▪ Tous les nuages se sont dissipés en l’espace d’un week-end, si nous en croyons les commentaires qui ont refleuri à l’issue d’une séance où les indices européens ont repris la bagatelle de 1,8%.
Les risques géopolitiques ont disparu des discours puisque les éventuelles frappes contre Damas sont repoussées d’une semaine à 10 jours. La croissance est de retour en Chine, le PMI publié dimanche par Pékin ressortant en forte hausse en août (à 51 contre 50,1 en juillet). C’est invérifiable, l’écart est d’une ampleur inattendue, mais pourquoi devrait-on pour si peu remettre en doute ce petit miracle ?
Toute analyse critique a d’ailleurs été évacuée dès le début de la matinée par la publication de la seconde estimation des PMI européens — dont la hausse est confirmée à 51,4 par l’institut Markit.
Pour que le bonheur des économistes soit complet, les PMI italiens et espagnols sont ressortis au-dessus du seuil technique de 50. Oublions vite que la France voit le sien stagner à 49,7 au mois d’août alors que les ventes d’automobiles ont encore chuté, de 11% cette fois-ci.
▪ Une reprise pour la fin de l’année ?
Bien sûr, les chiffres publiés par Markit résultent d’une enquête et non pas d’un constat portant sur une situation avérée. D’après les « attentes » compilées ces dernières semaines, au sortir d’un deuxième trimestre particulièrement médiocre (les profits ont chuté de 15% pour les valeurs du CAC 40 au premier semestre), les entreprises croient à la reprise d’ici la fin de l’année.
Les analystes sont sur la même longueur d’onde : ils voient par exemple les bénéfices passer de 33 milliards d’euros à 75 milliards d’euros au 31 décembre prochain — soit une progression d’un bon tiers malgré un momentum économique qui demeurait négatif durant les deux premiers mois de l’été.
La raison en est simple : les entreprises vont « cartonner » ces quatre prochains mois… enfin disons plutôt ces trois prochains mois car tout s’arrête vers le 20 décembre pour la Trêve des Confiseurs.
Si vous interrogez les stratèges sur les raisons de leur optimisme, eh bien figurez-vous que la déconfiture de nombreux pays émergents est une bonne nouvelle. En effet, les investisseurs vont se recentrer sur les pays européens où les coûts de production redeviennent beaucoup plus compétitifs, surtout dans les pays du sud (ou en Irlande), où les revenus des classes moyennes se sont effondrés en l’espace de trois ans.
Nous ne pouvons que nous associer à leur ravissement et regretter que la France ne suive pas le sage exemple de l’Allemagne, qui a créé son propre contingent de travailleurs pauvres depuis 2004. Comment se fait-il que notre pays résiste depuis bientôt 10 ans à un processus d’alignement progressif des salaires sur ceux des ex-Républiques soviétiques qui ont rejoint l’Union européenne depuis l’an 2000 ?
▪ L’arrêt du QE3, sans conséquences
Ceci dit, examinons d’un peu plus près les anticipations de rebond du PIB aux Etats-Unis et sur le Vieux Continent. Nous sommes au moins d’accord sur un point avec le courant de pensée dominant — celui qui concerne l’absence de conséquences d’un arrêt progressif du QE3.
La planche à billets ne soutient pas la croissance, donc la Fed peut arrêter d’imprimer, cela ne changera pas grand’chose. D’ailleurs, cela fait presque un an jour pour jour qu’elle inonde l’économie américaine et l’activité réelle n’a cessé de se contracter depuis cette date.
Ne vous fiez pas à la récente révision à la hausse du PIB US, de 1,7% à 2,5%. Les statisticiens de Washington ont « redressé » l’impact du versement des dividendes par les entreprises, puis rehaussé l’effet stocks et tenu plus grand compte de l’amélioration de la balance commerciale.
Les Etats-Unis ont réduit leurs importations (là encore nous sommes d’accord), ce qui est très bon signe… sauf si c’est dû à une baisse de la consommation des ménages — mais évacuons au plus vite cette sinistre hypothèse.
Le principal argument qui ressort dès que les indices boursiers progressent, c’est que les actions européennes « ne sont pas chères »… par rapport à celles cotées à Wall Street. Soulignons cet accès de lucidité des analystes : la formulation induit que les composantes du S&P 500 et du Nasdaq sont « bien valorisées ».
Toutefois, ils précisent immédiatement que le niveau de profitabilité des entreprises américaines est revenu à ses niveaux record de l’été 2007, voire un peu au-dessus : normal, il y a bien moins de salariés qu’à l’époque, à charge de travail égale.
Et de combien le Dow Jones dépasse-t-il ses sommets de 2007 ? Le Russell 2000 ? C’est juste vertigineux en ce qui concerne l’indice le plus large avec un bonus de 20% (toujours à profits égaux) — mais avec des projections bien moins favorables qu’il y a six ans. L’on ne cesse de nous répéter que les marchés achètent l’avenir… et à l’époque, il s’annonçait radieux et l’endettement des Etats n’était pas un problème !
▪ Quelles perspectives pour 2014 ?
Peut-on qualifier de radieuses les perspectives 2014 en Europe et aux Etats-Unis, avec des taux longs qui se déconnectent des perspectives de croissance à 12/18 mois ? Ajoutons que pour atteindre +1,5% de PIB en Europe et +3% outre-Atlantique, il ne faudrait pas que le ralentissement des émergents nous affecte.
Nous n’osons imaginer que le rythme des commandes d’Airbus et de Boeing, de BMW ou d’utilitaires se contracte l’an prochain en Asie. Caterpillar le fait mais Wall Street n’en tient pas compte: ce sont des prévisions de « loser ».
De beaux esprits tentent de nous faire croire que le découplage entre émergents et pays développés va se remettre en place. Cela alors que nous avons toutes les preuves que si les BRIC, plus le Mexique, l’Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam, connaissent un brusque coup de frein conjoncturel, c’est bien parce que la demande en provenance des pays riches ne suit plus.
Comme aucun plan de relance n’est envisageable à l’échelon local tant l’ensemble des pays précités sont endettés, à part la planche à billets de la Fed, de la Bank of England ou de la Bank of Japan, nous ne voyons guère ce qui va continuer de soutenir Wall Street, le CAC 40 ou l’EuroStoxx 50.
Mais le quantitative easing est aux marchés ce que le réverbère est au poivrot : il lui procure un soutien ponctuel mais il ne l’éclaire pas.
Wall Street n’envisage toujours pas un seul instant d’investir dans l’économie réelle pour 10 ans. N’oublions pas que les marchés « font leur beurre » en enchaînant des milliers d’aller-retour dans un délai de 10… millisecondes. Même 10 minutes, à l’échelle de l’algotrading, c’est déjà une durée proche de l’éternité.
Si Wall Street s’aligne ce mardi à la hausse pour combler ses 1,5% de retard sur les places européennes, personne n’ose parier que le CAC 40 parviendra à déborder les 4 015 d’ici mercredi : c’est déjà beaucoup trop loin, beaucoup trop incertain.