La Chronique Agora

Comme une descente en rappel… mais sans la corde !

** Nous avons régulièrement des débats animés entre chroniqueurs, journalistes et économistes qui se croisent dans les couloirs reliant les différentes rédactions des publications Agora. Le cas s’est de nouveau présenté hier car mes derniers articles, délibérément moins alarmistes au sujet de la Bourse que ceux des 12 derniers mois, détonnent dans le concert d’anticipations pessimistes que vous avez pu lire sous d’autres plumes, tout aussi alertes et inspirées que la mienne.

La contradiction n’est qu’apparente : conformément à la métaphore dont j’ai fait usage mardi, j’ai le sentiment que vient seulement de s’achever une première épreuve consistant à escalader une montagne de dettes sans valeur qui s’écroule de toutes parts, comme secouée par un séisme titanesque.

Nous voici parvenus au col — j’avais évoqué celui du Stelvio car son accès est l’un des plus vertigineux que j’ai jamais connu. Si mon intuition est la bonne, un parcours plus reposant et plus agréable (comme de se laisser porter par ses illusions… et je me méfie des miennes) s’annonce pour les prochaines semaines.

Je voudrais compléter ma précédente Chronique d’une ou deux réflexions. Lorsque on vient d’atteindre un col, c’est généralement le lieu d’où l’on peut le mieux contempler les montagnes qui nous entourent… et observer l’aspect du ciel à des centaines de kilomètres de distance.

Ce serait un doux euphémisme que de qualifier le ciel qui nous surplombe de menaçant. D’autant qu’à l’horizon, nous ne découvrons qu’une muraille d’épais nuages dont les nuances vont du bleu violacé au noir profond.

Leur aspect obscur et inquiétant — comme celui du Jugement Dernier de Jérôme Bosch ou du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault — est magnifié par une succession quasi ininterrompue d’éclairs qui créent des effets de transparence derrière les rideaux de grêle que l’on devine agités de vents violents.

D’instinct nous savons tous qu’il faut se hâter de profiter des derniers rayons de soleil pour descendre dans la vallée ; en plus du froid qui règne durant un orage au-delà de 2 500 mètres, s’attarder au niveau d’un col est le meilleur moyen de se faire foudroyer.

Pour achever de vous convaincre que je ne mésestime pas les dangers de la montagne, je sais pertinemment que les chutes mortelles ont rarement lieu lors de l’ascension mais le plus souvent lors de la descente. On se laisse plus facilement griser par la vitesse et les chutes de pierre ou de séracs se produisent majoritairement à partir du milieu de la journée, lorsque la température se réchauffe.

Autrement dit, la période boursière qui nous sépare de la fin du premier trimestre 2009 sera peut-être moins douloureuse que celle des troisième et quatrième trimestres 2008 pour les portefeuilles… mais elle n’en sera pas moins piégeuse.

Si une sensation de réconfort et de tiédeur finit par envahir les épargnants à mesure que les indices s’éloigneront de leurs récents niveaux record (à la baisse), qu’ils n’oublient pas la tempête qui les menace. D’autres versants escarpés devront être gravis au cours des prochains mois : ils n’ont pas fini de mouiller la chemise !

** Pour demeurer dans l’ambiance métaphorique que nous avons adoptée depuis le second paragraphe, les investisseurs ont découvert ce mardi que la désescalade des prix immobiliers aux Etats-Unis au mois de novembre s’apparentait à une descente en rappel… mais sans la corde.

Selon la dernière étude de l’institut Case-Shiller, la valeur des maisons et des appartements a plongé de 2,2% d’un mois sur l’autre (après -2,1% en octobre). Le recul atteint 18,2% en moyenne sur un an et 19,1% dans les 20 principales métropoles prises en compte par l’étude.

Les plus fortes baisses annuelles ont été enregistrées à Phoenix (-32,9%), Las Vegas (-31,6%) et San Francisco (-30,8%), devant Miami (-28,7%) et Los Angeles (-26,9%). Ce classement est quasiment identique depuis 21 mois.

Lorsqu’un bien est saisi et vendu dans les villes ci-dessus, le prix qu’en tirent les créanciers est souvent inférieur de plus de moitié à celui payé par l’acquéreur.

Vous en déduirez aisément que ce genre de liquidation ne rembourse qu’un gros tiers de la somme avancée — s’il s’agit d’un emprunt subprime. Au bout de trois ans, l’emprunteur doit plus d’argent à sa banque que lorsqu’il venait de signer son prêt.

La conséquence de ce qui précède semble inexorable : la confiance des consommateurs américains continue d’enfoncer des planchers historiques.

D’après l’indice du Conference Board, un nouveau plus bas absolu vient d’être inscrit en janvier à 37,7 après 38,6 en décembre (contre 38 annoncé initialement).

Nous avons pu entendre des commentaires d’analystes recueillis en direct sur CNBC. Il en ressortait que les chiffres publiés la veille — faisant état d’un net rebond des ventes de logements anciens (+6,5%) au mois de décembre 2008 — pouvaient démontrer que le pire du pire était peut-être passé. En effet, les prix sont à présent suffisamment bas pour que des acheteurs puissent agir sans recourir à de lourds emprunts.

** Nous notons à ce sujet que les taux hypothécaires sont au plus bas depuis 50 ans aux Etats-Unis (sous les 5,75%). Le seul problème est que les établissements de crédit — dont c’est le métier — ne prêtent toujours pas.

Les taux de rendement actuels seraient-ils trop faibles pour rémunérer un risque sur 20 ans ?

C’est là que toute la schizophrénie du système bancaire se manifeste. Les T-Bonds à 30 ans (ils se situent entre 2,95% et 3,25%) induisent un risque inflationniste nul jusqu’à la prochaine génération. Or les prêteurs non seulement ne croient pas à ce scénario mais redoutent en plus que leurs clients ne puissent conserver leur emploi ou en retrouver un en cas de mise au chômage — tandis que leur épargne serait dévorée par l’inflation.

Ils sont d’ailleurs très bien placés pour savoir que les entreprises sont en situation délicate ou pourraient se trouver acculées au dépôt de bilan à brève échéance : ils ne leur prêtent plus d’argent à elles non plus !

** Wall Street ne s’est pas laissé impressionner par l’enquête Case-Shiller, pas plus que par la déprime des ménages. Après une incursion initiale dans le rouge, le Dow Jones a terminé en hausse de 0,7% ; le Nasdaq s’adjugeait 1,05% — notamment grâce au bond de 6,5% de Research in Motion. Il faut s’attendre à une nouvelle hausse aujourd’hui puisque Yahoo! a publié un profit trimestriel de 0,17 $ par titre au lieu des 0,13 $ anticipés.

Le sursaut des indices américains ayant été un peu tardif hier (il s’est matérialisé après17h), la consolidation l’a emporté à Londres, Madrid et Milan (-0,3% en moyenne) ainsi qu’à Francfort (-0,1%). Paris s’effritait de 0,03%.

Vous comprendrez que nous ne nous étendions pas beaucoup sur le film de cette journée boursière de consolidation insignifiante sur le Vieux Continent — d’autant qu’elle aurait pu s’achever sur une note positive en tenant compte du rebond du moral des chefs d’entreprises allemands.

Selon l’institut économique IFO, le baromètre du climat des affaires est ressorti à 83 en janvier, contre 82,7 en décembre. C’est une légère amélioration par rapport au mois de novembre qui établit le pire score jamais mesuré depuis que la statistique existe.

Se pourrait-il que l’évolution des indices boursiers ait basculé lundi 26 — comme un cycliste entame la descente d’un grand col — avec le passage au nouvel an chinois et l’avènement du cycle du buffle ?

Nous conclurons cette Chronique par un calembour aussi calamiteux que l’exercice boursier 2008 : et si l’année du buffle commençait de façon…"meuh meuh" ?

Philippe Béchade,
Paris

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