La Chronique Agora

Ce qui n’arrive qu’aux autres…

** Je n’imaginais pas que la crise du subprime puisse un jour troubler mon sommeil ! Ou plutôt si… mais seulement dans l’hypothèse — proprement impensable — où, par le jeu d’un extraordinaire prodige, elle ne serait pas survenue !

Heureusement, toutes les dénégations de la Fed, des banquiers de Wall Street et des sherpas de la Maison-Blanche avaient tué le suspens dès le début du mois de mars dernier : nous allions avoir droit à un éclatement de la bulle du crédit, format « grand veneur »… et la contagion n’allait pas tarder à se propager à l’ensemble du système bancaire !

L’enchaînement si prévisible des évènements depuis six mois nous avait jusqu’à présent rempli d’un légitime sentiment de fierté. Après tout, nous avions décrit à l’avance, étape par étape et dans les moindres détails, tout ce que la majorité des plus éminents économistes se sont acharnés à nier avec la dernière énergie (et en pure perte)… jusqu’à ce que les clients fassent la queue devant les agences de Northern Rock pour récupérer leurs billes.

Et cela, pour être tout à fait franc, nous ne l’avions pas prévu : nous pensions un peu naïvement –et malgré toutes nos critiques à l’encontre d’instituts d’émission maniant la planche à billet avec une coupable désinvolture — qu’aucune banque centrale, aucun gouvernement occidental ne verrait le contrôle de la situation lui échapper à ce point.

Nous ne pensions pas non plus qu’un beau matin (c’est tombé le jeudi 13 septembre 2007), les caméramans de la BBC viendraient filmer des cohortes d’épargnants paniqués venus solder leurs comptes et récupérer leurs économies en petites coupures — tout en maudissant le nom de leur nouveau Premier ministre, accusé d’avoir encouragé la spéculation immobilière ainsi que des prises de risques inconsidérées de la part des banques hypothécaires.

** Mais se doutent-ils de ce qui les attend à présent ? Savent-ils qu’une partie plus ou moins significative de leur future retraite a également été investie dans des supports de titrisation de type ABS (asset-backed securities) et RMBS (residential mortgage-backed securities) ? Sont-ils conscients que les gérants de fonds de pension anglo-saxons — mais pas seulement — ont succombé au charme vénéneux des « conduits » (produits structurés de dette à court terme), devenus largement illiquides ?

Nous guettons depuis quelques semaines les premières annonces de « difficultés passagères » rencontrées par des gérants de fonds de retraite. Ils pourraient se retrouver contraints de liquider d’autres classes d’actifs réalisables immédiatement (actions, bons du Trésor) pour assurer le versement des pensions d’ici la fin de l’année.

Nous sommes à peine surpris d’apprendre que certaines filiales régionales (Auvergne, Aquitaine, Bretagne) d’une grande banque mutualiste française seraient sur le point de constater des pertes de plusieurs dizaines de millions d’euros sur des produits structurés adossés à des émissions de subprime en déshérence.

En l’occurrence, les seuls clients concernés sont des institutionnels avertis. Dans d’autres cas — que Colette Neuville connaît bien, pour suivre de très près le sort réservé aux souscripteurs de SICAV Monétaires « dynamiques  » d’une grande firme de courtage parisienne –, de simples épargnants qui se pensaient bien à l’abris des turbulences boursières pourraient y laisser des plumes… ne serait-ce que par le blocage de fonds destinés au paiement de leurs impôts et autres prélèvements tels que des mensualités d’emprunts. Le serpent, cette fois-ci, se mord la queue !

Les dérivés de crédits immobiliers ne sont pas les seuls en cause, nous l’avons maintes fois souligné. Il y a toute la masse des prêts à la consommation, des prêts consentis à des firmes spécialistes des LBO ou à des spécialistes des « arbitrages monétaires » — nous pensons notamment à ceux qui sont fortement engagés sur des opérations de carry trade.

De ce point de vue, la remontée du yen vers les 114 $ (déjà deux tests en trois séances, les 20 et 25 septembre) n’est pas une bonne nouvelle. Le décrochage du dollar sous ce support décisif pourrait déboucher sur un retracement du plancher estival des 112 $ — voire une chute jusque sur le support long terme des 109 $ (il remonte à juillet 2006), ce qui causerait de sérieux dégâts !

** Malgré la glissade du billet vert sous les 1,41/euro puis désormais les 1,4150/euro, les places européennes sont parvenues à limiter la casse hier avec une perte moyenne à peine supérieure à 1%. Le CAC 40, qui avait perdu jusqu’à 1,5%, affichait un score final relativement anodin de -0,9%.

Il se pourrait que bien les chiffres américains du jour aient été tellement mauvais qu’ils ont rapidement alimenté de nouvelles anticipations de baisse des taux par la Fed au milieu de l’automne. Ce geste est déjà pris en compte par les T-Bonds 2017, dont le rendement flirte avec les 4,55% après un petit épisode de tension causé par la remontée de Wall Street.

Le FMI estime que la crise de l’immobilier aux Etats-Unis est sévère. Il n’a pas été démenti par les statistiques mensuelles de revente de logements anciens : elles ont chuté de 4,3% selon la Fédération nationale des agents immobiliers (NAR), de telle sorte que les stocks représentent 10 mois de transactions — c’est la pire situation observée depuis janvier 1989.

Les mauvais résultats du constructeur américain de maisons individuelles Lennar (pertes trimestrielles de 514 millions de dollars à la clé) témoignent de l’ampleur de la dégradation de ce secteur.

Nous vous avions fait part de notre étonnement face à la stabilité de la confiance des ménages américains fin août. La voici qui chute brutalement de 105,6 jusqu’à 99,8 : l’enfoncement du seuil psychologique des 100 devrait marquer une rupture par rapport à l’autisme qui prévalait depuis le mois de mars dernier et l’avènement officiel de la crise du subprime.

** Nos chefs d’entreprises européens sont à l’évidence plus lucides : le moral des industriels allemands a reculé pour la quatrième fois consécutive au mois de septembre. L’indice IFO du climat des affaires ressort ce mois-ci en baisse de 1,6 point, à 104,2 (contre un score de 105 anticipé). La sous-composante la plus vulnérable est sans conteste celle des anticipations, avec une chute de près de deux points sous le seuil des 100, à 98,7. Les différents baromètres de l’institut francfortois affichent leurs plus faibles niveaux depuis 18 mois.

Ceci ne va pas empêcher le gouvernement d’Angela Merkel de soutenir officiellement l’action résolue de la BCE pour combattre l’inflation : ils disposent d’un bouillonnant président français pour lancer tout haut à la face de J.C. Trichet ce que les milieux d’affaire allemands pensent tout bas.

Comme dans toute action psychologique efficace visant à faire plier un voyou coriace, il faut un « gentil flic » et un « méchant flic ». Devinez qui a été jugé le plus crédible pour jouer ce rôle ?

Philippe Béchade
Paris

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