La Chronique Agora

Consommation : les prix cassés sont plus efficaces que les chèques gouvernementaux !

▪ Après l’euphorie de la séance de mercredi, beaucoup d’opérateurs s’interrogent sur la possibilité de la poursuite du rally haussier. Rassurez-vous, il était peu probable que quelque chose tourne mal avant ce vendredi, journée d’expiration des contrats et options sur indices boursiers.

Le mois d’octobre avait mal débuté ; cependant, la correction semble n’avoir eu comme seul objet que d’attirer les retardataires qui se devaient d’afficher des niveaux d’investissement comparables avec celui des acheteurs de la première heure.

Malgré un repli initial de 5% en 10 jours, l’Euro-Stoxx engrange 2,5% depuis le 1er octobre. Il s’apprête à inscrire un septième mois de hausse sur une série de huit.

Pour le Nasdaq, c’est le carton plein avec huit mois de hausse consécutifs — un exploit sans précédent depuis la période février/août 2003. Rappelez-vous qu’il avait fallu attendre fin janvier 2004 pour tester 2 150 points — pour un gain cumulé de 70% équivalent à celui engrangé depuis mars dernier, soit pratiquement +10% par mois.

Le parallèle est saisissant puisque l’indice électronique partait en février 2003 d’un plancher de 1 265 points parfaitement identique à celui testé le 6 mars dernier !

Le Dow Jones semblait vouloir s’installer pour de bon au-dessus de la barre des 10 000 points jeudi soir après avoir cédé jusqu’à 0,4% au cours des premiers échanges. Les transactions hors séance préfiguraient une nouvelle progression de Wall Street, mais la publication des trimestriels de Goldman Sachs et Citigroup a déclenché des ventes de "fait accompli".

▪ L’ex-numéro un planétaire (trois banques chinoises lui sont passées devant, ainsi que Bank of America) admet que l’environnement restait très difficile pour le crédit à la consommation aux Etats-Unis… et le titre Citigroup affichait rapidement une correction de -4%.

De même, Goldman Sachs a cédé 3% dès l’annonce d’un bénéfice net de 3,19 milliards de dollars (et un profit de 5,25 $ par titre contre 4,93 $ au deuxième trimestre). Cependant, le chiffre d’affaire global ressort en baisse à 12,37 milliards de dollars, contre 13,76 milliards trois mois plus tôt.

Pour bien saisir la nature des profits de Goldman Sachs, il faut se pencher en détail sur l’évolution des différentes branches d’activité par rapport au mois de septembre 2008.

Les activités de marché — comprendre la spéculation sur les actions, les emprunts et les devises — ont vu leurs revenus passer de 2,7 milliards de dollars à 10,03 milliards. Cela représente pratiquement 80% des 12,4 milliards de dollars de chiffre d’affaires global (12,4 milliards en y ajoutant l’activité de conseil et fusions/acquisition).

Goldman Sachs annonce avoir provisionné 5,6 milliards de dollars de bénéfices au troisième trimestre. Le total annuel devrait tourner autour de 22 milliards… à partager entre les 45 000 salariés du groupe — mais un petit millier d’opérateurs du front office va percevoir 80% de cette somme, les 20% restants étant attribués aux "sans-grade".

▪ Beaucoup d’articles de presse ont ironisé sur les 750 000 $ de bonus que devrait recevoir chaque salarié du groupe, soit l’équivalent de 18 à 20 ans de revenus pour un contribuable moyen vivant aux Etats-Unis. La réalité est plus contrastée puisqu’une centaine d’"éléments de grande valeur" — ceux que les banques s’arrachent — devraient se voir offrir plus de 1 000 ans de salaire pour leurs bons (?) et loyaux (?) services.

Nombre d’Américains se demandent s’ils gagneraient autant d’argent en devenant les co-découvreurs d’un vaccin contre le cancer… ou d’un brevet permettant de réduire de 50% en quelques semaines les émissions de CO2 des centrales électriques fonctionnant au charbon dans le monde.

▪ La révolution du téléphone portable a engendré son lot de milliardaires (qui ont rendu un vrai service à l’humanité) mais les temps apparaissent maintenant beaucoup plus durs pour ces pionniers de la fin du 20ème siècle.

Le numéro un mondial des portables et le numéro deux des réseaux, le géant finlandais Nokia, a vu son cours de bourse dévisser de 11% à 9,15 euros jeudi midi. Cette chute faisait suite à l’annonce d’une perte par action de 15 centimes d’euros sur le trimestre écoulé, sous l’effet de dépréciations d’actifs concernant sa co-entreprise Nokia Siemens Networks.

Après la bonne surprise des résultats d’Intel, les investisseurs s’étaient pris à rêver d’une embellie profitant à toute la chaîne des utilisateurs de puces électroniques. Le marché des PC est en fait soutenu par la vogue des portables à bas prix, qui séduisent aussi bien la clientèle des pays émergents que celle — de plus en plus désargentée — d’Europe et des Etats-Unis.

Ce que l’industrie micro-électronique gagne en volume, toutefois, elle le perd en marges. Le pari d’une hausse du revenu par produit d’Intel au quatrième trimestre 2009 semble très ambitieux… sauf à détenir le monopole d’une nouvelle technologie que les Taïwanais ou les Chinois seraient incapables de dupliquer : les résultats du rival AMD seront à étudier de très près.

▪ Même si la presse ne fait ses gros titres que sur les firmes qui font "mieux que prévu", les analystes ne pourront faire éternellement semblant d’ignorer la part d’exceptionnel dans les bilans qu’ils décryptent. Ils se gardent d’ailleurs bien de mettre en évidence certains artifices cache-misère qui ont permis de masquer l’atonie des ventes et l’absence de véritables signaux de reprise, hors effet de stock.

La réalité économique est beaucoup plus contrastée que Wall Street cherche à nous en convaincre en martelant que plus de 75% des trimestriels sont de bonnes surprises. Dans la même veine que l’opposition Intel/Nokia, l’actualité du jour nous a permis de découvrir un indice Empire State (qui mesure l’évolution de l’activité manufacturière dans la région de New York) en hausse de 15,7 points, à 34,6 en octobre contre 18,9 en septembre. Quelques minutes plus tard, on apprenait que l’indice d’activité "Philly Fed", reflet beaucoup plus fidèle de la conjoncture industrielle, ressortait en baisse à 11,5, contre 14,1 en septembre.

Autre indicateur sujet à des interprétations fortement antagonistes : les inscriptions hebdomadaires aux allocations chômage ont diminué de 10 000 aux Etats-Unis lors de la semaine du 10 octobre, à 514 000, contre 524 000 la semaine précédente.

Parallèlement, le nombre de chômeurs percevant une allocation est retombé sous la barre des six millions. Cependant, cela est dû à la radiation mensuelle d’une centaine de milliers d’allocataires en fin de droits. L’embellie apparente du marché du travail masque une réalité angoissante : celle de millions d’Américains sans ressources ni droit à aucune aide fédérale.

Comme prévu, en revanche, les prix à la consommation ont augmenté de 0,2% en septembre aux Etats-Unis. Hors alimentation et énergie, ils ont également progressé de 0,2% le mois dernier, contre un consensus de 0,1%.

▪ La "sagesse" des prix et la vigueur de la reprise fait débat au sein de la Fed d’après les minutes de sa dernière réunion du 22 septembre. Certains membres redoutent une poussée inflationniste dans le sillage des matières premières (le pétrole vient de s’installer au-dessus des 75 $ et même 75,5 $ depuis 48 heures) alors que la reprise économique demeure fragile.

La priorité de Ben Bernanke et de la plupart de ses collègues demeure le soutien à la croissance et non la lutte contre l’inflation. Les cambistes, qui ont bien compris quel point de vue continue de prévaloir aux Etats-Unis, continuent de laminer le billet vert. Il rechute sous les 1,4950/euro : les appels à de nouvelles mesures de relance en faveur de l’immobilier se multiplient, le Congrès américain n’y serait pas hostile mais la Maison Blanche tergiverse.

L’entourage de Barack Obama cherche à ménager à la fois Wall Street et son bailleur de fonds chinois. Créer toujours plus déficits apparaît dangereux alors que les recettes fiscales continuent de fondre ; les dernières mesures de réduction d’impôt ont coûté très cher et leur efficacité économique ne s’est pas révélée très convaincante.

Pour stimuler la consommation, les "prix cassés" sont beaucoup plus efficaces qu’un chèque de remboursement du Trésor américain. Un tel chèque a beaucoup plus de chances de terminer dans la poche du banquier ou du distributeur d’électricité local que dans le tiroir-caisse de la supérette du centre commercial le plus proche.

En ce qui concerne la nécessité de soutenir l’immobilier, nous reviendrons plus en détail lundi sur les chiffres catastrophiques du troisième trimestre dont Wall Street ne veut pas entendre parler. La situation s’aggrave encore au mois de septembre avec 344 000 nouveaux logements sur le point d’être saisis (+23% sur un an), portant le total annuel à plus de trois millions depuis le 1er janvier 2009.

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