La Chronique Agora

Conversation avec un secrétaire au Trésor

** Notre téléphone a sonné hier. Nous avons décroché… c’était Tim Geithner ! Imaginez notre surprise. Mais nous avons expliqué que nous étions ravis d’apporter notre aide ; nous avons décrit le problème auquel il était confronté et suggéré un plan. Ce qui suit n’est qu’un compte-rendu de notre conversation :

** "Tim [nous sommes passés tout de suite au tutoiement]… je sais que c’est difficile. On a fait appel à toi pour accomplir une tâche impossible. Et maintenant, tout le monde te critique — en t’accusant de toute l’histoire."

* "Comme si tu avais pu savoir que les choses tourneraient mal simplement parce que tous les clowns de Wall Street faisaient des erreurs à plusieurs milliards de dollars"…

* "Comme si tu avais pu dire quelque chose lorsque tu observais la crise monter en puissance depuis ton bureau à la Réserve fédérale de New York"…

* "Comme si tu avais pu utiliser tes pouvoirs de régulation pour empêcher les banques de se lancer dans des spéculations catastrophiques"…

* "C’est vraiment injuste… terrible… mais regardons ce qui se passe vraiment et ce qu’on peut y faire".

* "Pour commencer, il faut reconnaître que ce n’est pas simplement une récession. Tu peux donc oublier les remèdes habituels — quelques points en moins sur les taux d’intérêt… un peu de dépenses déficitaires contre-cycliques. C’est bien plus grave".

* "Ce que nous avons, c’est une dépression. C’est une dépression parce qu’elle exige une restructuration fondamentale du modèle financier international. Tu sais comme ça fonctionnait durant l’Epoque de Bulle : les Asiatiques fabriquaient des choses… les Américains les achetaient. Les Asiatiques gagnaient de l’argent, les Américains le dépensaient. Les Asiatiques épargnaient, les Américains empruntaient. A présent, les Asiatiques ont de l’argent, et les Américains ont des dettes. Pas très compliqué, si ?"

* "Et tous ces programmes, essayer de renflouer les entreprises, et les banques, et l’économie… voyons, c’est un gâchis d’argent. Tous ces efforts essaient de ressusciter l’ancien modèle… ils essaient de libérer du crédit pour que les Américains puissent acheter plus ! Inutile d’expliquer pourquoi ça ne fonctionnera pas… Plus de dette n’aidera pas les Américains ; plus de reconnaissances de dettes de la part des Américains ne serviront à rien aux Chinois".

* "Au lieu de ça, le modèle doit être démonté puis reconstruit. La Chine doit vendre plus aux gens qui ont de l’argent — en majorité ses propres citoyens. Les Américains doivent rembourser leurs dettes avant de recommencer à consommer sérieusement".

** "Mais attends, Bill", interrompit M. Geithner. "Est-ce que cela ne causera pas de graves perturbations ? Lorsque les Américains épargneront pour réduire leurs dettes, ils élimineront la seule source principale de demande pour l’économie mondiale. S’ils ne commencent pas à acheter bientôt, des entreprises vont faire faillite partout dans le monde. Voilà pourquoi j’ai dépensé tant d’argent à essayer de renflouer les banques. Les Américains n’ont pas d’argent. Le seul moyen qu’ils ont de dépenser, c’est si les banques fournissent du crédit. Il faut donc sauver les banques d’abord… après quoi elles recommenceront à prêter… et l’économie peut alors recommencer à se développer".

** "Euh… non", avons-nous répondu. "Ce n’est pas comme ça que les choses marchent. Même si on rend toutes les banques solvables, à qui vont-elles prêter ? Qui va emprunter ? Les Américains ont déjà trop de dettes. En l’état actuel des choses, s’ils ont de l’argent, ils le gardent… et l’utilisent pour payer leurs dettes. Ils ne vont pas commencer à dépenser juste parce qu’une banque leur offre un prêt. Ils voudront dépenser seulement s’ils pensent que l’inflation revient".

** "Eh bien, Ben y travaille"…

** "Et peut-être qu’il finira par réussir. Mais peu importe. L’ancien modèle — où les Chinois prêtaient de l’argent aux Américains pour que ces derniers puissent acheter leurs produits — est cassé. On ne peut pas le réparer. Parce que plus Bernanke cause d’inflation… moins les Chinois veulent des actifs en dollars américains… en d’autres termes, moins ils veulent prêter. Et si Bernanke ne cause pas d’inflation, les Américains ne voudront pas se séparer de leur argent. Ils achèteront moins de produits chinois — et la Chine aura donc moins d’argent à reprêter aux Américains. On est coincés dans les deux directions. Oublie ça".

** "Eh bien… comment s’y prendre, alors ? Je suis nouveau, moi. Je dois faire quelque chose".

** "Tim, reprends-toi. Il n’y a rien à faire. Le capitalisme doit faire son travail. Il doit détruire les entreprises et les investissements construits sur les fausses promesses de l’Epoque de Bulle. Plus c’est rapide, mieux ce sera. Un certain nombre de banques doivent faire faillite. Et beaucoup de grandes entreprises aussi. On peut essayer de retarder ça avec l’argent des contribuables… mais on ne fait que rendre le processus de restructuration plus lent, et plus cher, qu’il doit l’être. Aie confiance. Laisse faire les choses. Donne une chance au capitalisme".

** "Je ne peux pas faire ça. Je vais me faire virer".

** "Peut-être… mais au moins, tu partirais avec un peu de dignité".

* "Ou alors… que penses-tu de ça ? Expose ton cas directement au peuple américain. Une émission télévisée hebdomadaire de 10 minutes. Chaque semaine, explique aux gens ce qui se passe. Gagne leur confiance en leur disant la vérité sur ce qui a mal tourné… et pourquoi les renflouages ne fonctionnent pas".

* "Ensuite, annonce un programme de Restructuration Dynamique. Mets quelques banquiers et hommes d’affaires sur une place publique et décapite-les. Force les employés de Wall Street à aller dans des camps de rééducation, où on leur apprendra les bases de l’algèbre. Dis au secteur automobile d’inventer un prototype à cinq roues, pour stimuler un peu les fabricants de pneus".

* "Annonce aux Américains que leur langue change ; on passe au suédois — parce que l’économie semble aller bien mieux en Suède, et ils ont plus de vraies blondes là-bas. Entame une campagne destinée à encourager le tourisme européen en rendant le pays plus authentique et différent. Demande aux gens de s’habiller en peau de daim comme les Indiens. Et tous ces gens qui vivent dans des tentes à cause de la crise : demande-leur de passer au tipi".

** "Ca semble fou…"

** "Eh bien… évidemment… c’est fou. Complètement inefficace, en plus. Mais au moins, ce serait inoffensif. Ca permettrait de distraire les foules pendant le capitalisme fait son oeuvre".

** "Bien vu… je m’y mets tout de suite".

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