La Chronique Agora

Les choses se gâtent à Compuel

▪ La nuit était froide. Le sol était dur.

(Oui, cher lecteur, nous profitons des jours fériés pour vous narrer la suite et fin de notre équipée sauvage dans les montagnes d’Argentine).

Mais ce qui dérangeait le plus notre sommeil n’était ni la froideur ambiante ni la dureté du sol. C’était l’air — trop pauvre. Chaque fois que nous commencions à nous endomir, nous nous réveillions en sursaut, cherchant l’oxygène. En journée, nous n’avions pas de problèmes. Mais notre rythme de respiration nocturne, adapté à 2 700 mètres d’altitude, n’était pas tout à fait suffisant à 3 000 mètres.

Nous avons peu dormi, mais nous étions confortablement installé au chaud dans notre sac de couchage. Il y avait deux pièces dans la maison de pierre. Nous dormions dans la « chambre ». Jorge dormait dans la « cuisine ».

Jorge avait pour lui le sommier de métal d’un ancien lit, sur lequel il avait étalé des tapis de sel. Nous n’avions que le sol de granit, mais des matelas gonflables. Le problème avec les matelas, c’était qu’ils se dégonflaient pendant la nuit. Nous sommes allés nous coucher vers 21h30. A 3h du matin, nous reposions quasiment sur la pierre. Mais à ce moment-là, il faisait trop froid pour sortir du lit et regonfler le matelas.

Nous étions trois dans la minuscule pièce — Elizabeth et votre correspondant d’un côté ; de l’autre, notre amie Sophie, une jeune Française qui souhaitait faire le voyage avec nous. Sophie est mannequin, actrice et monitrice de natation. Elle n’avait aucune expérience de l’équitation avant d’arriver au ranch il y a deux semaines. Mais elle est jeune et sportive… et semble apprendre vite.

Durant la nuit, le seuil bruit qu’on entendait était la respiration régulière des deux femmes. Pelotonnées dans leurs sacs de couchage, elles ne bougeaient pas…

A 6h30 environ, la lumière provenant des trous du toits et des fissures de la porte changea de couleur. Ce n’était plus seulement la lumière blanche de la lune. Elle commença à prendre une teinte jaunâtre… puis rougeâtre.

Hors des sacs de couchage, il faisait un froid glacial. Il y avait du givre sur le sol et de la glace dans les lacs peu profonds de la vallée.

Jorge alluma un feu dans la « cuisine » et mit de l’eau dans la boîte de conserve accrochée au-dessus du foyer afin de faire le thé du matin. Nous avons chassé le peu d’air restant dans nos matelas et roulé nos sacs de couchage pendant que Jorge sellait les chevaux. Ensuite, tremblants dans l’air froid du matin, nous sommes restés debout près de la porte de la cuisine, buvant notre thé.

Nous avions hâte de remonter à cheval dans l’espoir de nous réchauffer un peu. Mais à ce moment-là, le soleil a affleuré au sommet des montagnes, à l’est de la vallée. Quelques minutes plus tard, nous le sentions sur nos visages et notre dos. Le soleil, que nous évitons au plus fort de la journée, est un visiteur bienvenu le matin.

▪ Une descente périlleuse
Nous nous sommes mis en route. Trois d’entre nous étaient à dos de cheval, et Jorge était sur une mule, tirant derrière lui une autre mule portant nos affaires. Nous sommes partis vers l’est, traversant les rivières et les lacs du fond de la vallée vers une quebrada — une fissure — dans les montagnes entourant Compuel.

Lorsque nous nous sommes retourné pour jeter un regard en arrière, la lune était encore visible au-dessus des montagne brun-gris à l’ouest. Le bétail nous a regardés partir. Dans les marais, des canards se sont envolés à notre approche. Les chevaux se sont lancés à vive allure vers la quebrada, désireux de retrouver leur enclos.

Mais partir était bien plus difficile que venir. La passe entre les montagnes faisait à peine 10 mètres de large. La rivière était rapide et pleine d’énormes rochers. Le seul passage était à flanc de montagne — une piste usée par les siècles. Nous n’y étions que depuis quelques minutes quand nous avons réalisé à quel point la route était difficile.

« Je n’ai pas pris cette piste depuis 10 ans », nous a dit Jorge.

Même aux meilleurs endroits, la piste était traître. Haut au-dessus de la rivière… sur le côté de la montagne, les sabots des chevaux glissaient sur le granit. Notre cheval de tête chuta rudement en essayant de sauter d’un rocher à un autre. Nous avons mis pied à terre… menant les chevaux au lieu d’essayer de les monter. Nous nous sommes donc retrouvé à escalader les rochers, tentant de progresser sur ce qui semblait être un chemin de plus en plus impassable et dangereux.

Jorge était inquiet. Il ne disait rien, mais nous pouvions le voir sur son visage. Souvent, il descendait de sa mule pour aider à encourager un cheval récalcitrant… pour resserrer les sangles des selles… ou juste pour voir comment nous allions. Il nous avait mené dans une situation délicate. Non seulement la piste était plus difficile que dans son souvenir, mais en plus, il en manquait une bonne partie. Nous nous dirigions dans une direction… et la piste, ou ce qu’il en restait, disparaissait. Les chevaux devaient faire demi-tour sur la corniche étroite et revenir sur leurs pas.

A plus d’une reprise, il semblait qu’il n’y avait plus moyen d’avancer ni de reculer. Les chevaux, blessés et écorchés — les pieds en sang, des épines de cactus plantées dans leurs jambes — devaient être tour à tour cajolés et menacés pour avancer.

Les chevaux n’étaient pas les seuls à souffrir. Mettant pied à terre, nous avons perdu l’équilibre et sommes tombé le long de la pente, nous cognant la hanche à un rocher de granit. Nous avions les coudes en sang. Notre hanche nous faisait mal, mais uniquement quand nous marchions. Nous sommes donc remonté à cheval… et l’avons laissé marcher, lui.

Lorsque nous nous étions mis en route, nous sentions les piqûres des buissons épineux. Mais après une heure ou deux, c’est à peine si nous les remarquions encore. Nous chevauchions comme si de rien n’était ; seuls les dangers potentiellement mortels nous inquiétaient. Nous surveillions Sophie du coin de l’oeil. Un accident pouvait vite arriver.

Après deux ou trois heures, nous étions descendus jusqu’à un niveau légèrement plus bas. A droite et à gauche — sur les montagnes des deux côtés de la rivière — nous avons remarqué des murs de pierre rectangulaires… par centaines.

A suivre…

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