La Chronique Agora

La débâcle Celsius

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Prenez place à bord des grandes montagnes russes des cryptos, de Nakamoto à Mashinski…

Ce qui rend le monde de l’investissement si divertissant, c’est qu’il met en avant la vanité, stupidité et avidité de notre espèce bien-aimée. Les gitans, prostituées et voleurs sont tous là. Les charlatans, fantaisistes et rêveurs aussi. Peu importe ce que l’on pourrait dire de plus sur eux, ils sont amusants à regarder. Et chaque histoire, même si elle est contée dans un verbiage financier, est essentiellement un « je vous l’avais bien dit ».

La semaine dernière, le monde de la finance crypto s’est ouvert aux inspections. C’était comme de visiter une session jointe du Congrès américain – une masse repoussante d’escroqueries maladroites. Dans ce cas précis, les dirigeants du groupe Celsius étaient accusés de fraude.

Selon la SEC :

« Les accusés ont réalisé de nombreuses déclarations fausses ou trompeuses pour pousser des investisseurs à acheter CEL [une cryptomonnaie] et investir dans le programme à taux d’intérêts Earn. Parmi d’autres fausses affirmations, les accusés ont donné une fausse image du business model central de Celsius et du risque pour les investisseurs en prétendant que Celsius n’émettait pas de prêts non garantis, que la compagnie ne réalisait pas de trading risqué, et que les intérêts payés aux investisseurs représentaient 80% des revenus du groupe. »

Aucune de ces affirmations n’était vraie.

Le moment Nakamoto

Retournons un peu en arrière… C’était un moment excitant quand le Bitcoin a été révélé par Satoshi Nakamoto en 2009. Une nouvelle forme de monnaie, créée par une ombre, utilisant des logiciels « open source » ; elle ne nécessitait ni banques ni gouvernement. Et elle proposait de rendre les transactions financières plus simples, moins chères et plus rapides.

Elle ne pouvait pas être manipulée. Les transactions semblaient être anonymes. Et la masse monétaire ne pouvait pas être augmentée. Il n’y avait pas de banques ou de lois les obligeant à se renseigner sur leurs clients. Pas de frais bancaires à payer. Pas de cartes bancaires à pirater.

A l’époque, Internet, avec son vaste réservoir d’acheteurs et de vendeurs, de biens et de services, semblait prêt à soutenir une nouvelle forme de monnaie. Les taxis avaient bien été « disruptés ». La vente au détail aussi. Les hôtels. Librairies. Cinémas. Pourquoi pas la monnaie elle-même ?

La monnaie n’est, après tout, que de « l’information ». C’est un moyen de « noter le score de la vie », comme disait T. Boone Pickens. Elle nous dit qui a quoi et qui doit quoi à qui. Le BTC semblait nous offrir une manière de rendre cette information plus pure – sans intermédiaires, arnaqueurs et autres aigrefins pour compliquer les choses.

Si un homme a un million de dollars, la « monnaie » en elle-même n’a pas de sens. Ce qu’il veut réellement, c’est obtenir des choses valant un million de dollars qu’il ne détient pas – des choses qui appartiennent à d’autres personnes – leurs biens, leurs services, leurs temps… et leur respect.

Le Bitcoin semblait bien équipé pour ce but. Il pourrait rendre la monnaie bien plus efficace ; ce pourrait être le plus important changement de toute la révolution de l’information. Nous avons recommandé à nos lecteurs d’expérimenter avec… tout en restant prudents… et de voir ce que donnerait cette nouvelle monnaie. Nous avions même voulu enregistrer une vidéo pour montrer à nos lecteurs à quel point il était facile d’ouvrir un compte.

Mais nos tentatives de trouver un « wallet » et d’acheter des « tokens » a échoué. Notre présentation se termina comme une émission de Jackass… sans les os cassés.

« Meilleur que l’or »

C’était très tôt durant le cycle des cryptomonnaies. Et, si la théorie est une chose, la pratique en est une autre. L’or a été une monnaie fiable durant au moins 3 000 ans. Mais quelques saisons sous le soleil des cryptomonnaies ont suffi pour rendre certains investisseurs et entrepreneurs fous de joie ; selon eux, Bitcoin était « meilleur que l’or ».

Seuls les gouvernements peuvent falsifier la monnaie – légalement. Mais les arnaqueurs ne mirent pas longtemps à se dire que si un quelconque ermite japonais pouvait créer une monnaie, eux aussi. Ainsi, des milliers de ces nouvelles cryptomonnaies furent rapidement créées.

Le plan le plus classique était de créer des millions de « pièces » sans valeur, ou « coins » en anglais. Vous gardiez la majorité, mais une petite quantité était vendue au public, et pouvait être échangée sur des plateformes dédiées. Une de ces pièces pouvait avoir une valeur de lancement, par exemple, d’un centième de centime. Ainsi, avec un investissement de seulement 1 000 €, vous pouviez en créer 10 millions… avec la certitude que chacune vaudrait quelque chose un jour.

La deuxième étape était de commencer à acheter vos propres pièces sur les plateformes d’échange. A un coût minimum, vous pouviez par exemple placer un ordre d’achat pour un dixième de centime. C’est alors que d’autres joueurs commençaient à prêter attention. Votre cryptomonnaie venait de voir son cours multiplié par 10 ; il y avait de l’argent à gagner. Et c’est là que les choses devenaient intéressantes.

Une nouvelle « coin » était relativement similaire à une start-up de la tech s’introduisant en Bourse. Vous pouviez n’avoir aucune idée de ce que cette compagnie faisait… si elle faisait quoi que ce soit. La valeur réelle de son action pouvait être nulle. Mais le cours pouvait aussi exploser à la hausse. Peut-être que l’entreprise s’appelait « Texla » et que des investisseurs se tromperaient de touche sur leur clavier. Peut-être qu’elle avait émis une rumeur – non officielle ! – qu’elle avait trouvé une cure de jouvence.

Mais manipuler le cours d’une société cotée en Bourse est illégal. Une cryptomonnaie, en revanche, était quelque chose de nouveau. Etait-ce un « titre financier » dépendant des règles de la SEC ? Les acheteurs de BTC étaient-ils des investisseurs que cette même SEC devait protéger ? Personne ne le savait.

Avec si peu de « capital flottant » sur le marché… et des prix si bas… les cours de nouvelles cryptomonnaies pouvaient aisément être persuadés de s’orienter à la hausse. Puis, alors que leur cours montait, devinez quoi… Tous ces millions de coins que vous déteniez semblaient d’un coup avoir une vraie valeur. Sur le papier. En quelque sorte. Tant que vous ne tentiez pas de les vendre.

Quel plaisir ce dut être… d’échanger vos cryptomonnaies sans valeur contre les cryptomonnaies sans valeur d’un autre… toutes explosant à la hausse telles des fusées partant pour la Lune… et tout le monde devenant riche !

Les millions de Mashinsky

A son sommet, en 2021, le marché des cryptomonnaies valait apparemment près de 3 000 Mds$. C’était de la nouvelle « monnaie » qui, comme les dollars créés par la Fed, n’existait pas auparavant. Et tout le monde en voulait une part. La peur de manquer la bonne occasion saisissait les investisseurs. Ils avaient entendu – presque quotidiennement – parler des montants gagnés par ceux qui investissaient dans les cryptos.

La compétition devint alors féroce. Comment faire rentrer le public dans le casino… et comment le pousser à acheter votre cryptomonnaie plutôt qu’une autre ?

C’est là qu’Alex Mashinsky a vu une opportunité. Au sommet de la folie, il fut révélé que la compagnie de Mashinsky, Celsius, avait réalisé une avancée décisive. Elle finançait le secteur des cryptomonnaies. Et elle partagerait ses gains avec les « déposants » – payant jusqu’à 17% « d’intérêts », soit environ 30 fois plus que les banques traditionnelles.

Il n’y avait que peu de risques ; Celsius détenait des millions de dollars d’actifs (principalement composés de sa propre cryptomonnaie, CEL) et ses prêts étaient garantis par des collatéraux solides. Selon Mashinsky lui-même :

« Ces prêts sont garantis. Cela signifie que les institutions confient des actifs ou des dollars à Celsius avant que nous leur donnions les actifs numériques. Cela protège la communauté d’investisseurs et les empêche de perdre quoi que ce soit. »

Ce genre d’affaire est trop beau pour être évité. Mais il est aussi trop beau pour être vrai. Il est impossible d’obtenir 17% « d’intérêts » dans un monde où la norme est de 3% ou 4%, même avec les meilleures garanties.

Ce que Mashinsky faisait en réalité, c’est opérer une pyramide de Ponzi. Les déposants apportaient de la monnaie. Mashinsky pariait avec. Tant que les cours des cryptomonnaies montaient et que les paris étaient gagnants… plus de monnaie rentrait par le bas de la pyramide, tandis qu’il était capable de payer les « intérêts » par le haut.

Mais, quand les lumières commencèrent à s’éteindre dans le casino, les « garanties » de Mashinsky se révélèrent n’être que les cryptomonnaies sans valeur avec lesquelles il avait commencé.

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