La Chronique Agora

Le Congrès US souffle le chaud et le froid sur le shutdown

Le marché a toujours raison : c’est pour récompenser les travaux prouvant la véracité de cet axiome que messieurs Eugene Fama et Lars Peter Hansen ont reçu le Prix Nobel d’économie (« l’école de Chicago » est ainsi une fois de plus récompensée).

A force de prétendre que les cours reflètent toute l’information et que le marché est de ce fait pleinement efficient, les plus malins s’emploient à manipuler les indices à qui mieux mieux avec de puissants logiciels algorithmiques (et une force de frappe financière qui se chiffre en milliards de dollars). Personne n’ose plus contester que les niveaux affichés correspondent à la meilleure estimation de la réalité économique.

Nous assistons à la sacralisation de l’artifice et du panurgisme… et au dévoiement complet des mécanismes de fixation du cours, comme nous l’avons souvent démontré dans cette Chronique.

Le Nobel millésime 2013 constitue un fantastique encouragement à continuer de manipuler les marchés puisqu’il est désormais gravé dans le marbre qu’un cours — même complètement idiot — est incontestable.

Nous aimerions beaucoup que deux Nobélisés sur trois du moment nous expliquent comment la valorisation des subprime, d’Enron, de Fannie Mae, de Lehman ou d’AIG reflétait « toute l’information » avant que leur notation passe de AAA à zéro en quelques jours.

Tout le monde savait qu’Enron était un repaire d’escrocs de la pire espèce, que Fannie Mae n’était plus en mesure de garantir le moindre prêt hypothécaire, qu’AIG n’avait aucun moyen d’honorer les CDS en cas de défaut des émetteurs de CDO.

Pour tenter une synthèse entre une théorie systématiquement démentie lors de chaque formation d’une bulle d’actif et notre propre expérience de l’inefficience des marchés, nous dirions que les mensonges officiels et la tromperie délibérée des investisseurs ont exactement la même capacité d’influencer la valeur d’une action, d’une dette (exemple grec ou irlandais) ou d’une devise (exemple argentin en 2001 ou indien en 2013).

Messieurs Eugene Fama et Lars Peter Hansen semblent avoir négligé que la désinformation est également de l’information… et que dans de nombreuses circonstances, les cours reflètent davantage de tromperie que de prospective intelligente sur le « champ des possibles ».

▪ Tout est dans le cours !
Puisque « tout est dans le cours » (y compris une dose de mensonge potentiellement mortelle), accueillons sans émotion le fait que le CAC 40 a inscrit sa meilleure clôture de l’année à 4 223 points lundi. Ce score qui n’avait jamais été testé durant la totalité de la séance, l’indice n’ayant jamais débordé les 4 220 points.

Voilà donc une séance qui s’est inscrite à 99,9% dans le rouge et qui finit dans le vert. C’est le troisième record annuel consécutif, un fait technique interprété comme un signe de très grande force face à l’adversité (risque de défaut des Etats-Unis au-delà de jeudi soir).

Mais s’agit-il véritablement d’un risque ? 99% des opérateurs excluent en effet que le Congrès US ne parvienne pas à un accord tandis que les injections de la Fed vont continuer presque à coup sûr jusqu’à fin 2013.

Le CAC 40 va donc continuer d’être dopé à la surliquidité pendant encore de longues semaines et de longs mois. Il est temps de penser à se préparer au rally de fin d’année.

Tout le monde est parfaitement d’accord : le seul sens du marché c’est la hausse, les vendeurs n’existent plus et la Fed va continuer de veiller à ce qu’aucun mouvement de cours adverse ne remette jamais en cause la tendance haussière instaurée depuis cinq ans.

Donc peu importe que la croissance ne soit pas là, que le PER des valeurs françaises soit proche des sommets de l’automne 2007 (à 17 fois les bénéfices, hors valeurs bancaires dont chaque provision comptable retranchée se transforme en… gain). Le marché va payer et payer encore jusqu’à tester l’objectif des 4 300 points.

Il n’y a pas de scénario alternatif, craindre une correction vers 4 110 points n’a plus aucune justification… un consensus aussi large ne peut pas se tromper.

▪ L’extrême limite de l’idiotie ?
La preuve : quelques minutes après la clôture lundi, la rumeur d’une entrevue impliquant Barack Obama et les quatre principaux chefs de partis représentés au Congrès était officialisée. Cela renforçait la conviction que les parlementaires de tous bords allaient s’engager dans la dernière ligne droite menant à un inéluctable accord sous 48 heures (au-delà, il ne pourrait être ratifié à temps par la Maison Blanche).

Une écrasante majorité d’investisseurs sont convaincus comme Warren Buffett que « les membres du Congrès US sont allés l’extrême limite de l’idiotie » et qu’ils n’avaient que jusqu’à lundi soir pour revenir à la raison avant qu’il ne soit trop tard.

Il est donc vain de se demander sur quelle base va être conclus un compromis –démocrates et républicains ne sont d’accord sur rien mais ils vont s’accorder sur tout — puisque les marchés dans leur infinie clairvoyance ont déjà acté qu’il y aurait un compromis

C’est pourquoi les acheteurs « payent » tous les creux indiciels (l’impératif dans une tendance haussière demeure d’acheter les creux) : rien de fâcheux ne saurait survenir d’ici la fameuse date butoir du 17 octobre… qui n’en est pas vraiment une puisque l’Etat américain a de quoi tenir jusqu’au 30 octobre.

Mais dès 20h45, un communiqué annonçait un report de la réunion afin de « laisser plus de temps aux protagonistes pour sceller un accord ».

Loin de s’en inquiéter, les marchés américains affichaient leur pleine confiance et clôturaient au plus haut du jour.

Si les pourparlers sont retardés, cela ne saurait signifier que les propositions des uns et des autres sont incompatibles ; c’est au contraire interprété comme le signe qu’il existe une véritable volonté de régler les problèmes une bonne fois pour toutes.

Aux dernières nouvelles, les républicains proposent un relèvement du plafond de la dette sur trois mois (fin janvier, on prend les mêmes et on recommence le même cirque). Ils avancent également un projet de budget sur six mois : il n’y aura plus qu’à tenter d’éviter un nouveau shutdown dès le printemps prochain.

C’est précisément le genre de compromis que la Maison Blanche a toujours trouvé inacceptable. En effet, les marchandages sur le plafond de la dette deviendraient ainsi quasi permanents (alors, on fait défaut ou pas le mois prochain ?). Cela impliquerait également deux discussions budgétaires ou plus par an, ce qui équivaut à instituer une navigation à vue interdisant tout projet de long terme.

▪ Peu importe, la Fed est là
A court terme, les marchés « qui savent tout/qui prévoient tout » vont devoir évaluer l’impact sur la consommation globale des ménages américains de 15 jours de shutdown.

Pour des centaines de milliers de fonctionnaires, c’est un demi-mois de paye qui a sauté… un congé sans solde non sollicité. Et pour des millions de salariés américains, ce sont des démarches administratives qui s’éternisent (synonyme de temps perdu qui ne se rattrape pas), des autorisations non validées, des contrats retardés et donc des primes qui vont diminuer pour nombre de commerciaux payés à la commission.

Ce sont aussi des centaines de lieux touristiques désertés, des embauches repoussées, des décisions d’investissement suspendues ou délocalisées.

En résumé, une excellente nouvelle pour Wall Street puisque les 0,2% ou 3% de croissance qui risquent de manquer au quatrième trimestre vont inciter la Fed à imprimer à plein régime, encore et encore… Ce qui devrait se traduire par une envolée des actions alors même que leurs bénéfices devraient se contracter sous le double impact d’un fléchissement de la demande intérieure aux Etats-Unis et de la croissance dans les émergents.

Rien que du bon !

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile