La Chronique Agora

De la Fed à Hermès, un vrai luxe de ruineuses absurdités

▪ Les grand argentiers du G20, réunis à Séoul samedi matin pour la photo souvenir, arboraient comme d’habitude de larges sourires… inversement proportionnels à l’étroitesse des mesures concrètes annoncées à l’issue du sommet préparatoire à la réunion des chefs d’Etat des 11 et 12 novembre prochain.

Le dollar a été pris de faiblesse dès la reprise des cotations ce lundi en Europe puis à New York (le billet dévissait jusque vers 1,4080/euro et sous les 80,50 yens). Cela démontre qu’au-delà de la posture d’autosatisfaction des membres du G20, aucune disposition visant à prévenir ou endiguer les stratégies de dévaluation compétitives n’a été évoquée, ni même envisagée.

La réduction des déséquilibres budgétaires serait le but à atteindre mais il n’est fait mention d’aucune méthodologie précise pour y parvenir.

Le dollar reste donc ballotté au gré des anticipations concernant l’ampleur des nouvelles mesures envisagées par la banque centrale américaine pour — c’est la version officielle — relancer l’économie.

▪ Selon le président de la Fed de Philadelphie, Charles Plosser, la deuxième phase d’assouplissement quantitatif (ou « QE2 », pour quantitative easing 2) pourrait être de « seulement » 500 milliards de dollars. Jeffrey Lacker ou James Bullard avaient déjà indiqué qu’ils souhaitaient des montants encore plus modestes (400 milliards de dollars).

Certains économistes considèrent au contraire que pour être efficace, ce nouveau quantitative easing devrait être d’au minimum de 4 000 milliards de dollars — soit 10 fois les estimations basses… ou un quart du PIB américain.

D’après les dernières rumeurs à l’emporte-pièce, la Fed pourrait viser au milieu de cette fourchette et racheter de 1 500 à 2 000 milliards de dollars de bons du Trésor US. C’est à dire autant que lors du « QE1 ».

Qui sait vraiment à quoi correspond cette sarabande des zéros alignés derrière des 1, 2, 3 ou 4 ? Va-t-on tirer au sort l’un de ces quatre chiffres en retournant trèfle, carreau, coeur ou pique ? Wall Street va-t-il jeter ses cartes si la Fed relance timidement de 200 milliards d’euros d’ici fin 2010… ou faire tapis si elle mise gros avant le flop (dans tous les sens du terme) ?

Les municipalités américaines en sont à rogner sur le budget des intérimaires préposés aux cantines scolaires et à éplucher les factures d’électricité du bureau du shérif. Mais parallèlement, Wall Street se demande s’il faut anticiper le financement de l’équivalent d’une ou 10 années d’occupation de l’Irak (pfff, quelle différence ?).

▪ Nous voici plongés de plus en plus profondément dans la perte de contact avec le réel. Wall Street se retrouve en plein questionnement métaphysique : faut-il 4 kg ou 40 kg de dynamite pour éliminer un pied de nénuphar au milieu d’un étang ?

En fait, 40 g suffisent s’ils sont placés au pied de la plante. La charge de 40 kg fera juste un grand « boum » et une énorme gerbe marronnasse si la Fed l’installe, comme la dernière fois, dans une vieille barcasse à proximité de la plante.

Les feuilles en surface seront déchiquetées… mais les racines de récession économique qui courent au fond de l’eau resteront parfaitement intactes.

Les Japonais ont déjà organisé de véritables festivals de geysers quantitatifs durant une décennie sans éradiquer la déflation… Au moins, ils ont su créer de nombreux emplois d’artificiers et favorisé le commerce des casques insonorisant.

En Europe, ni les banques centrales ni les gouvernements ne font plus semblant de vouloir soutenir la relance. En France, le virage de l’austérité vient d’être pris dans un grand crissement de pneus… suivi d’un grand silence des pompes à essence.

▪ Pendant que les classes moyennes occidentales sont passées à la moulinette par la crise, les nouveaux riches des pays émergents font la queue rue du Faubourg St-Honoré, sur les Champs-Elysées ou sur la 5ème Avenue (où les prix en dollars font l’effet d’une solderie permanente) pour dévaliser nos deux champions nationaux du luxe.

Il fut beaucoup question d’eux ce lundi. LVMH a en effet annoncé samedi matin avoir ramassé 14,5% du capital d’Hermès — sans avoir déclaré le moindre franchissement de seuil : les autorités décideront si les moyens en oeuvre sont « réguliers »… ou non.

LVMH affirme en outre s’être assuré du contrôle de 2,5% du capital supplémentaire par le biais d’obligations convertibles. Le cours d’Hermès s’est envolé de 16% lundi, au-dessus des 200 euros. Sa capitalisation dépasse désormais largement celle de Saint-Gobain ou du géant du BTP Vinci, avec leurs centaines de milliers de salariés.

D’autres chiffres donnent le vertige. Additionnez les 17% (ou un peu plus) détenus par LVMH aux 73% que contrôlent la famille fondatrice et les héritiers de Jean-Louis Dumas : vous constaterez sans difficulté que le « flottant » sur Hermès est désormais inférieur à 10% du capital.

C’est en fait beaucoup moins que cela en pratique, car les fonds d’investissement et les SICAV en détiennent plus de 5% pour des raisons d’impératif de réplication de l’indice SBF 120. Ils ne peuvent pas les vendre pour des raisons techniques, sauf si le cours venait à rebaisser plus vite que l’indice sectoriel du luxe. Hermès constitue donc un magnifique exemple de corner haussier.

▪ Il n’y a plus de liquidités, les titres sont introuvables sur le marché… cela rappelle un peu le corner sur Volkswagen fin octobre 2008.

Le cours de VW quintupla en 48 heures les 27 et 28 octobre 2008 lorsqu’il apparut que Porsche détenait en fait 74% des actions (par le jeu des options d’achat) et non pas 42,5% comme le pensaient les opérateurs — sans oublier l’état de Basse-Saxe qui s’abstint soigneusement de vendre ses 20% en pleine furia haussière. Tout cela de telle sorte que le « flottant » s’avéra soudain inférieur à 6% alors que la position vendeuse sur ce titre outrageusement surévalué dépassait les 10%.

Volkswagen devint en quelques heures la plus grosse capitalisation mondiale de tous les temps (320 milliards d’euros le 28 octobre 2008, pour un PER de 1 000 fois les bénéfices)… Alors que dans le même temps, l’ensemble des constructeurs automobiles de la planète étaient en plein déconfiture, et les firmes américaines au bord du dépôt de bilan.

Des banques allemandes ayant vendu à découvert le titre, qui affichait depuis des mois une valorisation complètement délirante (trois fois celle de Daimler ou Toyota), échappèrent de peu à la faillite. Elles perdirent toutefois stupidement des milliards… et la passivité des autorités boursières allemandes devant la soudaine disparition de la liquidité et l’absurdité de la situation demeure un mystère.

Mais n’y a pas non plus de limites à l’absurdité des cours à la baisse. Regardez pour preuve le « flash krach » de mai dernier, avec des géants du S&P dont la valeur de marché a été réduite à un cent (0,01 $) en quelques minutes.

Le parallèle Volkswagen/Hermès n’est peut être pas à 100% pertinent, mais si la position vendeuse dépassait le million de titres, il importerait peu que le PER dépasse les 50 en 2010 ou 45 en 2011. En effet, graphiquement, depuis le débordement de la résistance oblique long terme des 130 euros, l’ascension du titre ne connait plus de limite technique — la notion de surachat étant totalement éclipsée par la pénurie de titres.

Selon les standards classiques de valorisation des entreprises du luxe, le titre serait déjà très bien payé à 120 euros. Cela représente six fois le chiffre d’affaires annuel, ce qui est déjà astronomique, si les prévisions les plus optimistes se réalisaient en 2011 et 2012.

La capacité des marchés à déterminer une juste valorisation (la fameuse « efficience ») est mise en échec. Elle le restera tant que les autorités boursières n’institueront pas de plancher en termes de pourcentage de titres négociables pour justifier une cotation sur un marché de type SRD.

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