L’inflation des prix à la consommation d’aujourd’hui découle au moins en partie de l’inflation des prix des actifs de ces dernières années.
Je suis assez primaire, voire simplet. J’aime contempler ce qui est devant mes yeux : l’éléphant rose dans la pièce.
J’ai tendance, pour comprendre quelque chose, à partir de ce que je vois et ensuite à descendre, et à creuser afin de voir ce qu’il y a derrière ou en dessous. Je ne pars pas des théories ou des modèles. Je regarde ce que je vois et je fais attention à ne pas passer à côté de ce qui est, mais que l’on voit moins.
Quand les prix montent ce que je vois c’est :
- un échange entre deux agents économiques ;
- un échange qui est fait par l’intermédiaire de la monnaie.
Ici, je m’intéresse donc à l’inflation des prix des biens et des services comme tout un chacun et à ce qui est moins visible, le mouvement de l’intermédiaire des échanges, la monnaie…
Celui qui monte les prix
Qu’est-ce que je vois ?
Je vois que les prix montent. Les prix montent non pas parce que je suis un idiot qui demande que les prix montent, mais parce que celui qui me vend ce que je souhaite acheter monte ses prix. C’est ce vendeur qui monte son prix et ce vendeur c’est le patron, le chef d’entreprise ou son représentant, le propriétaire, le capitaliste.
In fine, c’est le capitaliste petit ou gros qui prend la décision. Il veut soit gagner plus soit perdre moins. Payer ses agios ou rembourser ses dettes, c’est toujours essayer d’améliorer son cash-flow, son résultat, son excédent brut. La dette crée un besoin de profit dans le système ; on a tendance à l’oublier.
Le propriétaire ou le patron veut augmenter son pouvoir d’achat relatif, et faire en sorte que je lui donne plus dans l’échange.
Il peut y avoir des tas de bonnes ou mauvaises raisons de le faire, mais il y en a une seule basique, convaincante ; c’est celle qui dit que celui qui me vend quelque chose veut soit gagner plus soit perdre moins. Ce qui est au centre des hausses des prix, ce sont les besoins ou désirs de profit.
Après la hausse des prix des actifs
Digression : on croit naïvement que la hausse des prix des actifs financiers et la croissance de leur masse canalise l’argent, le neutralise, et évite qu’il aille dans l’économie réelle.
C’est faux ; ce n’est vrai que sur le court terme. En effet, un prix d’actif financier tient compte de tous les revenus que va procurer cet actif financier, et si le prix des actifs financiers monte, alors le besoin de monter ses revenus futurs augmente lui aussi.
La hausse des prix des actifs financiers, et la hausse des indices boursiers, introduit dans le système un besoin de profit futur, c’est-à-dire un besoin de faire monter tous les prix qui composent le PIB. Ainsi, la hausse des Bourses est une inflation différée. Il existe dans le système un mécanisme, un enchaînement boursier, qui produit ce que j’appelle un besoin systémique de profit.
La hausse des prix en régime capitaliste a toujours à voir avec le profit, son besoin, sa nécessité, son désir et tout ce que l’on veut de cet ordre. Améliorer son profit et sa profitabilité, c’est le moteur de l’activité.
Pour que mon vendeur puisse améliorer son résultat bénéficiaire, il faut que les conditions s’y prêtent ; c’est-à-dire que la demande existe, que l’offre ne soit pas pléthorique ; il ne faut pas que quelqu’un vende moins cher que lui, et il ne faut pas que la concurrence soit trop forte.
Pour simplifier, il faut que les conditions pour monter les prix s’y prêtent. On peut appeler cela le « pricing power ». Et ces conditions sont contenues dans le couple demande/offre et leur rapport.
La question du pouvoir d’achat
On voit ainsi que le pouvoir de monter les prix est un composé de demande, d’offre, de conditions de concurrence. Mais c’est un peu plus complexe, car non seulement ce qui est concerné, c’est le marché de mon produit particulier, mais aussi celui de tous les autres biens et services disponibles ou demandés.
La question que l’on ne voit pas et qu’il faut creuser c’est celle du pouvoir d’achat.
Si nous étions en régime de pur échange, de troc, alors elle ne se poserait pas… Mais nous sommes en régime monétaire et, pire, en régime de monnaie de crédit, c’est-à-dire en régime de monnaie de promesse. Il suffit d’avoir de la monnaie pour demander, quand on est client, ou offrir, quand on est producteur.
La question monétaire est au centre des échanges mais elle est cachée ; elle est sous-jacente, et joue un rôle important.
Idéologiquement, les gouvernements et les banques centrales ne tiennent pas à ce que cette question soit posée, bien sûr. Si elle était posée, on en arriverait à se demander si la gestion de la monnaie est bien saine, honnête, correcte, orthodoxe, prudente, etc. Donc cette question étant gênante, il faut l’escamoter.
Tout système ne survit que d’être caché, enfoui, ne l’oubliez pas ! Pour survivre, un système doit être non-su, non parvenu à la conscience des gens.
L’arme monétaire n’est utile aux autorités que si les gens n’y comprennent rien.
Vous pouvez choisir de donner la priorité à tel ou tel aspect, demande, offre, concurrence, etc., mais, en dernière analyse, on en revient toujours à la base : la hausse des prix a pour origine l’intention de bonifier son résultat et sa profitabilité pour celui qui vend, et au choix des autorités de créer assez ou trop de monnaie pour les échanges.
Manque de croissance
Mon cadre analytique est ici mis en évidence clairement ; il traverse tout ce que j’écris.
Il s’articule autour du besoin de profit du système, autour de la création de monnaie et de crédit pour le faire tourner, autour de la hausse des prix des actifs financiers qui en découle dans un premier temps, puis dans la transmission du besoin de hausse des prix contenu dans les indices boursiers à l’économie réelle des biens et des services.
L’abandon de la monnaie orthodoxe, intervenu au milieu des années 1960 pour financer le beurre et les canons de la guerre et la « Great Society » aux Etats-Unis, a marqué la fin de la monnaie saine. L’inflation du crédit, l’expansion/explosion des nouvelles créances financières a créé un nouveau système et financiarisé le régime capitaliste.
Mais il ne faut pas se tromper, ce n’est pas la finance qui est première et elle n’est pas l’origine des problèmes. Non, l’origine des problèmes, c’est le ralentissement de la croissance de l’économie réelle, l’insuffisance des cash-flows, le ralentissement des dépenses d’investissement et la tendance à la baisse de la profitabilité. La perversion financière s’origine dans les déséquilibres de l’économie productive réelle. La financiarisation a été un palliatif.
Ce nouveau pouvoir d’achat « artificiel » permis par l’abandon des règles d’orthodoxie a des effets inflationnistes variés (et trompeurs) – dont l’inflation des prix à la consommation et à la production, l’inflation des prix des actifs financiers et réels, les bulles des papiers, le sur/mal-investissement, les déficits commerciaux et des comptes courants.
Tout cela produit un désordre monétaire progressivement déstabilisant. Le mot important est « progressif » ; tout est progressif, ce n’est pas un évènement, mais un processus. Et ce processus s’accélère au fil du temps (c’est ce que dis lorsque je parle de l’ogre qui en veut toujours plus).
En phase terminale
Nous sommes maintenant face à la plus grande bulle de crédit de l’histoire. Elle a été produite par une expérimentation dont on a déjà vu l’exemple dans la Great Experiment de John Law.
Nous en sommes à la phase terminale parce que l’argent qui a été « logé » dans les papiers et les capitalisations boursières produit ses effets et ses exigences différées. Cet argent a été neutralisé temporairement dans l’inflation de capital fictif, mais il veut son profit. Il veut pour cela que l’on monte les prix…il n’ a pas compris son désir inconscient que la monnaie soit dépréciée.
Ce qui veut dire que tout retour en arrière significatif et non cosmétique est interdit. En « phase terminale » de l’excès de bulle, les risques systémiques augmentent de façon exponentielle et incontrôlable.
La dynamique endogène du processus est mondiale, et ce n’est pas un hasard si la Chine est touchée, si le Japon est dans l’impasse et si l’UE est ingérable. Tout cela est la conséquence de la dérive qui dure depuis des décennies et dont la hausse des prix des biens et des services n’est au fond qu’une manifestation mineure. Car les vrais dégâts sont profonds, non-vus, non-sus, non-appréhendés .
Mais ils sont là et la taupe creuse. Le monde se disloque, les inégalités rongent le tissu social. Comme on pouvait s’y attendre, l’inflation et les bulles alimentent l’inégalité, l’insécurité, l’hostilité et les conflits. La légitimité de nos arrangements domestiques et internationaux est contestée.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]