La Chronique Agora

Des profits radioactifs

Le marché de l’uranium ressemble aux montagnes russes, et de nombreuses valeurs qui lui sont associées peuvent laisser l’investisseur avec un léger mal de coeur. Ces titres ne sont guère différents de bon nombre d’actions minières . ils doivent être examinés de très près. Les cours de l’uranium semblaient se stabiliser plus ou moins — apparemment. Et, soudain, aussi rapidement qu’ils s’étaient calmés, ils sont remontés d’un seul coup. Le prix de l’uranium a grimpé de 5 $ à 29 $ en deux semaines l’année dernière.

Après que le marché se soit réveillé, générant de nouveaux achats, le prix du métal ultra-précieux a grimpé de 4 $ supplémentaires, ce qui mit l’uranium à son plus haut depuis le début des années 80. Cette nouvelle spéculation a été déclenchée par une conviction croissance que la Chine, l’Inde et la Russie prévoyaient de construire de nouveaux réacteurs — et que ces réacteurs causeraient une ruée sur l’offre limitée d’uranium. Cette spéculation pourrait tout à fait être justifiée si l’on en croit les statistiques de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA).

Selon un rapport de l’AIEA, 130 nouvelles centrales nucléaires pourraient se construire dans les 15 années qui viennent. Qui ont les principaux intervenants ? Les mêmes que d’habitude, bien entendu : la Chine, l’Inde, l’Europe, la Russie, etc. L’énergie nucléaire fournit environ 16% du total de la génération d’électricité de la planète, et 34% des besoins de l’Union européenne. Et ils en ont bien besoin. Lorsque mon épouse Katrin et moi nous sommes rendus en Estonie récemment, il faisait un froid de canard. Des gens meurent de froid à Moscou en ce moment même. L’énergie nucléaire est une composante-clé de la survie économique tant en Europe de l’est que dans l’Union européenne.

J’ai eu du mal à croire certaines des statistiques que j’ai trouvées dans un excellent rapport sur l’énergie nucléaire, appelé Uraniumletter International :

‘Chine : a annoncé qu’elle prévoyait de construire jusqu’à 40 réacteurs nucléaires au cours des 15 prochaines années. D’après certains experts, cela augmentera la quantité d’électricité générée par le nucléaire de 2,4% à 4%’.

‘Inde : devient également agressive, et souhaite augmenter l’extraction d’uranium de quatre mines, dont la mine Jaduguda, à Jharkhand. Le pays a récemment signé un accord sur l’énergie nucléaire avec les Etats-Unis, et pourrait générer 40 000 mégawatts d’énergie nucléaire au cours des 10 prochaines années — à comparer avec la production actuelle de 3 120 mégawatts’.

‘France : obtient 78% de son électricité grâce au nucléaire’.

‘Belgique : obtient près de 56% de son électricité grâce à des centrales nucléaires’.

‘Suède : près de 50% de l’électricité suédoise provient du nucléaire’.

‘Suisse, Japon et Etats-Unis : l’énergie nucléaire fournit 40%, 25% et 20% respectivement’.

‘Corée : utilise actuellement environ 40%, fonctionnant grâce à 19 réacteurs nucléaires . on s’attend à ce qu’elle augmente sa dépendance au nucléaire jusqu’à 60% d’ici trois décennies’.

‘Asie : l’énergie nucléaire devient de plus en plus essentielle pour les économies en voie de développement. Sans elle, les milliards d’usines asiatiques s’arrêteraient’.

Je ne suis pas un expert en matière d’Histoire — et de loin — mais j’aime vraiment le sujet, et l’histoire du nucléaire me fascine. Durant les années 40, le gouvernement américain a commencé à acheter de grandes quantités d’uranium afin de produire la première bombe atomique au monde.

Et un pays n’allait pas simplement à la quincaillerie la plus proche pour en acheter — c’était une tâche énorme. Ne riez pas : un jour, peut-être, nous aurons tous de petits réacteurs nucléaires dans nos jardins… et au lieu d’aller chercher du bois pour la cheminée, il vous faudra courir au supermarché pour prendre un sac d’uranium.

Les centrales nucléaires telles que nous les connaissons ont été lancées en 1959. Cette année-là, la première centrale nucléaire financée par le privé a été inaugurée dans l’Illinois. Quelques années plus tard, dans les années 70, ce chiffre avait explosé (pardonnez le mauvais jeu de mots), passant à 250 réacteurs nucléaires prévus dans tous les Etats-Unis — mais les rêves d’énergie facile et bon marché tournèrent court assez rapidement.

Le désastre qui s’est produit en Pennsylvanie a changé tout ça. J’étais petit, mais je me souviens de l’accident. Three Mile Island était un cauchemar. Mon épouse Katrin était encore enfant lorsque Tchernobyl a eu lieu. Elle vivait en Estonie — elle m’a raconté qu’ils ont dû rester enfermés durant des jours.

Quoiqu’il en soit, avec l’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island, on a frôlé l’Armageddon en 1979. Jack Lemmon a ensuite tourné dans un film racontant l’histoire d’une catastrophe dans une centrale nucléaire. Ce film est représentatif du genre d’hystérie qui a poussé les gens à craindre le nucléaire — ce qui a purement et simplement freiné les nouvelles constructions. Les gens n’en voulaient pas près de chez eux, et je ne les comprends.

L’ignorance publique et la crainte du nucléaire ont changé le cours des choses pour l’énergie nucléaire, comme nous le savons, pendant bien longtemps. Dans les années 80, les centrales furent annulées les unes après les autres. Cela provoqua un effondrement quasi-complet du marché de l’uranium.

Pour empirer encore un peu la situation du marché, l’uranium ne tarda pas à recevoir un autre coup mortel — provenant de l’effondrement de l’Union soviétique, en 1991. L’uranium enrichi extrait des bombes russes fut mélangé à du carburant pour réacteurs et mis sur le marché. Et il y eut pire encore.

Le troisième coup du sort fut porté par l’administration Clinton, qui mit 55 millions de livres de yellowcake (de l’uranium sous forme de poudre jaunâtre) sur le marché par le biais d’un programme d’enrichissement d’uranium financé par le gouvernement. Cela causa un réel plongeon en chute libre des prix de l’uranium — jusqu’à aujourd’hui.

La production américaine d’uranium a atteint son sommet en 1980 à 43,7 millions de livres, selon l’Administration américaine de l’information sur l’énergie. C’est ce qui a porté le coup de grâce à l’exploration minière d’uranium. Les nouvelles recherches et le développement cessèrent, les mines ne pouvant plus se permettre de fonctionner — tandis que l’exploration n’était plus qu’une perte de temps, d’énergie et d’argent. Selon Uraniumletter International, l’état du Wyoming comptait à un moment huit sites d’uranium, produisant 12 millions de livres par an. Aujourd’hui, les choses sont différentes — très différentes : le Wyoming n’a plus aucun site. Aïe !

Je pourrais passer en revue de nombreux pays dans le monde et citer des exemples similaires provenant de rapports que j’ai lus. Il semble clair qu’à cause de ces nombreuses fermetures, l’offre d’uranium, autrefois abondante, a été réduite à rien ou presque en cinq à dix ans seulement.

Les choses ne semblaient pas si mal dans les années 90 . le manque de nouvelle offre de la part des mines fonctionnant encore a été couvert par d’autres sources. Il y avait les excès de réserves par exemple, ainsi que le démantèlement et le recyclage des armes nucléaires, en particulier russes. Du carburant de réacteur re-traité a également été ajouté au mélange.

Mais bon nombre de ces solutions rapides et faciles ne sont plus disponibles.

Le récent discours du président Bush sur l’état de l’Union a été un appel pour que les producteurs d’uranium commencent à agir… finalement, la réalité reprend ses droits. L’épuisement graduel des réserves de pétrole et la spirale haussière des cours de l’énergie fossile sont des facteurs clé . ils font de l’énergie nucléaire une source possible d’électricité qui sera utilisée pour répondre à la demande mondiale actuelle et à venir.

Three Mile Island et Tchernobyl — à moins d’y vivre, bien entendu — sont des souvenirs lointains pour la plupart des Européens et des Américains. Les prix à la pompe et leurs factures de chauffage sont bien plus présents à leur esprit.

Conclusion : la nouvelle offre d’uranium sera disponible à un prix bien plus élevé, ce qui, ensuite, continuera à mettre une pression à la hausse sur le futur cours de l’uranium.

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