** Les places européennes s’en sont tirées à bon compte jeudi… mais pas les automobilistes. Ils étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée sur les routes d’Ile-de-France hier à cause des grèves dans les transports, et ils se sont retrouvés englués dans des embouteillages apocalyptiques au coeur de la capitale, pour cause de cortèges de manifestants s’étendant sur plusieurs kilomètres de la Bastille à la place de l’Etoile.
Se retrouver cloué sur place pendant deux heures, dans l’impossibilité de traverser la capitale du sud vers le nord (et réciproquement), cela use les nerfs… tandis que des dizaines de milliers de véhicules ont brûlé un précieux carburant en pure perte : quelques dizaines de mètres parcourus et la jauge d’essence qui plonge dans le rouge, un passage par la case pompiste s’est souvent avérée nécessaire.
Et là, ce fut le choc pour beaucoup d’automobilistes : le diesel a pris 10 cents (+6%) en moins de 10 jours. Il vaut désormais en moyenne 8 cents de plus que le Sans plomb 95 (soit 1,53 euros le litre contre 1,45 euros en région parisienne).
Le coût d’un plein de gasoil s’est donc renchéri de six euros depuis le week-end de la Pentecôte. Cela représente un paquet de cigarettes (raison de plus pour arrêter de fumer !)… une bouteille de beaujolais (raison de plus pour arrêter de boire !)… ou un ticket restaurant (raison de plus pour maigrir avant d’aller s’étendre sur les plages !).
Mais nous n’aimons guère les leçons de morale et encore moins nous priver des menus plaisirs de l’existence : ce qui précède n’était qu’une provocation ! Nous voulons simplement mettre l’accent sur le fait que les ménages « un peu justes financièrement » (et ils sont de plus en plus nombreux) sont d’ores et déjà contraints de faire des arbitrages — un restau en moins par-ci, une réparation en moins dans la maison par-là… et le sentiment que le banquier se fait tirer l’oreille lorsqu’il n’y plus d’autre solution que de changer la vieille voiture qui a passé en fumant et hoquetant la barre des 250 000 kilomètres.
Avez-vous vraiment le sentiment que l’euro vous protège de l’inflation et qu’il soutient la croissance ? Cette dernière serait selon de nombreux experts le fruit d’une pure abstraction statistique… et préfigure, de l’avis général, des lendemains qui déchantent.
** Vous ne croyez pas à une Europe épargnée par la crise systémique et les pressions inflationnistes, mais la bourse, elle, affectait d’en être convaincue… tout du moins jusqu’à lundi soir. Le baril à 135 $ a écorné la confiance des marchés jeudi, mais il a suffi que le pétrole corrige un peu ses excès de la matinée pour que les indices reviennent à l’équilibre.
Paris clôturait stable : si le CAC 40 grappillait 0,02%, le SBF 120 reculait de 0,03%. Le SBF 80 terminait assez nettement dans le rouge (-0,4%), les valeurs moyennes semblant plus vulnérables à une dégradation de la conjoncture que les blue chips de la cote qui surfent — en théorie — sur la croissance indienne ou chinoise (nous démontrerons dans une prochaine chronique qu’il s’agit d’un lieu commun… mais il a la vie dure !).
L’Euro-Stoxx 50 terminait également en repli de 0,03% mais l’Eurotop 100 a pris +0,37%… et ce n’est pas grâce à Londres (-0,2%) ni à Zurich (+0,05%) : l’indice paneuropéen a bénéficié d’un mouvement de rotation sectorielle en faveur des valeurs télécom.
Des titres comme Ericsson ont pris 3,2%, KPN et Vodaphone 3%, Telecom Italia 4,6% : leur caractère défensif et leur rendement attractif ont été plébiscités en cette période de dégradation de l’environnement macro-économique et boursier. A Paris, France Télécom n’a pas terminé au mieux (+1,35%) mais figurait tout de même dans le quinté de tête derrière EDF (autre défensive notoire). Cette dernière signait la troisième plus forte hausse du CAC 40 avec un gain de 2,5% ; la veille c’était Total qui avait tempéré la chute du marché parisien.
La fin de la séance a été marquée par une vive correction du baril de pétrole. Il rechutait en à peine deux heures de 134,7 $ jusque vers 132 $. C’est oublier un peu vite que l’or noir valait 3 $ de moins en début de semaine (135,1 $ ce jeudi matin, nouveau record absolu)… et 25 $ de moins au début du mois de mai.
** Wall Street profitait néanmoins de l’occasion pour amorcer un timide rebond technique au lendemain d’une chute de 1,75%. Le Dow Jones et le Nasdaq se redressaient de 0,25% et 0,8% respectivement à mi-séance, le S&P 500 de 0,5%.
Le parti pris de l’optimisme semble avoir prévalu outre-Atlantique à l’occasion des chiffres macro-économiques du jour. Si le chômage hebdomadaire recule de 9 000 (à 365 000), le prix moyen des maisons chute de 1,7% sur le premier trimestre 2008, avec un recul qui s’établissait à 0,4% en mars (la crise de l’immobilier n’est pas terminée !).
Il ne faut pas perdre de vue qu’à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis, Wall Street doit demeurer le baromètre dont la grande aiguille pointe invariablement vers le beau fixe… et tant pis s’il faut installer derrière son support un « super aimant » pour la maintenir dans cette position aussi avantageuse qu’artificielle.
** Les medias et les économistes s’exprimant sous le contrôle de la Maison-Blanche ont tenté de convaincre les investisseurs que le gros de la crise est révolu (air connu !). Si c’est vrai, pourquoi l’assureur AIG vient-il de lever 20 milliards de dollars d’argent frais — à prix d’or — le lundi 19 mai alors que son projet initial était d’un calibre beaucoup plus modeste de 12,5 milliards de dollars ?
Imaginer que cette augmentation massive de capital aurait pour but de « couvrir » de futures dépréciations d’actifs ou le rachat de filiales en grande difficulté ne serait que pure spéculation malveillante.
Tout comme la remise en cause de la sincérité des statistiques d’inflation aux Etats-Unis : d’après une étude « indépendante » (disponible sur CNBC… qui est considéré, faut-il le préciser, comme un média plutôt « à gauche »), les prix de l’énergie ont fait un bond de 30% en 12 mois, ceux des carburants ont grimpé de 13% depuis le 1er janvier (calcul réalisé avant que le baril passe la barre des 125 $, et il a pris 6% de plus en quelques jours).
Ajoutez-y un bon 5% de hausse sur les aliments… et des millions de ménages américains –apprenant à la radio que l’inflation somnolait à 0,2% au mois d’avril — se retrouvent dans le rouge avant même d’avoir refermé le coffre de leur véhicule sur le parking du centre commercial le plus proche. Quant à passer faire le plein à la pompe, cela devient une épreuve : le surcoût avoisinerait entre 500 $ et 800 $ par ménage et par an, en fonction de la cylindrée.
La carte de crédit prend le relais des paiements en espèce de plus en plus tôt dans le mois et la liste des défauts de remboursement s’allonge… Allez ensuite soutenir que les pressions inflationnistes restent sous contrôle ! Même la Fed y a renoncé mercredi soir lorsqu’elle a publié les minutes de sa dernière réunion du 30 avril — c’est dire !
Philippe Béchade,
Paris