La Chronique Agora

D'amour et d'eau fraîche

** Une tempête spectaculaire — mais brève — s’est abattue sur Laguna Beach la semaine dernière. Une pluie torrentielle a arrosé les collines desséchées pendant quelques heures, tandis que des vents violents faisaient danser les palmiers au bord de la plage. Le lendemain, la pluie avait reculé, le soleil avait refait son apparition, et les Ferraris étaient ressorties de leurs garages.

– Votre correspondant est sorti d’un Starbucks, triple capuccino en main, alors que le soleil émergeait des nuages. Alors que nous nous promenions entre les flaques sur le trottoir, nous avons croisé un couple de sexagénaires visiblement très amoureux, en train de roucouler et de s’embrasser sur un banc. Alors que votre correspondant s’approchait, l’homme leva un visage rayonnant, et clama : "un peu d’eau fraîche et beaucoup d’amour — y’a rien de mal à ça !"

– "C’est bien vrai", avons-nous répondu, "voilà donc une journée réussie !"

– Beaucoup d’eau fraîche et un peu d’amour, ce n’est pas mal non plus, avons-nous pensé, méditant sur le fait que notre compagne habite à plusieurs milliers de kilomètres de là, à New York. Mais n’étant pas enclin à l’auto-apitoiement, nos pensées sont vite retournées à la beauté des panoramas fraîchement lavés par la pluie… puis au destin du dollar US.

** Le dollar, le pauvre dollar mal-aimé, semble avoir toutes les chances de devenir le principal sujet des discussions économiques de 2007. En fait, dans une récente entrevue, votre correspondant a prédit que 2007 serait "l’Année du Dollar" — par quoi nous voulions dire "l’Année de la Chute du Dollar".

– Mais Dan Denning, notre collègue d’Australie, nous rappelle que 2007 sera "l’année du cochon", en Chine. Peut-être sommes-nous en train de dire la même chose. Il ne fait aucun doute que le billet vert commence à émettre des effluves décidément porcins.

– En 2006, le dollar a sévèrement chuté par rapport à toutes les principales devises mondiales — et par rapport à toutes les principales matières premières mondiales. Bref, il a perdu beaucoup de valeur par rapport à presque tout. Un rebond devrait donc être à l’ordre du jour. Mais une vigueur éphémère à court terme ne compenserait pas la faiblesse inexorable à long terme du billet vert.

– Lorsque nous humidifions notre index virtuel et l’élevons dans les airs, nous découvrons que les vents monétaires mondiaux soufflent contre le dollar. Pour commencer, le déficit courant américain, qui dépasse 800 milliards de dollars par an, se monte au chiffre alarmant de 7% du PIB. Ce pourcentage élevé dépasse des niveaux qui ont condamné bon nombre de devises mineures par le passé.

– Parallèlement, plusieurs des plus grands détenteurs de dollars de la planète ont affirmé leur volonté de posséder moins de billets verts à l’avenir. Rien que la semaine dernière, les Emirats Arabes Unis (EAU) ont annoncé qu’ils convertiraient 8% de leurs réserves de changes, les faisant passer des dollars aux euros avant septembre prochain. Pour l’instant, 98% des réserves des EAU sont en dollars, et 2% seulement en euros.

– "Nous accumulerons des euros chaque fois que le marché semble être dans une période de creux", a déclaré le Sultan Bin Nasser al-Suwaidi.

– Les EAU viennent ainsi grossir les rangs de pays producteurs de pétrole — comme l’Iran, le Venezuela et l’Indonésie — cherchant à convertir leurs réserves de change en euros et/ou vendre leur pétrole contre des euros plutôt que des dollars.

– "Cela ne se limite pas aux EAU", observe Simon Williams, économiste chez HSBC Holdings Plc. "Dans le Golfe tout entier, on s’intéresse aux avantages de la diversification des réserves monétaires".

– Pour preuve, Bloomberg News rapporte que "la part des dépôts de change détenus en dollars par les producteurs de l’OPEP — dont font partie l’Arabie Saoudite et les EAU — a chuté à un plus bas de deux ans : 65% au cours du second trimestre [2006], contre 67% au premier trimestre, comme le montrent les chiffres publiés par la Banque des règlements internationaux".

** Les Chinois aussi font preuve de moins d’enthousiasme vis-à-vis du dollar. Après les déclarations de nombreux officiels chinois selon lesquelles les réserves de change du pays sont désormais trop abondantes, la Chine a réduit ses achats de bons du Trésor US de 1,7% au cours des 10 premiers mois de 2006.

– Jusqu’à présent, les ventes de dollars "officielles" de la Chine, des EAU et consorts ne représentent guère plus qu’un filet d’eau. Mais si ce filet se transforme en inondation… le dollar se retrouvera entièrement à court d’amour.

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