Tandis que les sanctions financières pleuvent sur les entreprises commerçant en dollars, l’attractivité des cryptomonnaies augmente.
L’agressivité de la guerre économique s’intensifie : le montant des amendes négociées par le Département américain de la Justice avec des entreprises étrangères a été « multiplié par 10 depuis 2010 », évalue Karine Berger, ex députée (PS) et co-autrice en 2016 d’un rapport parlementaire sur l’extraterritorialité de la législation américaine.
Le périmètre de domination américaine s’étend : le FBI se considère compétent pour enquêter sur toute entreprise à partir du moment où celle-ci utilise des serveurs américains, par exemple pour ses e-mails.
Le Cloud Act, voté en mars, autorise les services de renseignements américains et le Département de la Justice à enquêter sur les données détenues par les data centers américains à l’étranger. La puissance de frappe des GAFAM, associée à l’hégémonie du dollar, renforce encore davantage le pouvoir de pression économique des autorités américaines sur les « alliés » européens.
La pression américaine monte et ça marche pour Washington : le 8 mai dernier, à la suite de la dénonciation par Donald Trump de l’accord de Vienne avec l’Iran, Total a renoncé au projet gazier South Pars 11 (SP11) en Iran, annonçant « mettre fin à toutes les opérations qui y sont liées avant le 4 novembre 2018, à moins qu’une dérogation propre au projet ne soit accordée par les autorités américaines, avec le soutien des autorités françaises et européennes ».
L’Union européenne commence à réagir. Le sommet de l’UE organisé à Sofia (Bulgarie) a été dominé par la réaction au retrait américain de l’accord de Vienne, avec plusieurs mesures prises pour riposter aux Etats-Unis.
Un bras de fer commence : Trump a annoncé viser les voitures allemandes.
La réaction européenne ira-t-elle jusqu’à tendre la main à la Russie ? C’est politiquement et diplomatiquement compliqué, surtout avec les pays d’Europe de l’est, méfiants à l’égard des velléités expansionnistes de Moscou – la guerre en Ukraine est même à l’origine des sanctions frappant la Russie.
La proposition russe de libeller les transactions internationales en euros est-elle vraiment si révolutionnaire que cela ?
J’ai demandé son avis à Maxim Kvasha, un journaliste économique qui a travaillé pendant plusieurs années sur les pages Argent de Kommersant, le célèbre quotidien économique russe, et… il reste très réservé.
Selon lui, « cette proposition d’abandonner le dollar au profit de l’euro n’a rien de nouveau, ça ressort régulièrement, sans être accompagné de plan concret. Mais dans les faits ce n’est pas pratique pour les entreprises privées ».
Cette politique russe se heurte régulièrement à l’inertie des marchés internationaux ; elle ne débouche le plus souvent que sur des accords avec d’autres pays également frappés de sanctions américaines, comme l’Iran, ou bien avec le voisin chinois. Ainsi, le géant gazier russe Gazprom et le chinois CNPC ont convenu en juin 2015 de privilégier les échanges dans leurs monnaies respectives.
Les cryptomonnaies, nouveau bataillon en renfort
Le salut pourrait bien passer par l’adoption d’une cryptomonnaie comme devise des échanges internationaux afin d’échapper au contrôle américain sur le dollar.
A peine quatre jours après avoir proposé de passer à l’euro pour ses transactions internationales, la Russie a fait des gestes en direction des cryptomonnaies. Le 30 mai, la banque centrale de Russie a publié un rapport concluant que les actifs crypto ne menacent pas la stabilité financière mondiale.
Une semaine plus tôt, la banque russe Sberbank CIB et la National Settlement Depository (institution financière avec un rôle de dépositaire central) ont annoncé préparer leur propre Initial Coin Offering (ICO), le patron de la Sberbank CIB, Igor Bulantsev, l’ayant notamment justifié par le fait que la banque avait de nombreux clients qui « étaient intéressés par cette nouvelle façon de lever des fonds ».
Est-il déraisonnable d’imaginer qu’un jour Total, BNP Paribas ou Airbus développerait une comptabilité parallèle, en bitcoins, ripples ou ethereums pour échapper aux poursuites de l’administration Trump ?
La guerre commerciale de Trump précipitera-t-elle la fin de l’hégémonie du dollar ?
Reste à s’entendre sur un token suffisamment répandu et facilement convertible en monnaies fiduciaires classiques pour que sa détention ne soit pas pénalisante : l’euro lui-même n’a pas réussi à ravir au dollar tout-puissant la fonction de monnaie de réserve internationale ou de monnaie des transactions internationales.
Pourtant, il y a un an déjà, une quarantaine de banques et établissements financiers (dont BNP Paribas) ont apporté 107 M$ au consortium R3 pour le développement d’applications commerciales de la blockchain.
Dans le même temps, des banques européennes, justement, (Deutsche Bank, HSBC, KBC, Natixis, Rabobank, Société Générale et UniCredit) planchent avec IBM sur une solution utilisant la blockchain pour faciliter le financement du commerce international ; la banque argentine Banco Masventas a déjà annoncé utiliser le bitcoin pour ses virements transfrontaliers.
La guerre commerciale déclarée par le président américain se doublera-t-elle d’une guerre des monnaies et canaux de paiement précipitant ainsi la fin du monopole du dollar ?
Antony Drugeon