La Chronique Agora

Où mettre le Cousin Albert ?

▪ Beaucoup de lecteurs nous ont demandé comment s’était passé le mariage de notre fille.

C’était une petite affaire de famille. Sauf que les familles ne sont pas petites. Les choses ont donc rapidement échappé à tout contrôle… avec un tankafère après l’autre.

La caractéristique la plus intéressante de tout ça, cependant, a été l’effort héroïque consacré au plan de table.

A l’église, il n’y a pas de problème. On fait les choses comme dans un livre de comptes. La famille de la mariée à gauche, la famille du marié à droite. Ils s’assoient. Ils ne posent pas de problèmes.

Mais pour un dîner, le plan de table est une affaire bien plus délicate. Nous rappelons ici les explications d’Elizabeth :

"On ne peut pas asseoir les gens pêle-mêle. Il y a un protocole à respecter. Ainsi, quand Tante Sally demande pourquoi elle a été placée à côté du Cousin Larry qui n’arrête pas de parler, nous avons une réponse apaisante toute prête : c’est ainsi que les choses sont censées être faites".

"Bon, l’étiquette veut qu’on mette les mariés à la table d’honneur", avons-nous commencé notre question, "mais ensuite on met tous les autres où l’on veut, n’est-ce pas ?"

"On place toujours la femme la plus âgée à droite de celui qui reçoit. En Amérique du Sud, on met toujours les femmes à côté de leur mari. Cependant, on ne fait jamais ça en Europe, normalement. Et en Amérique du Nord, on suit les règles européennes, bien sûr".

▪ Pour un mariage, les choses se compliquent…
"Ce ne sont là que les bases. Lors d’un mariage, c’est beaucoup plus compliqué. Il faut mélanger les familles. L’idée est que les deux familles doivent faire connaissance — mais on ne veut pas non plus que les gens passent un moment vraiment affreux. Pas plus qu’ils ne doivent se sentir embarrassés ou froissés".

"Pourquoi ne pas simplement leur permettre de s’asseoir où ils veulent ?"

"Ne sois pas sot. Certains mettent les jeunes à une table et les plus vieux à une autre. Certains essaient de mettre tous les gens charmants et pleins d’esprit ensemble, de manière à ce qu’ils se distraient mutuellement. D’autres organisent leurs invités par profession — la théorie étant qu’ils auront des choses à se dire. D’autres encore mettent ensemble les gens qui se connaissent déjà, pour qu’ils puissent discuter facilement".

"Toutes ces approches ont de sérieux défauts. D’abord, il faut comprendre que le but d’un mariage n’est pas que les gens s’amusent. C’est de rapprocher les familles dans l’espoir qu’elles s’uniront dans une cause commune — maintenir les nouveaux mariés sur les rails. Qu’ils s’amusent est accessoire, pas essentiel".

"Ce qu’on ne veut vraiment pas, en revanche, ce sont des gens qui trouvent les autres invités à leur table irritants ou incroyablement ennuyeux. On ne veut pas non plus offenser les gens en les mettant à la ‘mauvaise’ table".

▪ QI ou rang social ?
"Pourquoi ne pas organiser les tables par QI ?" avons-nous proposé. "Mettons les gens intelligents à une table et les gens bêtes à une autre. Ainsi, ils seraient tous au même niveau de conversation".

"Je ne pense pas que ça fonctionnerait. Même si l’on connaissait tous les QI des gens. On prendrait de sérieux risques. D’abord parce que les gens intelligents tendent à l’être de manière compétitive. Ils veulent ‘gagner’ la discussion, ils se battent à coups de faits, d’opinions et d’idées. Les gens intelligents peuvent être très combatifs avec leurs pairs intellectuels. Ensuite parce qu’on a beaucoup de chances de se tromper. Supposons qu’on mette l’un des parents du marié avec tes cousins attardés, par exemple. Ce pourrait être un sérieux problème… et provoquer un conflit familial qui pourrait durer des décennies".

"Attends une minute. Il n’y a pas d’attardés dans ma famille".

"Et ton cousin Albert ?"

"Ah… oui… eh bien… il est un peu lent, c’est tout"…

"Et ton neveu Julian ?"

"C’est juste qu’il boit trop"…

"Et Oscar ?"

"Il n’est pas attardé, il est juste fou".

"En tout cas, on a intérêt à faire attention où on le met. Il pince les dames et fait des remarques déplacées".

"Peut-être devrais-tu le mettre avec Tante Louise. Elle est veuve, et je crois qu’elle apprécierait d’être pincée".

"Exactement. C’est ce qui rend si difficile l’organisation du plan de table. Il faut en savoir assez sur tous ceux qui viennent pour pouvoir les mettre à la bonne place. Au passage, le seul principe d’organisation valable, c’est par rang. On organise les tables par rang social… en faisant des exceptions pour les marginaux qui font partie de tes amis et de ta famille".

"J’aimerais que tu laisses ma famille tranquille. Et mes amis. Et que veux-tu dire par ‘rang’ ? Comment sais-tu de quel ‘rang’ sont les gens ?"

"Une bonne hôtesse sait ces choses. Et si elle ne les connaît pas, elle regarde dans le Bottin mondain".

"Je ne crois pas que tu trouveras beaucoup de membres de ma famille dans ses pages".

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