La Chronique Agora

Des marchés qui déshabillent Ben pour habiller Bernanke

▪ Quel bilan tirer de cette semaine sur les marchés financiers ? Bien malin qui pourrait avancer une ébauche de scénario en se fondant sur l’évolution des seuls indices boursiers. En effet, les scores sont voisins de zéro d’un vendredi sur l’autre, la décision pouvant se dessiner au cours des toutes dernières heures ou même minutes de cette ultime séance de la semaine.

Les marchés obligataires ne nous éclaireront pas davantage : la tendance semble plutôt pencher dans le sens de la consolidation aux Etats-Unis. Cependant, les dettes souveraines tant décriées en Europe ont cessé de chuter depuis 10 jours. La revalorisation de l’euro (qui s’était hissé mercredi jusque vers 1,354 $) semble confirmer le retour de la confiance — même si aucune avancée concrète au sujet du FESM n’est sortie de la réunion des grands argentiers à Bruxelles en début de semaine.

Les Allemands continuent de s’opposer à toute initiative qui pourrait s’apparenter à une « mise à fonds perdus », ce qui acculerait beaucoup de pays en difficulté à négocier un allongement des délais de remboursement ou à faire défaut sur une partie de leur dette. Les banques commerciales se retrouveraient en première ligne, et il ne serait pas de l’intérêt de l’Allemagne de voir le système financier européen encaisser un choc de confiance lié aux dettes souveraines après avoir failli imploser suite à l’insolvabilité des émetteurs privés.

▪ Un second stress test — plus exigeant — du secteur bancaire nous était promis pour la fin février. Il apparaît évident que les Européens auront du mal à se mettre d’accord sur le renforcement des mécanismes de sauvegarde communautaires d’ici six semaines… alors l’épreuve de vérité est repoussée de quelques mois.

Nous faisons le pari que la date du stress test sera avancée ou repoussée en fonction du nombre d’établissements financiers susceptibles de s’y soumettre avec succès.

C’est un peu comme si les instances du cyclisme internationales attendaient le moment le plus creux de la saison (c’est en ce moment même) pour soumettre les coureurs à des tests antidopage systématiques. Il est vraisemblable que la majorité d’entre eux seraient considérés comme « propres » ; ceux qui apparaîtraient « positifs » pourraient produire la preuve qu’ils suivent un traitement médicamenteux ponctuel et sans aucun lien avec une quelconque préparation sportive.

▪ Nous n’en avons pas fini avec cette thématique du stress. Si les indices boursiers ou obligataires sont muets, l’indice VIX nous envoie un message assez clair depuis le milieu de la semaine.

Le baromètre de l’insécurité psychologique fait un bond de 20% en 48 heures à Wall Street. Il repasse ainsi d’un plancher pratiquement historique de 15,4 à 18,7. Cela alors même que les derniers sondages confirment tous un niveau d’optimisme record des gérants et des investisseurs.

L’autre phénomène qui nous paraît constituer une évolution intéressante, c’est ce phénomène de rotation sectorielle qui s’opère enfin au sein des principaux compartiments de la cote, tandis que la situation — et les programmes de trading automatisés — semblaient désespérément figés depuis juin dernier.

Une transition s’opère en faveur des valeurs financières (et en particulier des assureurs) et des utilities (qualifiées en 2010 de valeurs ennuyeuses) au détriment du secteur du luxe. Idem pour les parapétrolières et les constructeurs ou équipementiers automobiles : la thématique des émergents a beaucoup fait rêver, la réalité s’avère beaucoup plus contrastée.

Beaucoup de commentateurs s’extasient sur le gonflement des volumes (encore plus de 4,75 milliards d’euros échangés jeudi sur le CAC 40) mais nous ne sommes pas certains que ce phénomène traduise un soudain afflux de liquidités. De façon assez péjorative, nous supposons que c’est avant tout le résultat des arbitrages que nous venons de décrire. Le principe sous-jacent ressemble beaucoup à celui qui consiste à déshabiller Pierre pour habiller Paul ou Jacques.

▪ Le surcroit d’activité à Wall Street depuis une semaine est de nature très similaire. Le S&P 500 reculait de 0,5% jeudi à la mi-séance dans le sillage des valeurs technologiques, des produits de base et des industrielles cycliques. Parallèlement, la distribution et quelques valeurs bancaires ont retrouvé des supporters.

En Europe, nous avons eu droit à une « drôle de consolidation » ! Certains indices globaux comme l’Euro-Stoxx 50 gagnaient 0,13% mais l’Eurotop 100 chutait de 0,96% — soit des écarts totalement contradictoires imputables au soudain retour en grâce des valeurs et indices estampillés « Club Méditerranée ».

Les places européennes ont effectivement terminé en ordre dispersé avec Francfort à -0,83%, Paris à -0,3%, tandis que Madrid engrange 0,75% et Milan 0,4%. Enfin, Londres, Amsterdam et Zurich reculaient de 0,6% en moyenne.

▪ Mais nous retiendrons surtout que les écarts les plus marquants de la journée de jeudi se sont matérialisés sur les matières premières. Notons notamment un recul de 1,8% de l’or et de 2,5% pour le pétrole — malgré la contraction de 2,6 millions de barils des stocks de brut la semaine passée.

Les opérateurs ont surtout remarqué que les stocks d’essence ont progressé symétriquement de 4,4 millions de barils. Dans le même temps, les réserves de produits distillés se sont accrues d’un million de barils, malgré la vague de froid qui sévit sur toute la partie est des Etats-Unis.

▪ Les valeurs pétrolières n’expliquaient pas à elles seules la lourdeur initiale de Wall Street. Il semblerait que les opérateurs deviennent allergiques aux bonnes nouvelles.

C’est le revers de la médaille après quatre mois de bouffées d’euphorie chaque fois que de mauvais chiffres économiques renforçaient la détermination de la Fed à déverser des centaines de milliards de liquidités dans un système financier qui n’avait pas l’intention d’en transférer une goutte dans le réservoir de l’économie réelle.

Plus Wall Street confisque l’argent, moins l’économie redémarre. Plus les bulles (pétrole, céréales) gonflent, moins les consommateurs disposent de pouvoir d’achat… et plus Ben Bernanke se trouve de bonnes excuses pour faire tourner la planche à billets.

▪ Nous devons concéder qu’il y a peut-être une amorce de frémissement dans le secteur immobilier aux Etats-Unis. En témoigne le rebond surprise de 12,8% des reventes de logements anciens au mois de décembre.

Autre indication favorable : les inscriptions hebdomadaires au chômage rechutent de 37 000, à 404 000, du 10 au 16 janvier. La moyenne mensuelle diminue également de 4 000.

L’indice de la Fed de Philadelphie pour le mois de janvier (19,3) ressortait par contre inférieur au consensus de 22… et c’est peut-être ce qui a sauvé Wall Street d’une correction plus marquée jeudi, le maintien d’une stratégie de taux zéro apparaissant de plus en plus incongrue.

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