La Chronique Agora

Le chocolat, victime de la crise économique mondiale ?

Nous sommes au bord de la catastrophe, cher lecteur. La vraie ou presque. Oui, nous frôlons la pénurie de cacao… et donc de chocolat. Sachez en effet que la rédaction des Publications Agora a mis au point un système assez complexe d’échanges reposant sur des carrés de chocolat. A certaines heures cruciales de la journée (pause café du matin et de l’après-midi, fin du déjeuner), un intense trafic de chocolat se met en place entre les bureaux de Simone, de mes collègues Patricia et Nathalie et le mien. Mathieu Lebrun, qui est à la tête d’une réserve personnelle surnommée "l’épicerie Lebrun" se voit quant à lui régulièrement soumis à des rapts de la part d’Eric Lewin, dont la tendance à subtiliser bonbons et chocolat est devenue légendaire parmi nous.

Vous vous en doutez, c’est avec une grande inquiétude que nous suivons depuis deux ans l’explosion du cours du cacao, une des seules matières premières à s’être envolée. Entre septembre 2013 et septembre 2014, le cacao a flambé de 83% passant de 1 800 $ à 3 300 $. Depuis, le cours de la fève s’était légèrement calmé… pour se stabiliser autour des 3 000 $.

Cependant, tout le secteur du cacao/chocolat restait inquiet. Et ce pour plusieurs raisons :
– la hausse de la demande, en particulier dans les pays émergents.
– la baisse de la production, menacée, entre autres, par les risques de contagion d’Ebola dans les principaux producteurs mondiaux que sont la Côte-d’Ivoire et le Ghana. Comme je vous le disais à l’automne dernier, plus que la maladie elle-même, ce sont les risques de désorganisation des récoltes qui ont fait flamber les cours du cacao à l’automne.
– une concentration plus importante des acteurs du cacao. En début d’année, on apprenait ainsi que le géant de l’agrobusiness ADM se retirait du commerce de la fève, laissant l’essentiel du marché entre les mains de Barry Callebaut (Suisse), de Cargill (Etats-Unis) et d’Olam (Singapour). Ces multinationales servent d’intermédiaire entre les producteurs et les principaux acheteurs de fèves que sont les chocolatiers ou les grands groupes agroalimentaires (Nestlé, Mars, Mondelez etc.). Or qui dit concentration dit risques de mouvements plus brutaux sur les cours à la moindre nouvelle sur l’offre ou la demande.
– Ajoutez à cela la récente décision de la Banque nationale suisse (BNS) d’abandonner la parité entre le franc suisse et l’euro (ce qui a fait s’envoler le franc). Or comme vous le savez très certainement, la Suisse s’est taillé une réputation de choix dans le monde du chocolat. Certains des plus grands chocolatiers de la planète sont helvètes : Lindt & Sprüngli (SWX : LISN), Nestlé (SWX : NESN)…

En fin de semaine dernière nous nous mettions donc à craindre une nouvelle envolée du prix de notre tablette de chocolat…

▪ Les chocolatiers face à la hausse du cacao…
La hausse des prix du cacao a déjà poussé les chocolatiers et les industriels à prendre plusieurs mesures, à la fois en amont et en aval.

En amont, les acteurs du chocolat ont investi dans les pays producteurs pour s’assurer une production suffisante.

En 2012, le géant américain Mondelez International a lancé le programme "Cacao Life", doté de 400 millions de dollars et destiné à soutenir une filière responsable et durable du cacao. Début 2014, le groupe chocolatier français Cemoi décidait quant à lui d’investir 4 milliards FCFA dans la construction d’une usine de transformation en Côte d’Ivoire.

En aval, nombre de chocolatiers et de géants de l’agroalimentaire ont décidé de répercuter la hausse du cours du cacao… sur les consommateurs. Plusieurs stratégies ont ainsi été déployées au cours des dernières années : augmentation des prix bien sûr, mais aussi et surtout baisse de la qualité ou du pourcentage de chocolat présent dans leurs produits ! C’est un scandale ! Vous avez dû noter l’apparition massive de tablettes de chocolat "customisées" dans les rayons. La raison en est simple : les biscuits, caramel et autres adjonctions permettent d’utiliser moins de chocolat, et donc de réduire les coûts tout en faisant grimper les étiquettes. Ah, le pouvoir du marketing…

▪ … et à la spéculation
Ces stratégies de la part des chocolatiers étaient censées contrebalancer les effets de la spéculation sur les cours de la fève. Le cacao s’est en effet imposé comme une des matières premières préférées des spéculateurs en tous genres sur les commodities. Episode le plus fameux : en 2010, Anthony Ward, dit "Chocolate finger", était parvenu à faire exploser les cours de la fève sur un coup spéculatif à un milliard de dollars.

Preuve que malgré les efforts des principaux acteurs du secteur, les spéculateurs ont toujours un goût marqué par la tablette, la chute de 30% des cours du cacao le 7 janvier dernier.

Derrière cet effondrement qui a vu la tonne de cacao passer de 3 000 $ à 2 000 $ une annonce qui pourrait bouleverser le marché du cacao dans les mois qui viennent : la demande mondiale est en chute libre.

▪ Le chocolat, signe d’une nouvelle crise mondiale ?
La question mérite d’être posée au vu des derniers chiffres publiés sur la quantité de fève broyée sur chaque continent. Au quatrième trimestre 2014, elle a reculé de 7,5% sur un an en Europe, de 2% aux Etats-Unis (alors qu’une légère progression était attendue) et de 21% en Malaisie.

En cause, une baisse marquée de la demande de chocolat aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, conséquence de la hausse des prix imposée par les chocolatiers et l’industrie agroalimentaire dont je vous parlais plus haut.

Les acteurs du secteur misent sur la hausse de la demande des pays émergents pour compenser le recul de la demande des consommateurs traditionnels que sont les Européens et Américains. Las… ceux-ci ont encore du mal à se laisser séduire par les vertus du chocolat. Pour rappel, les Chinois n’en consomment que 38 gr par an… contre 4 kg en moyenne pour les Français (et le double pour les rédacteurs des Publications Agora). Alors certes, la marge de progression est importante (la consommation de chocolat augmente de 30% par an en Chine) mais je vois mal l’Empire du Milieu se convertir de manière massive au chocolat — un produit exotique et de luxe — dans les années qui viennent.

▪ Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
L’annonce d’une baisse de la consommation de cacao ne peut expliquer à elle seule l’effondrement de 30% des cours le 7 janvier dernier. Et ce d’autant plus que, depuis, les cours se sont repris pour retrouver leur niveau de 3 000 $. Pas de doute, les spéculateurs sur les matières premières ont une nouvelle fois accentué le mouvement.

Mais que nous réserve le moyen terme ? Malgré la baisse de la demande, les cours du cacao pourraient se maintenir à des niveaux élevés alors que la production en Côte d’Ivoire et au Ghana est menacée par les conditions météorologiques.

En outre, sur le long terme, tous les analystes s’accordent sur un point : la pénurie menace. En novembre dernier, Barry Callebaut pointait une nouvelle fois du doigt ce risque tandis que le groupe Mars table sur un déficit d’un million de tonnes en 2020.

De quoi accentuer les appétits pour un marché mondial estimé à 110 milliards de dollars en 2014. Et ce qui explique pourquoi l’action de Lindt à la Bourse suisse n’a pas bronché sous la nouvelle de la flambée du franc mais a même progressé ces derniers jours. Ah oui, il vous faudra maintenant débourser 55 000 euros pour acquérir une action Lindt. Oui, une.

Dans La Quotidienne Pro, je vous propose de miser de manière bien moins dispendieuse (mais tout aussi prometteuse) sur la hausse de la demande agricole mondiale.

Meilleures salutations,

Cécile Chevré
La Quotidienne de la Croissance

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