérivatifs toxiques du crédit ignorait cette vérité gênante. Par conséquent, Taleb en a conclu (avant les faits) que les modèles quantitatifs qui ont inspiré des milliers de milliards de dollars d’investissement étaient tragiquement imparfaits.

– "Six prix Nobel ont été donnés à des gens dont le travail n’était rien de plus qu’un tas de sottises", ronchonne-t-il. "Ils ont convaincu le monde de la finance qu’il n’avait rien à craindre".

– "On ne peut pas prendre exemple sur des événements rares", explique Taleb. "Justement parce que ces événements sont si rares, et qu’ils sont aussi totalement imprévisibles… et généralement encore pire que ce que vous aviez prévu".

– Taleb n’est pas un analyste du dimanche. Il a émis sa perspective sceptique pour la première fois en 2001, lorsqu’il a publié Le Hasard Sauvage – Des marchés boursiers à notre vie : le rôle caché de la chance. Selon les mots du magazine Fortune, ce livre examine "la chance perçue comme de la non-chance (c’est-à-dire des compétences), et le hasard perçu comme du prévisible (c’est-à-dire le déterminisme)".

– Taleb a répété et étendu ce message dans son best-seller de 2007, Le Cygne Noir – la puissance de l’imprévisible.

– Donc, maintenant que la catastrophe financière américaine épique a validé les augures angoissants de Taleb, reste-t-il quelque chose à faire ou à dire ?

– Pour faire court, la réponse est oui. Pour faire plus long, celui qui n’apprend pas de l’histoire est condamné à répéter les mêmes erreurs.

– "Je m’intéresse à la question de comment vivre dans un monde que nous ne comprenons pas très bien", explique Taleb. "Alors que la majorité de la pensée humaine (surtout depuis les Lumières) s’est concentrée sur comment transformer le savoir en décisions, je m’intéresse à la façon dont on peut transformer le manque d’informations, le manque de compréhension et le manque de ‘savoir’ en décisions… Mon dernier livre, Le Cygne Noir, dessinait une carte de ce que nous ne comprenons pas ; mon travail actuel se concentre sur la façon dont nous pouvons domestiquer l’inconnu".

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