▪ Pauvre Edward Snowden. Cet homme a rendu un grand service au public. Il aurait dû recevoir une médaille hier, jour de l’indépendance américaine. Au lieu de ça, il est pourchassé.
"Snowden cherche un refuge mais les portes se referment dans le monde entier", déclare le International Herald Tribune.
Mardi, les Russes lui ont refusé l’asile. L’Equateur semble retirer son invitation. Le Venezuela et la Bolivie sont encore des possibilités. Mais comme Julian Assange, il sera peut-être forcé d’aller s’enterrer dans une ambassade morose. Pire, il pourrait être rapatrié aux Etats-Unis pour un programme de torture complet. Oui, ils pourraient le forcer à regarder la télévision ! Ou une réunion du Sénat !
Il voudra sûrement s’ouvrir les veines après quelques heures… épargnant aux autorités le coût de son exécution.
Oui, s’il était livré aux Américains, Snowden devrait répondre de ses actes. Il serait accusé de trahison… ce qui pourrait s’accompagner d’une marche funèbre.
A la Chronique, nous soutenons M. Snowden. "Il a enfreint la loi", disent les journaux. C’est ce que nous admirons chez lui — parce que parfois, les lois doivent être enfreintes.
Dans les Etats-Unis de 2013, diront les futurs livres d’histoire, les lois s’étaient développées comme de la mauvaise herbe. Une loi disait aux gens qu’ils devaient avoir une assurance santé, qu’ils le veuillent ou non. Une autre encadrait ce qu’ils pouvaient dire dans un aéroport… Une autre encore leur donnait le droit d’ingérer certaines choses mais pas d’autres. Avec cette prolifération de lois, de plus en plus de choses étaient devenues illégales.
▪ Prolifération de lois et mauvaises herbes
On ne peut pas fumer une cigarette où l’on veut. On ne peut pas avoir une conversation privée. On ne peut pas faire ceci… mais on doit faire cela.
Cette tendance a donné aux législateurs — notamment à des bureaucrates médiocres et des officiels anonymes — de plus en plus de pouvoir. Elle a limité le pouvoir des citoyens ordinaires, convaincus qu’il était raisonnable de limiter leurs libertés individuelles comme seul moyen de préserver leur liberté générale.
Tous les jours, durant l’été 2013, le soleil a brillé — et les mauvaises herbes ont poussé et se sont enroulées autour du cou des citoyens. Avaient-ils manqué de déclarer un pourboire de 5 $… Avaient-ils oublié de trier leurs ordures… Avaient-ils réparé sans permis des toilettes bouchées ? Les Américains étaient si fiers de leur liberté qu’ils ne se sont pas rendu compte à quelle vitesse ils la perdaient.
Ils pouvaient à peine se rappeler le temps où il était possible de traverser un aéroport sans faire la queue pour la "sécurité". Ils devaient se dire — comment auraient-ils pu penser autrement ? — que les autorités travaillaient réellement à rendre leurs vies plus sûres et plus prospères. Et ils ne remarquaient pas — là encore, comment l’auraient-ils pu ? — la gigantesque croissance des organisations "secrètes" autour de Washington, des milliers d’employés du gouvernement et de sous-traitants les épiant, complotant et manigançant contre eux.
Mais alors que de plus en plus de choses pouvaient vous attirer des ennuis — en quantité impossible à suivre par une seule personne –, il devint de plus en plus important de protéger sa vie privée. De leur côté, il était de plus en plus facile pour les autorités d’écouter les téléphones et d’enregistrer les conversations e-mail privées. Qui sait quand vous diriez quelque chose qu’ils pourraient utiliser contre vous !
▪ L’avènement du Big Data
Ces données "larges" (big data) récoltées par les autorités sont-elles vraiment utiles ? Notre ami Nassim Taleb nous dit qu’elles sont probablement moins exactes… ou plus sujettes à l’erreur… que la plupart des gens le réalise.
"Le bruit est plus trompeur que jamais — cela est dû à un phénomène vicieux appelé big data. Avec le big data, les chercheurs ont porté la sélectivité de l’information à un niveau industriel".
"La modernité fournit trop de variables et trop peu de données rattachées à chaque variable. De sorte que la relation fallacieuse croît beaucoup, beaucoup plus rapidement que l’information réelle. En d’autres termes : le big data signifie peut-être plus d’informations, mais cela signifie aussi plus de fausses informations".
Cela convient parfaitement aux autorités. Elles savent très bien que la lutte contre le terrorisme n’est qu’un prétexte. Ce sont des zombies. Le véritable but des zombies est d’augmenter leurs propres pouvoirs et richesses aux dépens de quelqu’un d’autre. Et pour ça, de fausses informations valent mieux que des vraies. Les fausses informations ont permis de lancer la Guerre contre la Terreur… et la guerre en Irak. A présent, elles les aident à mettre leur nez dans la vie privée de tout le monde. Les mensonges sont plus précieux, à leurs yeux, que la vérité.
Avec ce gigantesque trésor d’"information", les autorités peuvent édifier à peu près tous les fantasmes qu’elles veulent. Votre ordinateur est-il tombé — même par accident — sur un site "subversif" ? Avez-vous déjà téléchargé de la pornographie ou même un message politiquement incorrect ? Avez-vous parlé avec quelqu’un qui est peut-être allé à l’université avec quelqu’un d’autre qui a ensuite eu des problèmes avec la justice ?
L’Histoire finira par conter comment Edward Snowden s’en est tiré et a révélé dans quelle mesure les autorités — sous le prétexte de protéger la population contre les terroristes — posaient les bases d’un Etat policier. C’est profondément perturbant pour les gens qui réfléchissent un peu (s’il y en a) et craignent l’apparition d’un Big Brother omniscient et omnipotent, des yeux duquel on ne peut protéger aucun secret ni dissimuler aucun désir. C’est d’ailleurs tout aussi perturbant pour les Big Brothers. Ils insistent pour tout savoir sur les affaires de tout le monde — mais ils ont rendu criminel de révéler ce qu’ils manigancent !
Bref, personne n’aime les mouchards… et les fouineurs les aiment encore moins. Par ailleurs, Snowden était payé pour fouiner, pas pour jouer les mouchards. Il était payé pour enfreindre la loi et mentir à ce sujet. Maintenant, il va peut-être devoir affronter la loi, et payer le prix pour avoir dit la vérité.