▪ Il a fallu trois semaines d’une lutte homérique des déneigeuses contre les épais névés du Haut-Dauphiné pour restaurer la liaison entre Serre Chevalier et Valloire ou entre Briançon et Saint-Michel-de-Maurienne — si vous visualisez mieux les préfectures et sous-préfectures plutôt que les stations de ski.
Un mois et demi avant le passage du Tour de France, il était temps de mettre un terme à un suspense insoutenable ! Et si les chutes de neige — tardives et exceptionnellement abondantes — de la mi-avril obligeaient les organisateurs de la Grande Boucle à modifier le tracé ?
Les géants du Tour de France (notamment le maillot à pois rouges) se doivent d’avoir franchi le géant du Haut-Dauphiné qui culmine à 2 645 mètres (et salué le monument Henri Desgrange) avant de triompher sur les Champs-Elysées !
Mais, vous demandez-vous… qu’est ce qu’on en a à faire du col du Galibier et de ses 2 645 mètres, des déneigeuses, des marmottes qui émergent de leur sommeil avec 15 jours de retard ? Pendant ce temps, les places européennes s’effondrent… la monnaie unique plonge sous les 1,24 $… le taux de chômage atteint 11% dans l’Eurozone et plus de 25% en Espagne.
Oui, on s’en tamponne le coquillard avec une petite patte d’alligator femelle !
▪ Les médias ont un sens étrange de la hiérarchie de l’information
C’est exactement ce que je me suis dit vendredi en affichant sur mon ordinateur à 12h59 le journal télévisé d’une grande chaîne publique.
Je m’attendais éventuellement à ce que le JT ouvre sur la visite de Vladimir Poutine — c’était quasiment du direct ; ou bien sur le bilan humain de la toute dernière réplique tellurique dans la région de Modène (laquelle datait de quelques heures). Mais je m’attendais surtout à ce qu’il soit question du plongeon des marchés financiers (-2% en moyenne) et des matières premières, et de notre pauvre euro qui se retrouvait au plus bas depuis juillet 2010.
Mais non : le 13h du vendredi 1er juin a débuté par une vue aérienne des lacets du col du Galibier avant d’enchaîner trois minutes plus tard (mais comment ne l’avais-je pas anticipé ?) par un long sujet sur le jubilé de la Reine et ces trois jours de festivités sur les rives de la Tamise qui se concluront par un jour exceptionnellement férié ce lundi dans tout le Royaume-Uni.
L’autre temps fort du 13h, a été un long reportage sur la consommation de cannabis en France. Les collégiens et les lycéens fument de plus en plus jeune et trouvent cela plutôt « cool » –propos lâchés les yeux mi-clos, ponctués de quelques rires bêtas en fond sonore.
Tremblez braves gens car notre jeunesse se drogue ! Nos ados finiront un jour par sniffer de la coke dans les toilettes des grandes maisons de courtage à Londres ou sur les tables du carré VIP des boîtes les plus branchées et totalement hors de prix de New-York. Tout cela avant de prendre des risques insensés — au coût astronomique — sur les marchés dérives.
Mais non, le reportage s’est arrêté aux portes des collèges et s’est limité au déversement d’un tombereau de lieux communs sur le phénomène, un vrai marronnier en bois dur ! Il n’a jamais été question de la City de Londres ni de traders survoltés qui se poudrent le nez.
▪ La Reine d’Angleterre est plus bankable que la désintégration de l’Europe
Si vous espériez que le 20h rattraperait le coup en consacrant une partie de sa une à la débâcle des marchés, vous pouvez toujours rêver ! Gros titre sur le jubilé d’Elisabeth II (avec plein de jolies images d’archives) puis long reportage sur les jeunes fumeurs de cannabis. La désintégration de l’Europe, cela n’intéresse personne et en plus c’est carrément anxiogène.
Typiquement le sujet à proscrire avant le week-end ! Ça déprime tout le monde et de toute façon, 90% des téléspectateurs du vendredi soir ne comprennent rien à cette fichue crise !
La nouvelle la plus dramatique du JT a été l’évocation de la dernière Française encore en lice à Roland-Garros.
Au JT de 20h de dimanche soir, focus sur le tueur de Montréal qui aurait séjourné en proche banlieue parisienne (la France a peur !). Ensuite, même plat de résistance que vendredi soir : le jubilé de la Reine — et la grande parade sur la Tamise — puis Roland-Garros, les préparatifs de Laure Manaudou… et surprise, un sujet économique !
▪ On parle un peu de finance, mais pas de sujets qui fâchent
Amazon pourrait en effet (cela reste du conditionnel) ouvrir un nouveau centre de distribution en Bourgogne et y créer un millier d’emplois — cela va faire plaisir aux salariés du volailler Doux qui dépose le bilan.
Les marchés financiers qui partent en vrille, l’euro qui dévisse ? Rien ! Pas un mot !
D’ailleurs il n’y a rien à en dire puisque personne ne s’est exprimé sur le sujet, ni à Bruxelles, ni à Francfort (silence assourdissant de la BCE), ni à Berlin. La chancelière regardait peut-être le jubilé pour se changer les idées ?
Quelques dépêches de l’AFP ont juste fait mention des déclarations de Pierre Moscovici dimanche sur le risque de voir la Grèce quitter la Zone euro si elle ne respecte pas ses obligations — c’est-à-dire le plan d’austérité qu’elle s’est engagé à suivre l’automne dernier.
Face à l’apparente passivité des politiques et l’indifférence des médias (si on ne parle pas des vrais problèmes, cela évitera peut-être une panique), les marchés sont repassés en mode risk off (fuite vers la sécurité).
▪ En 10 semaines, on se retrouve au bord du gouffre
Le pessimisme est à son comble en ce début de mois de juin et il n’y a plus de liquidité dans le marché. C’est ce qui provoque une succession de mouvements indiciels brutaux et peut-être savamment orchestrés — flash krach haussier mercredi à 13h en Europe et jeudi vers 17h30 à Wall Street, avant une spectaculaire rechute une fois les rumeurs démenties.
Comment en est-on arrivé au bord du gouffre (les indices européens et américains ont les deux pieds dans le vide) en l’espace de 10 semaines ?
Il faut relire les commentaires des stratèges à la mi-mars. Ils affirmaient en choeur qu’il était inconcevable de ne pas être dans le marché… que ceux qui s’inquiétaient de la santé des banques espagnoles n’avaient rien compris aux effets miraculeux des LTRO de la BCE… que les actions n’étaient pas chères en regard du potentiel de croissance inépuisable de l’Inde et de la Chine.
Quiconque émettait quelques réserves sur n’importe laquelle de ces évidences était un idiot, un « findumondiste ». Tout commentaire un tant soit peu critique (les nôtres en particulier sur des forums devenus ultra-haussiers) était moqué et vilipendé.
Aujourd’hui, la pensée unique ne voit plus aucune issue. L’Europe n’a plus le choix qu’entre la peste du maintien de la Grèce et le choléra de son éviction… la croissance s’évapore aux Etats-Unis… l’Espagne est à son tour au bord de la faillite — c’est devenu la nouvelle évidence. Et aucune initiative émanant de la BCE ne semble plus en mesure de sauver la situation.
Mario Draghi a d’ailleurs renvoyé les politiques devant leurs responsabilités en milieu de semaine : « les Européens doivent faire connaître leurs intentions sur l’avenir de la Zone euro ».
▪ Des marchés au bord de la crise de nerfs
Les marchés sont au bord de la crise de nerfs. En effet, le CAC 40 avait perdu 6,2% au mois de mai et le mois de juin démarre sur un trou d’air de 2,2% (et même de 3% en séance à 2 922 points au plus bas, l’indice chutant sous les planchers de la mi-décembre).
Les bases techniques d’un sell-off comparable à celui du mois d’août 2011 sont posées. Nous assistons à la multiplication des signaux de rupture à la baisse, notamment à Wall Street où le S&P (-2,5%) pulvérise le support des 1 300 et même le plancher des 1 290 points. Le Dow Jones, quant à lui décroche de 275 points pour se retrouver à tout juste 1% du palier des 12 000 points.
Témoin d’un complet revirement des anticipations concernant la croissance mondiale, le pétrole s’enfonce sous les 83 $ sur le NYMEX. Le baril enregistre sa pire semaine (-8%) depuis l’été 2011 après avoir connu son pire mois depuis novembre 2008 (avec -17,5%).
En Europe, l’Euro-Stoxx 50 a dévissé de 2,37% dans le sillage de Francfort qui affiche un très inhabituel -3,45% (et même -4% vers 15h) pour un score hebdomadaire de -4,6%. Les investisseurs commencent à liquider tout ce qui permet encore d’extraire des plus-values depuis le 1er janvier.
Du point de vue conjoncturel, la semaine écoulée n’a apporté que des indicateurs négatifs. Pour couronner le tout, c’est exactement le pire scénario qui survient avec seulement 69 000 nouveaux emplois créés aux Etats-Unis, au lieu de 140 000 à 150 000 espérés. Les chiffres d’avril et mars sont également révisés à la baisse !
Le taux de chômage — allègrement manipulé et minoré depuis des mois par le biais d’un écrémage des listings de chômeurs en fin de droit — enregistre également sa première dégradation depuis 11 mois (à 8,2% contre 8,1%)… et ce n’est pas fini !
Alors que les Bourses plongent, le VIX pulvérise son zénith annuel à 26,6. La ruée sur les placements refuges s’accélère, avec un Bund dont le rendement s’effondre vers 1,15% (l’OAT française flirte avec les 2,1%) tandis le T-Bond 2012 américain rétrograde vers 1,5%.
Alors oui, effectivement, à la lumière de ce qui précède, nous venons de comprendre l’importance de l’info concernant la réouverture du col du Galibier. C’était un message codé pour les initiés ! Traduction : la grande descente est amorcée, les marmottes (les épargnants endormis) ont déjà 15 jours de retard sur la tendance baissière ! Lumineux non ?