▪ Vous cherchez le maillon faible, à long terme, du système bancaire ? Jetez donc un oeil du côté du Libor, où se refinancent les grandes banques. Quand l’une d’elles paie des taux d’intérêt plus élevés que ses consoeurs, c’est que le marché n’a plus confiance en elle. La situation s’est produite depuis début septembre 2011 pour une banque française pleine de « bon sens près de chez vous », pour reprendre une vieille publicité : le Crédit Agricole.
▪ Le Crédit Agricole sous pression
On savait que les financements interbancaires en dollar étaient sous forte pression : les coûts de refinancement pratiqués par les banques entre elles n’ont cessé d’augmenter depuis juillet. A chaque fois qu’un cadavre sort du placard, les taux remontent. Et la Grèce a travaillé en flux tendus depuis cet été pour fournir de quoi inquiéter les marchés.
Fin novembre, une légère détente s’est faite remarquer sur le Libor à trois mois en dollar, qui a reculé pour la première fois depuis le 25 juillet. Oh, à 0,1 point de base, la baisse n’a pas été exactement spectaculaire, mais c’est le geste qui compte, diront les sempiternels optimistes de Wall Street. Le plus intéressant là-dedans est que l’on tombe sur des éléments inquiétants lorsque l’on examine la situation de chaque membre du Libor.
Jusqu’à fin août, le Crédit Agricole empruntait à des conditions plus ou moins similaires à celles consenties aux autres banques. Peut-être un peu plus cher, mais cela restait dans la bande de fluctuation de l’ensemble des établissements. Depuis septembre, l’écart s’est creusé et le Crédit Agricole (symbolisé par la courbe rouge sur le graphique ci-dessous) est sorti du troupeau.
Début novembre, la banque française payait jusqu’à 13 points de base de plus que ses concurrentes pour obtenir des dollars à trois mois ! Le spread s’est ensuite resserré, mais il atteignait encore sept points de base début décembre, soit une prime de 15% !
▪ Pourquoi le marché demande-t-il une telle prime de risque au Crédit Agricole ?
Peut-être parce que le Crédit Agricole affiche le deuxième plus mauvais ratio des capitaux propres tangibles attribuables aux actionnaires ordinaires (derrière la Landesbank Berlin, ce qui n’est guère glorieux), selon un classement effectué par Bloomberg.
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L’Etat-Providence a signé son propre arrêt de mort ! A présent, c’est chacun pour soi
Mais dans cette nouvelle donne, une poignée de Français pourrait être jusqu’à quatre fois plus riche d’ici deux ans.
Comment en faire partie ? Il suffit de suivre le guide…
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Ce ratio au nom interminable détermine combien de pertes une banque peut essuyer avant que ses actionnaires soient lessivés, en gros. On prend les fonds propres, auxquels on retire les intangibles, le goodwill et les actions privilégiées, puis on divise le tout par les actifs tangibles (qui sont le total des actifs moins le goodwill et les intangibles). C’est un moyen d’évaluer le pire scénario pour un investisseur.
Pour le Crédit Agricole, on obtient un ratio de 1,5%. Douzième du classement, la Société Générale affiche 2,96%. Autre française, Natixis est 21e avec 3,55%. Pour dire les choses clairement, Crédit Agricole utilise un levier de 66 fois. De quoi justifier la méfiance de ses consoeurs, effectivement.
Pour dire les choses encore autrement : en cas de faillite, une personne ayant investi 100 euros dans le CA récupèrerait 1,50 euro ; une personne ayant investi 100 euros dans la SG récupèrerait 2,96 euros et une personne ayant investi 100 euros dans le Natixis récupèrerait 3,55 euros.
A ses grandes heures, Bear Stearns utilisait un levier de 32 fois dans les opérations de titrisation qui ont causé sa faillite — euh, pardon, je bafouille, « son rachat par J.P. Morgan pour 2 $ l’action », en mars 2008, alors que le titre en valait encore 80 un mois auparavant.
Son ratio de fonds propres était donc de 3,13% et son rachat a eu lieu à 2 $, soit 3% de 80 $ environ. Oui, la Bear Stearns, celle qui avait été classée première des entreprises « les plus admirées d’Amérique » en 2007 et dont la Fed a fini par reprendre pour 30 milliards de dollars de créances douteuses.
Je ne dis pas que le Crédit Agricole suit ce chemin. Mais on commence à voir différents scénarios dans la presse financière. Comme celui de la vente des bijoux de famille pour renflouer le navire. Bien sûr, la direction nie avec véhémence.
Vu sa taille, la banque serait probablement sauvée par l’argent du contribuable français si les choses tournent mal ; espérons au moins que ses dirigeants pourront encore dire merci pour les futurs bonus et autres parachutes (chut !) dorés.
Une chose est sûre : nous ne sommes pas tirés d’affaire.
Première parution dans le Billet du Trader du 23/12/2011.