▪ Après le vent d’euphorie qui avait soufflé sur l’Europe mardi (et qui vaut mieux que la bise glaciale qui givre les pare-brise chaque matin depuis la mi-mars), la journée de mercredi démarrait très fort avec une envolée de 3% de la bourse de Tokyo.
Le Nikkei bondissait de 12 000 vers 12 360 points grâce au verbe magique de Haruhiko Kuroda (le gouverneur de la Bank of Japan). Ce dernier réaffirme son intention d’imprimer autant de yens que nécessaire pour respecter son objectif de pousser l’inflation vers l’objectif des 2% d’ici deux ans.
Déjà les permabulls se préparaient à voir le CAC 40 refranchir les 3 850 points et filer tout droit vers 3 900 points d’ici vendredi — jour de la publication des chiffres du chômage aux Etats-Unis. Cela juste histoire de recoller un peu aux indices américains qui affichent entre 5% et 8% de surperformance par rapport aux indices de l’Eurozone.
Nul optimiste ne saurait envisager que Wall Street, qui plane dans la stratosphère, puisse se remettre à subir l’attraction terrestre et finisse par retomber les pieds sur terre. Les pessimistes — dont nous partageons certaines analyses — estiment que si Wall Street retombe, ce sera la tête la première.
▪ Les épargnants se désintéressent du jeu
Les permabulls nous affirment qu’il n’y a ni exubérance ni bulle à Wall Street. C’est juste que la bulle de 2013 ne ressemble pas au schéma classique de 1987, 2001 ou 2007 ; c’est même son antithèse. Lors des précédents rallies haussiers, les petits porteurs — ainsi que les gros — se ruaient en bourse et la Fed laissait faire.
Aujourd’hui, c’est la Fed qui se rue en bourse et ce sont les épargnants qui la laissent faire. Elle reste depuis des semaines et des mois le seul acheteur, comme les frères Hunt sur le marché de l’argent-métal dans les années 75/80.
Vous pensez peut être que lorsque les cours de bourse sont déconnectés du réel, peu importe qu’il s’agisse d’un seul acheteur ou de 100 millions de boursicoteurs frénétiques.
Il y a pourtant une différence, et elle est de taille : lorsqu’il n’y a qu’un seul acheteur, cela ne s’appelle plus un marché, c’est un monopole, c’est un système de prix administrés !
Ben Bernanke a aboli le marché parce qu’il se pense plus intelligent que les foules irrationnelles.
Il est convaincu — de façon tout aussi irrationnelle — de pouvoir triompher des cycles économiques et de combattre la dette par toujours plus de dette. Lorsqu’un train déraille, au bout de peu de temps il s’arrête.
Il n’en va pas de même pour Ben Bernanke et la plupart de ses acolytes qui se sont exprimés fin mars. Ils sont incapables de concevoir que leur politique monétaire puisse mener au désastre via l’éclatement d’une bulle obligataire. Leur devise reste « QE3, pied au plancher ».
Rappelez-vous qu’aucune banque centrale n’a jamais réussi à piloter une stratégie de sortie après avoir accoutumé les agents économiques à la planche à billets.
Pour l’heure, Wall Street tient pour certain que les dollars vont continuer de couler à flot ; chaque correction indicielle constitue un point d’entrée sur le marché.
▪ Sentiment de lourdeur à Wall Street
C’est peut-être pourquoi les opérateurs ont jugé inutile de déclencher le traditionnel coup de pouce de fin de séance mercredi soir. Il faut dire que cela n’aurait pas permis de dissiper le sentiment de lourdeur qui s’était installé dès les premiers échanges.
Le Dow Jones a chuté de 105 points à 14 550. Le S&P 500 et le Nasdaq ont tous deux perdu 1,1%.
Mais là où les prises de profit s’enchaînent, c’est sur des indices moins voyants. Le Dow Transport a décroché de 1,35%, et le Russell 2000 aligne une troisième séance de baisse (-1,56% mercredi soit -3,2% sur les trois premières séances la semaine).
Autre détail intéressant, les volumes d’échanges se sont nettement étoffés sur le S&P pour atteindre 565 millions de titres, soit 100 millions de plus que la veille.
Ce n’est pas le plus spectaculaire : la fin de séance a été marquée par un brusque décrochage des cours du pétrole à Londres (-3,25% sur le Brent) et à New York, où le WTI lâchait également 3% vers 94,25 $.
▪ Des statistiques économiques guère encourageantes… comme toujours
Difficile d’affirmer que le baril a été affecté par le repli de l’ISM… des services aux Etats-Unis. Le baromètre de l’activité du secteur tertiaire était attendu stable à 56 (ou 55,5) mais il est ressorti en nette baisse à 54,4.
Ce score reste très supérieur au seuil technique d’expansion économique mais les 85 milliards de dollars déversés par la Fed chaque mois tardent à produire des effets mesurables sur la croissance… sauf sur celle des cours de bourse.
En ce qui concerne les créations d’emploi, le QE3 ne s’avère pas plus décisif si l’on en croit l’enquête mensuelle du cabinet ADP publiée à 14h15. Le nombre de nouveaux emplois recensés dans le secteur privé américain s’élevait à 158 000 en mars contre 200 000 espérés… mais cela ne préjuge en rien des chiffres du chômage qui seront publiés vendredi.
Pas de mauvaise surprise à redouter : un bon toilettage des fichiers et hop, 400 000 ou 500 000 demandeurs d’emploi disparaissent d’un coup de souris.
▪ Et ce n’est pas mieux côté géopolitique !
Les opérateurs pourraient finir par émerger de leur nuage rose pour se préoccuper un peu des intentions réelles de la Corée du Nord : le pays pratique une escalade verbale et militaire dont les motivations sont plutôt obscures.
Pyongyang a fini par obliger les Etats-Unis à renforcer officiellement leur dispositif défensif autour de la péninsule coréenne mais également dans le Pacifique — la Corée du Nord s’étant vantée de pouvoir porter le feu nucléaire jusqu’à Hawaï. Son allié historique chinois se montre fort discret, se contentant de faire savoir que l’exécutif nord-coréen semble hors de (son) contrôle.
Nous ignorons quels étaient les projets américains concernant l’Iran (un des principaux fournisseurs d’énergie de Pékin). Cependant, une mobilisation des moyens de l’Oncle Sam pour protéger Séoul pourrait contrecarrer un déploiement militaire au Proche-Orient ou dans toute autre partie du monde où d’importants intérêts stratégiques américains restent vulnérables.
Les gesticulations du dictateur nord-coréen semblent tellement grotesques et caricaturales que les médias se contentent de les présenter comme telles. Ils s’abstiennent de s’intéresser à l’écheveau des intérêts géostratégiques chinois aussi bien dans son périmètre immédiat que dans des régions où de fortes alliances commerciales ont été nouées… au nez et à la barbe des Occidentaux, trop occupés à combattre le terrorisme dans des pays où toutes les tentatives d’implanter un semblant de démocratie ont manifestement échoué.
Voilà le genre d’ambition « humaniste » qui semble totalement étrangère à la Chine. Cela lui épargne d’engloutir des milliers de milliards de dollars et de gaspiller des milliers de vies humaines depuis 2001.
Pékin commerce aujourd’hui avec pratiquement toutes les dictatures de la planète… et notamment la plupart des pays que les Etats-Unis ont couché sur leur liste des « Etats voyous ».
Celui que la Chine connaît le mieux, c’est précisément la Corée du Nord. Se demande-t-on pourquoi Pékin ne s’est jamais offusqué de voir son propre voisin développer l’arme atomique alors que Washington a envahi préventivement l’Irak, un pays situé à 10 000 kilomètres de ses frontières et qui ne possédait même pas une centrifugeuse ?