La Chronique Agora

Le combat de la Fed

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Vieille, molle et mal préparée, la Fed se présente pour le match de sa vie…

Mercredi était un grand jour pour la Fed. Les caméras tournaient. Les journalistes fixaient leur regard sur l’homme du jour.  Les esprits curieux voulaient savoir :

« Dans quelle direction cela va-t-il aller ? Qu’est-ce que vous allez faire ? »

Dans l’ex-Union soviétique, personne n’était sûr de rien, tant que ce n’était pas officiellement démenti.  Et hier, nous avons eu notre démenti officiel. Ben Bernanke, qui est probablement le banquier central le moins conscient de l’histoire des USA, a expliqué ceci :

« […] l’histoire nous apprend […] que l’inflation ne s’auto-entretiendra pas, les augmentations de prix entraînant des augmentations de salaires, entraînant elles-mêmes des augmentations de prix, si les gens ont confiance dans le fait que la Fed prendra les mesures nécessaires pour faire baisser l’inflation au fil du temps.

La plus grande indépendance politique de la Fed, sa volonté d’assumer la responsabilité de l’inflation et sa capacité à maintenir l’inflation à un bas niveau pendant près de quatre décennies après la Grande Inflation, rendent la Fed d’aujourd’hui beaucoup plus crédible en matière d’inflation que son homologue des années 1960 et 1970. La crédibilité de la Fed contribuera à éviter que la Grande Inflation ne se répète, et M. Powell et ses collègues accorderont une grande priorité au maintien de cette crédibilité. »

Ouais. C’est officiel. La Fed va gagner ce combat, nous raconte le vieux fumiste.

Hors d’état de nuire

Est-ce le cas ? Même si nous essayons de garder l’esprit ouvert, une victoire de la Fed dans ce combat du siècle semble de moins en moins probable. Oui, les gouverneurs de la Fed sont sortis de leur cure de désintoxication et ont repris le chemin de la salle de sport. Ils promettent de ne pas prendre de drogues et de ne pas boire d’alcool. « Je me couche tôt et me lève tôt », se défend le président Powell.

Les journaux ont rapporté non seulement que la Fed a augmenté les taux de 75 points de base… mais qu’elle a l’intention de procéder à une autre augmentation importante le mois prochain. D’après le Wall Street Journal :

« La hausse des taux mise en place par la Réserve fédérale mercredi pourrait ne pas être la dernière, a annoncé mercredi le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell.

S’exprimant sur la hausse des taux de la Fed, M. Powell a déclaré : ‘Il est clair que la hausse de 75 points de base d’aujourd’hui est d’une ampleur inhabituelle et je ne m’attends pas à ce que des mesures de cette taille soient courantes. Dans la perspective d’aujourd’hui, une hausse de 50 ou 75 points de base semble la plus probable lors de notre prochaine réunion.’ »

Jamais depuis 1994 – il y a 28 ans – la Fed n’avait agi avec une telle détermination. Mais la Fed est confrontée au combat de sa vie. Et elle est vieille, « pas en forme » et mal préparée.

Les économistes décrivent la banque centrale américaine comme étant « loin derrière la courbe ». Ils parlent de la courbe inflation/taux des fed funds. Un taux d’intérêt « normal » ou « neutre », pour la Fed, est d’environ 2%. Plus l’inflation augmente, plus le taux directeur de la Fed doit augmenter. Mais c’est 2% en termes réels. C’est 2% AU-DESSUS du taux d’inflation. Ainsi, avec le taux d’inflation actuel, le taux actuel des Fed Funds devrait être supérieur à 10%… et non à 1,75 % comme aujourd’hui.

Cela signifierait une hausse des taux non pas de 75 points de base… mais de 900 points. Et ce serait le plus grand choc pour les marchés, jamais vu aux USA. Même si les gouverneurs de la Fed étaient les combattants les plus coriaces, les plus sales et les plus durs du ring, ils n’oseraient pas donner un tel coup de poing.

C’est pourquoi vous entendez les commentateurs dire que la Fed a « perdu le contrôle » de l’inflation. Elle ne peut pas faire ce qu’elle doit faire.

Coup de poing

En 2018, la Fed augmentait les taux, essayant de rattraper l’envolée des cours boursiers. C’était le moment pour une augmentation de 1%… suivie d’une autre augmentation de 1%… et d’une autre encore. Cela aurait permis à la Fed d’arriver là où elle devait être – en avance sur la courbe.

Mais alors que l’été chaud touchait à sa fin, et que les investisseurs rentraient chez eux après leurs vacances, ils ont regardé dans leur rétroviseur et ont vu la Fed les rattraper. Craignant un marché baissier, ils ont commencé à se débarrasser de leurs actions surévaluées en septembre. A la fin de l’année, le S&P avait perdu 17%.

Cela a amené Janet Yellen, alors chef de la Fed, à commettre ce qui sera probablement considéré comme l’une des pires erreurs de l’histoire des banques centrales. Au lieu de poursuivre la lutte pour revenir à une position normale, elle a plongé. La Fed a « mis en pause » ses hausses de taux… puis a effondré le taux des fed funds jusqu’à zéro, où il est resté jusqu’à cette année.

Et pendant que la Fed était aussi inerte qu’un poids lourd comateux, les prix à la consommation ont augmenté… au point qu’ils augmentent maintenant environ 9 fois plus vite que le taux directeur de la Fed. Même avec des hausses de taux de 0,75 % par trimestre, il faudra 4 ans pour rattraper le retard.  Et cela, seulement si l’IPC reste stable. Ce qui est très peu probable.

Il suffit de regarder l’indice des prix à la production. Il augmente de plus de 10% par an.  Ce sont les coûts qui se retrouveront dans les prix finis, les prix à la consommation, plus tard.

Les taux hypothécaires augmentent aussi. Ils ont presque doublé cette année.  Pour une maison de 350 000 $, par exemple, le paiement mensuel est passé d’environ 1 500 $ à 2 100 $. C’est encore très bas. Mais le groupe de personnes qui peut se permettre de dépenser 2 100 $ par mois est beaucoup plus restreint que le groupe de personnes qui peut se permettre de dépenser 1 500 $. Donc les ventes baissent… Et les prix aussi.

L’heure est venue

Vous vous souviendrez aussi que les augmentations de salaire n’ont en aucun cas suivi ces augmentations de prix. La famille moyenne a du mal à subvenir aux besoins essentiels – nourriture, carburant et logement – ce qui lui laisse de moins en moins d’argent à dépenser pour d’autres choses.

Dans le monde de l’entreprise, la situation n’est pas très différente. Les entreprises – y compris de nombreuses sociétés « zombies » qui perdent de l’argent au lieu d’en gagner – sont restées en vie en refinançant leur dette à des taux d’intérêt de plus en plus bas. Cette situation est également révolue. Si le rendement moyen des obligations de pacotille (ce que les mauvaises entreprises paient pour refinancer leur dette) est toujours inférieur au taux d’inflation, il est désormais deux fois plus élevé qu’en décembre dernier.

C’est pourquoi nous assistons à un tel bain de sang dans le secteur des zombies. Par exemple MicroStrategy… une société en perte de vitesse qui a fondé ses espoirs sur le bitcoin. Mais quand les cryptos ont baissé…. Microstrategy a baissé aussi, perdant 90% par rapport à sa valeur maximale.

Les actions sont en baisse. Les obligations chutent. Les maisons chutent. L’inflation augmente. Et une récession a probablement déjà commencé.

Personne ne sait comment ce combat va se terminer. Mais si la Fed parvient à se relever et à asséner un coup de poing, cela restera dans les livres d’histoire… comme si Howard Cosell avait frappé Joe Frazier avec une batte de baseball.

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