La Chronique Agora

La crise du coronavirus a encore intensifié la guerre contre le cash (2/2)

La dématérialisation de la monnaie par les Etats trouve une illustration saisissante en Chine, où le gouvernement passe à l’étape supérieure : la mise en place d’une monnaie entièrement numérique.

Comme nous l’avons vu hier, avec la crise du coronavirus, les mesures visant à supprimer l’argent liquide se multiplient…

Le CDC (Centre américain pour la prévention et le contrôle des maladies) recommande officiellement aux employés du secteur de la distribution « d’encourager les clients à utiliser les options de paiement sans contact ».

Un rapport de la Banque mondiale a insisté sur la nécessité de recourir aux paiements électroniques au nom de la « sécurité collective ». La banque centrale des Emirats Arabes Unis encourage l’utilisation des services de banque en ligne ainsi que les paiements électroniques « en tant que mesure de protection de la santé et de la sécurité des habitants des Emirats Arabes Unis ».

La Banque d’Angleterre a déclaré que les billets de banque pouvaient véhiculer des « virus et bactéries » et recommande à la population de se laver les mains après avoir manipulé de l’argent liquide.

Au mois de mars, l’agence Reuters a publié une dépêche révélant que la Réserve fédérale américaine avait isolé les billets en dollars américains qu’elle avait rapatriés d’Asie et que la banque centrale sud-coréenne poursuivait la même politique, pendant que le gouvernement chinois forçait les banques à désinfecter les billets et à les garder dans un coffre-fort pendant une période de 14 jours avant de les remettre en circulation.

Vive la Chine ?!

Cependant, le point marquant fut la publication au mois de mai par le Forum économique mondial sur son site officiel d’un article pour défendre l’adoption généralisée des moyens de paiement électroniques au nom de la santé publique.

Dans cette publication, les auteurs affirment que « les technologies de paiement sans contact sur le lieu de vente, telles que la reconnaissance faciale, les QR Codes ou les interfaces NFC de paiement par smartphone, peuvent permettre de réduire le risque de propagation du virus au travers des échanges d’argent liquide. »

Ils ont également applaudi les efforts de la Chine en matière de numérisation des paiements et semblent voir ce pays ainsi que les mesures qu’il a mises en place comme un modèle à suivre :

« La stratégie suivie par la Chine pour permettre le développement des moyens de paiement électroniques offre des enseignements utiles aux autres pays qui voudraient suivre la même voie. »

Etant donné que de nombreux gouvernements occidentaux risquent en effet de « vouloir suivre la même voie, » examinons ensemble de plus près ce modèle chinois tellement acclamé et ce qu’il implique réellement.

La monnaie à cours légal 2.0

Le mouvement de numérisation dans tous les aspects de l’administration, de la société et de l’économie chinoise n’a rien de nouveau et a débuté bien avant l’émergence du nouveau coronavirus.

Le tristement célèbre système de « crédit social » déployé en Chine a fait les gros titres il y a quelques années. L’empressement du gouvernement à utiliser les nouvelles technologies, internet et toutes sortes de systèmes électroniques pour surveiller les moindres faits et gestes de ses citoyens a longtemps fait l’objet de vives critiques de la part de la communauté internationale, des organisations de défense des droits de l’Homme, des partisans du droit à la vie privée et des défenseurs de la liberté d’expression.

A présent, cependant, l’Etat possède une excuse pour accélérer ses efforts en direction de l’adoption généralisée des systèmes de paiement électronique et de l’abandon de l’argent liquide.

Dans une large mesure, cette digitalisation des paiements a été une tâche beaucoup facile en Chine, étant donné que les paiements électroniques étaient déjà très largement utilisés. Plus de 80% des consommateurs utilisaient les applications de paiement sur mobile en 2019, d’après le cabinet de conseil en gestion Bain – une situation très différente de celle des Etats-Unis où moins de 10% des consommateurs ont adopté cette technologie.

Etant donné que la population avait déjà accepté cette nouvelle forme de paiement, le gouvernement a lancé une nouvelle initiative avec pour objectif de contrôler également les moyens de paiement. Un nouveau « yuan numérique » a donc été introduit. Cette nouvelle devise à cours légal, qui était en cours de développement depuis plus de cinq ans, a été déployé au mois d’avril dans quatre villes chinoises, avec pour objectif une adoption rapide à l’échelle nationale afin de remplacer entièrement les pièces et billes à cours légal.

Ce système, dénommé Digital Currency Electronic Payment (DCEP) [devise numérique de paiement électronique], sera déployé par le biais des quatre principales banques publiques chinoises. Les citoyens pourront l’utiliser en téléchargeant une application mobile de porte-monnaie électronique approuvée par la Banque populaire de Chine (BPC) et qui sera reliée à leur compte bancaire.

Un phénomène d’une importance capitale

En apparence, cela semble fonctionner exactement comme l’ancienne devise. Elle est émise et garantie par la BPC ; sa valeur est la même que celle des billets de banque traditionnels ; et grâce à un partenariat avec Alipay et WeChat Pay qui contrôlent ensemble 80% du marché national des paiements électroniques, elle pourra être utilisée pour acheter n’importe quoi et recevoir des paiements de n’importe qui d’autre.

En fait, les salaires de certains fonctionnaires ainsi que des subventions publiques sont déjà versées par le biais de cette nouvelle devise, qui est directement créditée sur le portefeuille électronique du bénéficiaire.

D’après Le Quotidien du Peuple, l’organe de presse officiel du gouvernement chinois, la nouvelle devise doit permettre de simplifier les transactions domestiques et le commerce, mais elle permettra également de faciliter les transactions à l’international.

Ce que cela signifie est très clair : il s’agit d’une nouvelle tentative de remettre en cause le statut du dollar américain en tant que devise internationale de référence, après que le projet de « nouvelle route de la soie » a échoué à réellement faire avancer les choses dans la direction qu’espérait le gouvernement chinois.

La stratégie consistant à dépenser des sommes considérables en yuans à l’étranger a bien permis de renforcer, dans une certaine mesure, l’influence chinoise sur les pays en voie de développement, mais elle est loin d’avoir permis de « détrôner » le dollar et de faire du yuan une devise de référence internationale. Cette nouvelle initiative fonctionnera peut-être plus efficacement, en particulier compte tenu du fait que la Chine bénéficie ici d’un avantage en tant que « premier arrivé ».

Entrer en premier dans cette arène des « monnaies numériques à cours légal » est d’une importance capitale – et le moment choisi pour son lancement n’est en rien une coïncidence.

La conception et le déploiement de la monnaie numérique chinoise ont été significativement accélérés suite à l’annonce par Facebook de son projet de lancement du libra, étant donné que l’Etat chinois souhaitait à tout prix éviter d’être devancé par une grande entreprise technologique privée. En fait, le yuan numérique ressemble au libra sur de nombreux points.

Plus important encore, aucune des deux n’est une cryptomonnaie, puisque par nature une cryptomonnaie doit être décentralisée et permettre des transactions directement entre utilisateurs, sans intermédiaire ou intervention d’une partie tierce. Dans le cas de ces monnaies numériques, l’émetteur constitue une partie tierce et toutes les transactions passent par l’intermédiaire d’un système totalement centralisé qui contrôle et peut accéder à l’ensemble des données.

Autre événement important qui n’avait rien d’une coïncidence : l’interdiction par le gouvernement chinois il y a quelques années des initial coin offerings (ICOs), ainsi que la mise en place d’un véritable carcan réglementaire sur les cryptomonnaies et les investisseurs en cryptomonnaies, rendant ces activités extrêmement difficiles au sein du pays. Le risque de concurrence potentielle de la part du secteur privé a ainsi été réduit à néant par le gouvernement, laissant le champ libre à sa propre monnaie numérique.


Article traduit avec l’autorisation du Mises Institute. Original en anglais ici.

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