La Chronique Agora

Crowdfunding : une addition salée pour les épargnants

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Abandonnées par les plateformes elles-mêmes, qui cessent leur activité ou délèguent désormais les procédures de recouvrement aux créanciers, les victimes du crowdlending immobilier n’ont plus grand-chose à espérer.

Le financement participatif, un temps pressenti comme une manière efficace et rentable de débancariser l’épargne des particuliers, n’aura jamais tenu ses promesses.

Après un début en fanfare et une première consolidation, le secteur s’était recentré sur les secteurs les plus rentables au début des années 2020. La hausse des taux d’intérêt aurait pu lui offrir une nouvelle jeunesse, avec la possibilité d’offrir aux épargnants des taux d’intérêt bruts bien plus élevés que ceux des produits bancaires.

Las, non seulement la hausse du coût de l’argent n’a pas été totalement répercutée sur la rentabilité des projets, mais les taux de défauts s’envolent depuis deux ans. Alors que le sort de nombreux dossiers est de plus en plus inquiétant, les rémunérations perçues ne parviennent déjà plus à couvrir les défauts.

Signe que même les plateformes de levées de fonds ne croient plus au modèle : certaines cessent leur activité, tandis que d’autres annoncent ne plus prendre en charge le recouvrement des créances.

Entre une rémunération réelle basse, un risque mal évalué et des intermédiaires financiers de moins en moins capables de faire jouer les garanties, les investisseurs particuliers se retrouvent face à une espérance de gain négative. Pour eux, les chances de recouvrer leur mise sont de plus en plus faibles.

Crowdequity et crowdlending : deux échecs successifs

Le modèle français du financement participatif est né autour de deux activités complémentaires : la prise de participations au capital d’entreprises (crowdequity) et le financement obligataire (crowdlending). Ces deux piliers permettaient aux épargnants de choisir s’ils souhaitaient s’engager auprès des entrepreneurs en partageant les gains potentiels de leur activité, ou simplement octroyer des prêts à taux fixes – en théorie, moins rentables mais moins risqués.

En supprimant l’intermédiaire bancaire, les plateformes organisant les levées utilisaient l’efficacité d’Internet pour mettre en relation créanciers et débiteurs : une numérisation et une démocratisation du financement de l’économie réelle qui auraient pu faire le bonheur de tous les protagonistes.

La réalité des choses a été bien différente.

L’essor du crowdequity a eu lieu en pleine période d’impression monétaire, lorsque les vannes du financement bancaire étaient ouvertes en grand. Les taux pratiqués par les banques étaient au plancher, tandis que les conditions d’octroi de crédit étaient particulièrement laxistes. Aussi, à de rares exceptions-près, les start-ups qui se tournaient vers le financement participatif faisaient partie des quelques entreprises à n’avoir pas réussi à convaincre leurs partenaires bancaires – un signal inquiétant. De fait, une proportion infime des dossiers a permis aux investisseurs en crowdequity de réaliser une sortie en plus-value.

Prenant acte de la faible qualité des entreprises ouvrant leur capital, plusieurs plateformes se sont recentrées sur le financement obligataire, et plus particulièrement le financement immobilier.

Le modèle présenté était, à première vue, bien plus favorable aux prêteurs. Les opérations financées avaient vocation à être bouclées en 24 à 36 mois, tandis que des garanties étaient prises sous forme d’hypothèques sur les biens, de cautionnement par des sociétés, ou même de caution personnelle des entrepreneurs.

« Quand le bâtiment va, tout va. » Cette sécurité apparente justifiait de n’offrir aux prêteurs que des rendements compris entre 8% et 11% par an. Bien mieux qu’un Livret A, en termes de rendement brut, mais, en pratique, pas assez pour couvrir les défaillances. Lorsque les retards et les abandons de projet se sont multipliés, les garanties se sont avérées trop faibles pour permettre aux prêteurs de récupérer leur mise.

Chez Monego, active depuis 2017, plus de 17% des projets ouverts en 2022 sont en retard de paiement. Sur les années 2021 et 2022, 11 projets sont en procédure collective ou judiciaire, voire en perte définitive. La sinistralité dépasse ainsi les 21% pour les dossiers ouverts avant le cycle de hausse des taux de la BCE.

Le nombre croissant de contentieux a poussé les plateformes, qui représentaient jusqu’ici volontiers la masse des investisseurs en justice pour faire valoir leurs droits, à cesser leur activité ou à facturer ces prestations en sus – faisant du recouvrement des sommes dues un nouveau pari coûteux pour les prêteurs déjà en moins-value.

Quand les plateformes jettent l’éponge

Déficitaire en 2022 et 2023, la plateforme Koregraf a annoncé il y a quelques jours la fin son activité. Avec un chiffre d’affaires de seulement 1,1 M€ l’an passé et une perte de 2,8 M€, le fonctionnement à fonds perdus n’était plus possible – d’autant que l’essoufflement du marché immobilier venait limiter encore le chiffre d’affaires de la start-up, qui se rémunérait sur les montants levés.

Avec une moitié des projets en défaut à différents stades, la start-up a décidé de mettre en place un système de collecte pour régler les frais de recouvrement. Une véritable double peine pour les investisseurs qui doivent remettre au pot pour espérer recouvrer une partie de leurs dettes, et une véritable incitation pour les emprunteurs, même solvables, à cesser les remboursements.

Ce mécanisme de désengagement n’est pas limité aux sociétés en cessation d’activité.

WiSEED, l’une des références françaises du crowdfunding, a également indiqué le 17 avril la mise en place d’appels de fonds auprès des investisseurs pour financer les démarches judiciaires à venir, y compris sur les projets existants. Avec un coût estimé entre 4% et 8% des montants levés initialement, sans garantie de succès, le risque est réel que les particuliers préfèrent limiter leurs pertes en prenant acte de leur moins-value sans remettre au pot.

Là encore, il s’agit d’un signal particulièrement dangereux à envoyer aux emprunteurs. Si l’ouverture d’une procédure de recouvrement est conditionnée à la motivation et à la solvabilité d’une masse d’investisseurs particuliers à un instant T, jouer le défaut de paiement volontaire peut devenir une stratégie rentable.

Pour les particuliers, cette évolution des pratiques vient aggraver la probabilité de perte sur les projets en cours, et rend les futurs projets totalement inintéressants à moins que les plateformes ne négocient une rémunération autour des 20% par an.

A moins d’une véritable remise à plat du modèle économique, le plus probable est que le crowdlending immobilier suivra le même sort que le crowdfunding : une bonne idée sur le principe, mais qui a surtout enrichi quelques entrepreneurs indélicats face à des épargnants particuliers désarmés pour faire valoir leurs droits.

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