** L’euro est plus fort qu’il ne l’a jamais été. Le citoyen européen devrait se réjouir mais il n’en tirera les bénéfices qu’en allant dépenser ses économies en Amérique du Nord, en Chine ou au Japon (pays dont la devise est indexée sur le billet vert). Compte tenu du prix du billet d’avion et de la "surtaxe kérosène", il faut dépenser au minimum l’équivalent de deux de nos SMIC sur place pour rentabiliser l’opération (ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses).
Assez curieusement, plus l’euro devient fort, plus il devient difficile de trouver un mètre carré pour se loger à un prix convenable… et ne parlons pas d’un emploi dans l’industrie (automobile ou aéronautique), ni de crédit pour monter son entreprise (afin d’échapper à la spirale chômage/boulots précaires).
Si nos banquiers étaient à ce point convaincus que leur idole autoproclamée, J.C. Trichet, menait une politique monétaire adéquate — en apparence restrictive pour le commun des mortel mais "accommodante", en pratique, pour les grands agents économiques parce que favorisant l’investissement — pourquoi rechignent-ils alors à prêter en abondance aux créateurs de PME-PMI, aux jeunes qui aspirent à goûter aux charmes de la pleine propriété, aux agriculteurs qui veulent produire "bio" ou cultiver de nouvelles essences végétales sous serre ?
Notre "Banquier Central-maison", qui nous a régalé de sa prose rugbystico-économique ces deux dernières chroniques, connaît peut être la réponse : il ne lui reste plus qu’à transformer l’essai en parvenant à convaincre le gouvernement que la "stabilité monétaire" engendre bel et bien la hausse du pouvoir d’achat et la croissance auxquels aspirent aussi bien le Président de la République que le citoyen lambda.
Après Nicolas Sarkozy au 20H jeudi soir, c’était au tour de notre Ministre de l’économie, Christine Largarde, de réclamer ce vendredi de la vigilance au sujet de la volatilité des parités de change. Comprendre : avec un euro qui flirte avec les 1,41 dollar, qu’est-ce que J.C. Trichet attend pour imiter son homologue américain Ben Bernanke et nous ramener le taux Repo à 3,50% ?
Les cambistes semblent convaincus (bien instruits par l’expérience) que la BCE n’en fera rien, ne serait-ce que pour démontrer son indépendance et ne pas laisser s’insinuer le moindre doute au sujet de son souverain mépris pour toutes les pressions qui s’exercent sur elle… Surtout lorsqu’elles émanent de personnages qui s’agitent beaucoup devant les caméras mais se montrent nettement plus discrets lorsqu’il s’agit de combattre la hausse des déficits publics.
** Aux Etats Unis, la question des déficits jumeaux ne préoccupe plus qu’Alan Greenspan ; rappelons que lorsqu’il était aux affaires, il n’était pas question de s’étendre sur le sujet.
Chercher à les réduire ressemblerait donc à un loisir de retraité : entre une partie de golf (ou de pêche), une grille de mots croisés (ou une partie de Scrabble), "l’homo américanus dilletantis" se préoccupe donc des dettes qu’il lègue à ses enfants, petits-enfants voire arrière-petits-enfants compte tenu des lacunes du système de financement des retraites et de la protection sociale aux Etats Unis.
Mais à Washington, nul ne se risquerait à abolir certains "régimes spéciaux", ni à tailler dans les dépenses du ministère de la Défense, ni à réformer l’enseignement. Tout se résout avec la négociation de quelques heures supplémentaires effectuées par les salariés de l’imprimerie nationale, ravis d’imprimer de belles liasses de dollars tous neufs pour la plus grande gloire de la Fed.
Pour résumer d’une formule : la planche à billet pour les exportateurs américains, le poteau de torture pour les Européens. Aux Etats-Unis, les marchés chuchotent, la Fed s’exécute ; dans l’Euroland, les marchés hurlent, la BCE enfile un casque intégral insonorisé.
** Laquelle des deux attitudes suscitera les meilleurs résultats à moyen terme ? En tant que simple citoyen, nous n’en savons rien. Mais à court terme, l’investisseur ne peut guère hésiter sur la case à cocher : sur les trois derniers mois écoulés (du 15 juin au 21 septembre), et malgré le "trou d’air" de la mi-août, le Dow Jones gagne +1,5% et le Nasdaq-100 pas moins de +4% (entre 1 946 et 2 054 points)… soit un écart de performance de +10% par rapport aux blue chips du CAC40.
A titre de comparaison, il y a trois mois jour pour jour, l’indice parisien caracolait au-dessus des 6 100 points. Le troisième trimestre boursier se solde donc par une baisse sévère de -6,5% mais l’euro en a pris +4% dans l’intervalle : un gérant US ne perd pratiquement rien sur la période considérée.
Avec une performance hebdomadaire positive de +3%, le CAC 40 n’a rien repris par rapport aux indices US et il ne s’en tire pas si mal : l’indice "PMI composite" dévisse de -3 points au mois de septembre en zone Euro, et le "PMI des services" plonge de -4 points à 54 (contre 58 en août).
** Le baromètre de la confiance des chefs d’entreprises dégringole en direction de la zone "gros temps" et l’effondrement du dollar ne va rien arranger : la devise européenne enchaîne les plus-hauts historiques face au billet vert et vient d’établir un nouveau record ce matin au dessus des 1,41 dollar, à 1,4130.
Le différentiel de taux entre les Etats-Unis et la zone Euro devrait en effet se réduire comme une peau de chagrin si la BCE reste crispée sur ses positions. Les analystes tablent sur de nouveaux assouplissements aux Etats-Unis (4,50% dès cet automne, peut être 4% d’ici mars 2008) qui pourraient nous valoir une parité monétaire suicidaire à un horizon de 6 mois : ce serait le scénario catastrophe… mais le pire n’est jamais certain !
Philippe Béchade
Paris