La Chronique Agora

Comme des lapins pris dans les phares d'une voiture

** Attention, on tire à vue ! A Wall Street, la moindre annonce contrariante se traduit par une volée de chevrotine. Samsung renonce au rachat de Sandisk… et bang : -45% en quelques heures.

Les trimestriels de NII Holding ou de Millicom déçoivent… et bang : -22% dès l’ouverture. Un profit warning sur Cadence Design ou Level 3… bang, bang : -35% en quelques minutes.

A Paris, Air France a effectué un piqué en vrille de -12,8% car la direction du groupe s’attend à une croissance nulle pour les trois prochaines années pour cause de ralentissement économique durable qui devrait affecter le secteur aérien dans des proportions jusqu’alors inattendues.

Alstom s’effondre de 10,5%. Mais là, ne cherchez pas la mauvaise nouvelle car il s’agit d’un simple délit de faciès ! En effet, c’est son concurrent — sur quelques-unes des activités industrielles — ABB qui annonce une baisse de ses commandes… et bang : une chute de 20%.

Ainsi, il vaut finalement mieux se couvrir le visage de cendres, s’autoflageller en public et avouer, la voix pleine de sanglots, toutes les horreurs que les analystes s’attendaient à entendre plutôt que d’afficher sa confiance dans les résultats trimestriels !

En effet, depuis le 23 septembre, ABB chute de 36% mais Alstom se désintègre de 48%.

Mais il y a toujours une explication : il y a tout juste une semaine, Alstom affichait +100% par rapport à la mi-octobre 2005. Insupportable ! Indécent ! De telles plus-values latentes n’ont pas lieu d’être quand 90% des valeurs du CAC 40 affichent des performances négatives au cours du même intervalle.

Vallourec se trouvait dans une situation similaire en début de mois avec 90% de gains par rapport au 30 septembre 2005 ! Et bang, bang : voilà le cours divisé par deux en trois semaines, et re-bang… une perte de 40% en six séances, la plus forte de toute l’histoire du titre !

La direction a-t-elle annoncé quelque perspective industrielle déprimante ? Un gros contrat vient-il de lui échapper ? Y a-t-il un quelconque rapport entre la valeur du pétrole et le nombre de kilomètres de tuyaux qu’il faut pour le transporter ?

Que nenni ! M. Pierre Verluca n’a fait aucun commentaire sur l’activité de son groupe. Oui mais voilà, aux Etats-Unis, les analystes dégradent comme un seul homme le secteur des parapétrolières — il s’agit en fait majoritairement de producteurs ou de raffineurs, et non de fournisseurs de tubes sans soudure ou de spécialistes d’analyse sismographique.

Si vous mentionnez le mot pétrole dans la description des activités d’une société, vous la désignez comme cible à la meute des chasseurs de gibier à pelage sombre : la nuit, tous les lièvres sont gris ! Allez, encore bang, bang… ça défoule et l’odeur de la poudre est si enivrante !

Et puis au moins, comme ça, on est sûr que pas une plus-value ne dépasse des rangs du CAC40 ! La Bourse, en 2008, c’est fait pour perdre de l’argent, même quand une entreprise en gagne. S’agissant de Vallourec, le raisonnement des opérateurs qui vendent à tour de bras est aussi pertinent que celui qui consisterait à dire que si le prix de l’eau baisse, celui des robinets et des pommes de douche doit baisser également.

Partant du même principe, je suis allé rendre visite à un revendeur de coffre-fort et je lui ai réclamé un rabais de 20% car c’est exactement ce qu’a perdu l’euro — que je compte y entreposer — depuis le 15 juillet dernier. Si l’euro perd encore 5% d’ici le 31 octobre, je compte bien obtenir une réduction de 25% ; de toute façon, c’est normal, tout baisse en ce moment !

Tenez, prenez le moral des chefs d’entreprise français : il chute de huit points à son plus bas niveau depuis décembre 1993. Vous voulez d’autres preuves ? Et bien, prenez les ventes de détail du Royaume-Uni : selon la dernière enquête de l’institut national de statistiques britannique, elles ont baissé de 0,4% en volume au mois de septembre par rapport à celles d’août.

** Nous avons cherché une statistique qui, au contraire, indiquerait qu’il existe quelque part un domaine où les courbes n’affichent pas un profil comparable à celui des chutes du Niagara.

Notre persévérance a été vite récompensée puisque, ce jeudi, à 14h30, paraissaient les demandes d’indemnisation pour cause de mise au chômage : elles ont progressé de 15 000 aux Etats-Unis la semaine passée, mais la moyenne mensuelle a reculé de 6 500.

Cette anomalie s’explique par le pic de chômage technique provoqué pour les cyclones Gustav et Ike dans le sud des Etats-Unis au mois de septembre. Depuis cette date, de nombreux salariés ont repris le travail.

Voilà qui fausse un peu les perspectives car avec les centaines de plans de réduction d’effectifs dans le secteur financier et automobile ainsi que dans l’industrie du loisir et de la restauration, l’addition semble relativement légère en cette mi-octobre.

Sur le coup, les marchés n’ont pas réagi et c’est assez logique car rien — et surtout pas les nouvelles en provenance du front de l’emploi — ne semble susceptibles d’alléger le climat boursier qui demeure un des plus négatifs de ces 20 dernières années.

Les économistes sont certains — et nous partageons leur point de vue — que le pire en matière de chômage et de baisse de la consommation reste à venir.

** Avec la multiplication des signaux de ralentissement conjoncturel en Occident, les grandes places asiatiques ont connu en 48 heures une des plus sévères corrections de l’histoire. Tokyo perdait plus de 7,75% au bout d’une heure de cotations jeudi matin (après -6,8% la veille) avant que des rachats institutionnels — savamment orchestrés, n’en doutez pas — ne permettent aux valeurs japonaises de réduire la casse à -2,5%. Séoul n’a pas eu cette "chance" et s’est effondré de 7,5%, Bombay a lâché 4% et, à Hong Kong, le Hang Seng a perdu 3,5%.

Après une chute de 6% mercredi soir, les indices américains ont vigoureusement rebondi à l’ouverture, ce qui a permis à l’Eurotop 100 de remonter de -3,4% à +0,13% au final. Mais la vague initiale de rachats à bon compte s’étant rapidement épuisée, les valeurs américaines n’ont pas tardé à revenir au contact de leurs planchers annuels. Le S&P et le Nasdaq, en recul de 2% à 3%, enfonçaient jeudi soir leurs plus-bas de clôture du 9 octobre dernier, au risque de voir se déclencher un véritable tsunami de nouvelles ventes stop.

Les acheteurs avaient totalement démissionné mercredi soir à Wall Street. Etait-il réaliste d’espérer les voir retrouver spontanément leur courage dès le lendemain ? Peut-être faudrait-il qu’ils soient encouragés d’une manière ou d’une autre, comme ce fut le cas au Japon alors que le Nikkei venait de pulvériser le plancher annuel des 8 250 points — avec 8 015 points au plus bas ?

En Europe, et y compris à Paris, les marchés sont demeurés indifférents à l’annonce faite par Nicolas Sarkozy. Il a annoncé de nouvelles mesures de soutien à l’économie via la création d’un fonds d’investissement de type fonds souverain destiné à voler au secours des entreprises en difficulté.

Il pourrait voir le jour d’ici la fin de l’année mais le climat de capitulation qui règne actuellement en Bourse exige des mesures de soutien dans l’urgence. Ce ne sont pas les Américains qui nous démentiront alors que le PBGC (fonds public américain de garantie des retraites) a perdu 3,1 milliards de dollars sur les marchés aussi bien sur les dérivés de crédit que sur les actions.

Il ne s’agit pas d’un organisme versant directement les retraites privées mais il intervient précisément en cas de faillite des Pension Funds pour assurer le versement des pensions. Nous redoutions ce genre d’annonce — entre deux faillites des hedge funds — qui pourrait, si les médias américains s’en emparent, achever de provoquer une véritable panique, non seulement à Wall Street mais également à la Maison Blanche… puis rapidement en Europe et en Asie.

L’Amérique se retrouverait comme un lapin pris dans les phares d’une voiture, incapable de bouger une oreille alors qu’il n’est qu’à quelques secondes de se faire percuter de plein fouet.

Philippe Béchade,
Paris

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