Face à la carte des vins, beaucoup de stratégies existent pour faire des économies ou faire sortir la meilleure bouteille possible de la cave. En pratique, ce sont souvent des légendes urbaines, et les suivre permet surtout de choisir le pire des vins possibles…
Les fêtes de fin d’année sont souvent synonymes de vins fins et de mets délicats. Certains passeront des heures derrière les fourneaux pour préparer des agapes exceptionnelles, tandis que d’autres préféreront le restaurant. Désormais, il est aussi possible de bénéficier des restaurants près de chez soi grâce au développement phénoménal de la livraison à domicile et du click & collect. Il ne reste plus alors qu’à dresser une table de fête… et à régler la question du vin.
Le choix du vin au restaurant – sur place ou à emporter – est toujours un exercice difficile. Certes, on peut se tourner vers les grands crus célèbres à quelques centaines voire milliers d’euros. Cependant, la plupart des consommateurs n’ont pas les moyens de dépenser des fortunes dans une bouteille, aussi bonne soit-elle. Sans pour autant que cela soit assuré : un mauvais cru est toujours possible.
Devant la carte des vins, c’est souvent la perplexité qui domine. La probabilité que l’on connaisse un des châteaux ou domaines disponibles est, en effet, faible. Que choisir alors ? Le vin le plus cher de sa catégorie ? Le moins cher ? Ou celui du milieu de gamme ? Comment être sûr de tomber sur la bouteille qui offre le meilleur rapport qualité-prix ? Une étude publiée en mars dernier par l’Association américaine des économistes du vin (AAWE) nous aide à y voir clair.
Quelques données sur le prix des vins au restaurant
Les auteurs de l’étude – David de Meza, de la London School of Economics, et Vikram Pathania, de l’université du Sussex – ont épluché la carte des vins de près de 250 restaurants londoniens. L’ensemble de ces cartes totalisait 6 335 vins, sachant qu’une carte comportait, en moyenne, 15 vins rouges différents et 12 blancs.
Le prix moyen d’une bouteille de vin rouge était de 42 £ (environ 49 €), et celui d’une bouteille de vin blanc était de 32 £ (37 €). Le vin le plus cher était un rouge à 7 630 £ (8 920 €), tandis que la bouteille de blanc la plus chère ne coûtait « que » 520 £ (608 €).
Bien sûr, la grande majorité des vins était largement moins chers : presque la moitié d’entre eux coûtaient moins de 30 £ (35 €), et 80 % moins de 50 £ (58 €).
Les deux économistes se sont appuyés sur le site Wine-Searcher pour comparer les prix au détail avec ceux pratiqués dans les restaurants étudiés. Ils ont trouvé une correspondance exacte pour deux tiers des vins et ont pu établir que leurs prix étaient trois fois plus chers au restaurant qu’au détail.
Bien sûr, il aurait été préférable de comparer les prix à la carte avec les prix de gros auxquels les restaurateurs ont accès, mais ceux-ci ne sont pas publics. On peut donc supposer que la marge des restaurateurs est plus forte puisque le prix de gros est normalement moins élevé que le prix de détail.
Faut-il éviter de choisir le deuxième vin le moins cher ?
Forts de ces données, Meza et Pathania ont cherché à savoir si Frank Brecher et Dorothy Gaiter, critiques œnologiques réputés du Wall Street Journal, avaient raison d’affirmer que « le vin le moins cher de la carte est souvent d’un bon rapport qualité-prix, tandis que le deuxième vin le moins cher de la carte est presque toujours le moins bon rapport qualité-prix, car les clients le choisissent presque toujours systématiquement pour ne pas paraître pingres ».
Les restaurateurs, estimant que les clients vont choisir le deuxième vin le moins cher, augmenteraient ainsi leurs marges sur ce vin pour tirer le maximum de profit de ces clients gênés de choisir l’option la moins onéreuse. Un article du Daily Telegraph titrait d’ailleurs, en avril 2014 « Pourquoi vous ne devriez jamais commander le deuxième vin le moins cher ».
Les observations de Meza et Pathania ne corroborent pas la théorie de Brecher et Gaiter, dite aussi « théorie de l’embarras ».
Ils ont en effet constaté que les marges, en pourcentage, augmentaient régulièrement jusqu’à peu près le milieu de la carte, puis qu’elles baissaient ensuite. Par conséquent, si la marge est plus forte sur le deuxième vin le moins cher (rang 2) que sur le vin le moins cher (rang 1), elle est tout de même moins élevée que sur les vins des rangs suivants (rangs 3 et suivants).
Bref, affirmer qu’il faut coûte que coûte éviter le deuxième vin le moins cher est totalement faux. Ce pourrait même être le contraire, puisque les vins de rangs 1 et 2 offrent généralement un bon rapport qualité-prix, les restaurateurs cherchant probablement à inciter les clients à consommer du vin avec des prix attractifs.
Dans le haut de gamme, le coefficient multiplicateur des restaurants est relativement modéré, sans doute parce que les vins de cette catégorie attirent principalement des amateurs éclairés, parfaitement au fait des prix pratiqués dans le commerce. Proposer des grands crus à un prix prohibitif rebuterait sans doute ces clients.
Au contraire, s’ils constatent que la marge pratiquée par le restaurant est raisonnable, ils pourraient être tentés de monter en gamme, voire de « faire une folie » si l’occasion le mérite (comme une soirée de réveillon ou un anniversaire).
Donc, s’il faut éviter de choisir certains vins sur la carte des restaurants, ce serait plutôt ceux du milieu de gamme, nous disent David de Meza et Vikram Pathania.
Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessous, les vins situés généralement entre les rangs 3 et 11 – mais cela varie bien entendu selon la longueur de la carte des vins – sont ceux sur lesquels les restaurants appliquent les coefficients multiplicateurs les plus forts.
D’ailleurs, si vous demandez conseil pour choisir votre vin, il y a fort à parier qu’on vous orientera vers l’un de ces vins. Si des restaurateurs cherchent à exploiter des clients naïfs, c’est donc plutôt dans le segment du moyen de gamme qu’ils le font.
Et le vin au verre ?
Lorsque seulement une ou deux personnes boit du vin à table, il est rare de commander une bouteille. On se tourne alors plutôt vers les vins au verre, une pratique largement répandue aujourd’hui.
Meza et Pathania ont également étudié le prix des vins proposés au verre dans les restaurants de Londres. Ce sont, en général, les vins les moins chers qui sont ainsi disponibles. Dans l’échantillon étudié, plus de 50 % des vins coûtant moins de 15 £ (17 €) la bouteille étaient également servis au verre.
Finalement, ceux-ci ne sont pas sensiblement plus chers que s’ils étaient achetés à la bouteille, contrairement à ce que l’on pense généralement. Les deux auteurs ont observé que le prix du vin au verre (de 175 ml) était, en moyenne, 13% plus élevé que l’équivalent acheté en bouteille.
Une différence qui a sa justification, du moins chez les restaurateurs honnêtes et consciencieux, puisqu’il n’est pas exclu qu’une bouteille entamée doive être jetée pour éviter de servir un vin altéré.
Cette étude a cependant deux défauts. Le premier est qu’elle est basée sur des observations de 2015. Bien des choses ont pu changer depuis, notamment à la faveur de la pandémie qui a vu la fermeture des restaurants. Ceux-ci ont peut-être désormais une politique tarifaire sur les vins différente de ce qu’elle était en 2015.
Second défaut : elle est britannique. Non pas que tout ce qui vient de la perfide Albion est suspect, mais il n’est pas exclu que le comportement des restaurateurs français diffère de celui de leurs homologues anglais, londoniens qui plus est.
A cette dernière remarque, nous apporterons cependant un bémol. Selon les experts, le coefficient multiplicateur pratiqué par les restaurateurs français est compris entre 4,5 et 5 sur le prix hors taxe. Une bouteille achetée 5 € HT est ainsi revendue entre 27 et 30 € TTC par les restaurateurs.
L’administration fiscale, toujours à l’affût d’éventuels fraudeurs, considère que le coefficient pratiqué sur le hors taxe est de 3,5. Si on y ajoute la TVA à 20% et le service à 15%, le multiplicateur « officiel » est de 4,8. Proche de 5, donc.
Il se pourrait, par conséquent, que les restaurateurs français appliquent un coefficient multiplicateur plus élevé que les britanniques. Alors, pour le réveillon de la Saint-Sylvestre, direction Londres ?
NDLR : Vous pouvez retrouver l’étude de David de Meza et Vikram Pathania dans son intégralité (en anglais) en cliquant ici.