La Chronique Agora

Déconstruire la finance

finance, risque, monnaie

La monnaie est désormais complètement déconnectée de ses sous-jacents : l’or et le travail. Les conséquences que nous vivons ne sont que l’aboutissement du processus.

J’explique depuis le début des années 1980 que la finance mondiale est fondée sur des illusions, des mensonges et des tromperies. Tous ceci avec le même objectif : faire croire que la rentabilité et la performance des investissements financiers peuvent être supérieures à ce qu’elles sont naturellement.

Tout a commencé il y a longtemps.

Il s’agissait de construire un univers financier autonomisé, dont la taille et la masse peuvent s’écarter durablement, sans limite de l’économie réelle qu’il est censé représenter…

Une recette d’alchimie

Construire un ensemble imaginaire et imaginé dont on peut faire croire qu’il est aussi bon, aussi liquide et aussi valable que la monnaie, mais qui rapporte.

Construire un univers imaginaire de signes dans lequel on déclare que le risque est mathématique et endogène à ce système, c’est à dire mesuré par sa volatilité et non pas comme dans le réel, non-mesurable.

Bref, il s’agissait de construire un autre univers désancré, tout en faisant croire qu’il était encore ancré ; tout en faisant croire qu’il était liquide, rentable et sans risque.

L’opération consistait à transférer sur les actifs financiers le caractère de la monnaie que l’on peut appeler la monnaie-itude.

En clair, il s’agissait de faire prendre les vessies pour des lanternes.

Transformer le long en court, le peu rentable en hyper rentable, le très risqué en sans-risque, l’eau des égouts en eau claire, le plomb en or, le subprime en triple AAA.

Il s’agissait de l’alchimie. Vous m’avez compris.

C’était possible grâce au changement de rôle des banques centrales. Celles-ci devaient devenir activistes. Elles devaient évoluer du rôle de prêteurs de dernier ressort avec des règles, vers le rôle de garants de la monnaie-itude, rôle discrétionnaire.

Disparition du risque

La fonction nouvelle de la sphère financière élargie comme espace de création de valeur puis libérée et enfin autonomisée devait créer l’organe. Un organe qui a ensuite été créé, au fil des ans, depuis les années 1980.

Pour assumer et assurer ce rôle de garant de la monnaie-itude de dernier ressort, les banques centrales devaient donc fournir la liquidité, faire baisser les taux, effondrer le prix du différé dans le temps, effondrer le prix du risque bien sûr, et transmuter tout problème de solvabilité en question de liquidité. Autrement dit, il fallait faire baisser les taux d’intérêt réels malgré la borne du zéro, assurer tous les risques en soutenant les cours boursiers par les QE, faire baisser la volatilité et le prix du risque, puis proclamer le put.

Proclamer le put c’est proclamer la monnaie-itude, puisque c’est annoncer que toujours on peut spéculer, toujours la banque centrale viendra assurer la liquidité, fournira un filet de sécurité, et fournira la contrepartie par son bilan quand il y aura un pépin.

Le sens profond de la dérégulation, c’est la loterie de John Law : il s’agit de brancher une colossale loterie sur le marché financier global avec un gérant/gagnant/croupier de la loterie qui aurait été simplement la Fed, le créateur de dollars, le pourvoyeur de taux bas et d’assurances de dernier ressort !

On peut créer de la valeur sans créer de richesses ; on peut déconnecter durablement la masse des signes monétaires, quasi-monétaires, de la réalité économique qu’ils sont censés représenter. C’est l’affirmation centrale.

On peut différer et « diff-érer », au sens de Derrida. On peut jouer les apprentis sorciers à la Faust et à la Méphistophélès, c’est-à-dire disjoindre les ombres des corps, autonomiser les ombres, les faire s’agiter sur des espaces de fiction envahissants comme le sont les marchés.

On a réussi à disjoindre la monnaie de son sous-jacent, de ses sous-jacents : l’or et le travail.

L’équivalent général des marchandises est devenu l’équivalent général de tous les désirs, de tous les espoirs, de tous les rêves. Pourquoi ne pas tenter de disjoindre les valeurs financières de leur sous-jacent, la production économique ?

L’argent piégé

Cela s’appelle déconstruire ! On a tout déconstruit, pourquoi ne pas déconstruire la finance ? Elle s’y prête merveilleusement bien car la finance est fondée sur la séparation des ombres et des corps, sur le report dans le temps, sur la probabilité, sur la naïveté…

L’investissement productif ne rapporte pas assez, pourquoi ne pas le bonifier par l’ingénierie financière ?

La dérégulation a été inspirée par la prétention démiurgique de dépasser le problème de la profitabilité insuffisante, de l’épargne trop limitée, de limites de l’endettement et des fonds propres trop réduits dans les banques.

Cette dérégulation est une sorte de dopage à la John Law ; c’est-à-dire qu’elle joue sur les probabilités. La probabilité suprême au centre de l’expérience, c’est celle de l’argent qui est piégé dans les actifs financiers, dans les quasi-monnaies, dans les billets de loterie : il faut qu’il n’en sorte jamais.

Jamais il ne partira à la recherche de ses contre valeurs ; jamais les princes ne demanderont le remboursement de leur fausse monnaie en or, jamais ces fausses valeurs ne repartiront dans le réel. Toujours, toujours, les valeurs financières resteront dans l’univers du papier et des promesses.

D’où l’intérêt d’avoir créé le paradigme risk-on/risk-off ! Avec cette lecture du monde, l’argent reste piégé entre les valeurs à risque, les actions/obligations et les valeurs dites sans risque, et les fonds d’Etat. On escamote la réalité, qui est que les fonds d’Etat et les papiers des gouvernements sont risqués eux aussi. Et que, en réalité, il y a longtemps que les gouvernements sont insolvables. On a fermé le piège dans l’imaginaire, avec la création du paradigme risk-on/risk-off !

Depuis le premier jour, on sait que si l’argent un jour sort pour aller dans le réel, alors le système sautera.

D’où la politique qui a consisté à multiplier les marchés-papier comme ceux du pétrole ou de l’or.

A suivre…

[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile