La Chronique Agora

Dexia : quand l’hôpital public défie l’Etat

▪ Les hôpitaux menacent d’assigner l’Etat français devant la Cour européenne de justice, une affaire à rebondissements avec tous les bons ingrédients de notre douce France : incompétence, irresponsabilité, impunité. Les trois « i » indispensables à une bonne tragi-comédie du capitalisme de copinage.

▪ Acte 1 : les hôpitaux affamés se jettent sur des emprunts structurés
Les hôpitaux empruntent pour investir, pour notre bien et même pour notre bien le plus sacré : la santé. Nos impôts ne suffisent pas à financer l’hôpital public et l’emprunt fâche moins que la taxation, qui a le grave inconvénient d’irriter l’électeur.

Le personnel administratif de ces établissements publics a souscrit à des prêts dits structurés à taux variable indexé sur le spread du contrat à terme du maïs coté au Chicago Mercantile Exchange et de l’obligation suisse à 10 ans, le tout couvert par un produit dérivé sur l’indice Baltic Dry du transport maritime en vraquier (j’exagère mais à peine). « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît« , dirait Audiard.

Les génies de la finance qui vendent ces montages oeuvrent pour Dexia, née de l’alliance du Crédit communal de Belgique et du Crédit local de France. Comme le Crédit lyonnais, Dexia est créée et dirigée par un représentant de l’élite, Pierre Richard, issu de l’Ecole polytechnique et des Ponts et Chaussées. Comme le Crédit lyonnais, Dexia boulimique a un gigantesque portefeuille de prêts. Hélas, en cas de crise, le modèle qui consiste à prêter de l’argent emprunté devient très vite un piège mortel.

▪ Acte 2 : Aïe ! Le crédit coûte plus cher que prévu et les rentrées manquent
Déferlante de prêts épinglée par l’Inspection générale des finances (IGF) en mars 2013 qui note que « l’encours […] a quasiment triplé entre 2003 et 2011, passant de neuf milliards d’euros à plus de 24 milliards ».

En 2013, le CHU de Caen retarde des paiements courants faute de trésorerie. Une vague odeur de faillite flotte dans l’air. Le président de la Fédération hospitalière de France s’insurge centre cette volonté de « limiter le principe d’autonomie financière des hôpitaux ». Il aimerait plutôt taper dans la trésorerie des hôpitaux bien gérés (deux milliards d’euros). « Touche pas au grisbi« , dirait Audiard.

▪ Acte 3 : Sus à Dexia, l’infâme tentatrice
Déjà renflouée en 2011 (6,6 milliards d’euros), Dexia reçoit en décembre 2012 un gros kerviel en cadeau de Noël du contribuable, 5,5 milliards d’euro pour éviter la catastrophe. Il lui faut se débarrasser de 238 milliards d’euros de prêts pourris… sur lesquels personne ne semble vouloir vraiment se jeter.

Un « plan de résolution » est en cours, expression désignant une lente digestion de la liquidation après faillite larvée. Très lente puisqu’en 2020 il resterait 150 milliards d’euros. En effet, beaucoup de prêts aux collectivités locales sont à durée longue : 30 ou 40 ans.

Les litiges se multiplient sur ces prêts bizarres. Au mois de juin 2013, 200 communes, mairies, hôpitaux, départements ont assigné Dexia. Beaucoup d’élus ont invoqué le fait qu’ils n’avaient pas été suffisamment avertis des risques et qu’ils n’étaient pas des investisseurs avertis. En plus, les prêts souffrent d’un vice de forme : ils ne mentionnent pas clairement le TEG ou taux effectif global. Si par malheur les emprunteurs se bousculent au portillon de la justice, c’est pratiquement 50% à 70% des prêts qui seront révisés et accordés gratuitement. Le glaive de la justice fend les airs…

▪ Acte 4 : Trop tard, l’hôpital ne tirera pas sur l’ambulance !
Mais quand il faut protéger les intérêts d’une banque, même en liquidation, le législateur s’adapte très vite. En cas d’urgence, on sait se serrer les coudes entre énarque banquier du privé, énarque banquier du public, énarque grand argentier et énarque élu protégeant un hôpital ruineux.

A chaque fois qu’un établissement a contesté un emprunt toxique, les banques ont été « jugées coupables de ne pas avoir respecté les formes et d’avoir abusé de la confiance des hospitaliers ».

La loi du 19 décembre 2013 démine le terrain et aurait dû fort opportunément amnistier des bricoles telles que l’absence de mention du TEG. Hélas, le Conseil constitutionnel joue les trouble-fête et retoque l’effet rétroactivité. Pas grave, le contribuable va payer ; on crée donc pour les collectivités locales fragilisées un fonds de soutien de 1,5 milliard d’euros avec mobilisation de 300 millions d’euros pour les hôpitaux.

Rebondissement en fin d’acte 4 : le décrochage du franc suisse de l’euro induit une hausse de 20% du franc suisse et renchérit encore les prêts. La Fédération hospitalière de France montre à nouveau les dents.

Les peines légères trouvent des paroles, les grandes douleurs n’en ont point
Racine

▪ Acte 5 : C’est pas juste, allons pleurer auprès des instances européennes
Le fonds de soutien va être doublé pour atteindre trois milliards d’euros. La moitié du supplément sera apportée par les établissements financiers. Pour les hôpitaux — « dont la situation est la plus critique », selon le ministère de la Santé — ce sera 100 millions d’euros supplémentaires.

Dérisoire : la perte imputable au décrochage du franc suisse atteint déjà en six semaines 500 millions d’euros ; la Fédération hospitalière de France au désespoir menace de porter plainte contre l’Etat français devant la Cour européenne de justice.

Belle tragicomédie du capitalisme de copinage. Si vous avez apprécié l’hôpital, ne manquez pas la prochaine affiche : Areva. Un petit kerviel de perte pour le moment mais ça grandit, patience ; encore un fleuron du capitalisme d’Etat piloté de main de maître…

Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part sans doute au vol que l’on m’a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences et des bourreaux. Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.
Molière, L’Avare

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