La Chronique Agora

Ce qui compte, c'est le caddie… et non pas ce qu'a dit la Fed

▪ Parmi les paradoxes qui intriguent nos lecteurs — et ils ont bien raison de nous questionner sans relâche sur nombre de sujets sensibles qui rebutent la plupart des medias économiques –, il y a la hausse de l’or sur fond de scénario déflationniste.

L’heure de remettre notre ouvrage sur le métier a effectivement sonné hier avec un nouveau record historique inscrit par l’once d’or à 1 097 $ et la parution d’une nouvelle interview de Nouriel Roubini qui prédit une sévère vague de déflation "à la japonaise" d’ici 2012 aux Etats-Unis.

Les commentateurs admettent bien volontiers que le métal précieux fait office de substitut au dollar, un rôle que le pétrole joue de façon non moins évidente depuis 2005/2006.

Cela signifie que l’or noir peut grimper en totale déconnexion par rapport à la demande mondiale en matière énergétique, son cours étant inversement proportionnel à la masse de dollars en circulation — ou qui serait appeler à circuler sur la base du taux de croissance des déficits américains anticipé d’ici 12 ou 24 mois.

Il faut cependant se méfier des violents retours de balancier sur le marché des matières premières lorsque certains opérateurs influents décident que la hausse n’est plus tenable, car trop déconnectée de la demande réelle. C’est bien évidemment parce qu’ils comptent matérialiser de gros écarts à la baisse avant de ressortir leurs études sur le peak oil, le peu de substituts économiquement viables aux énergies fossiles dans les pays développés ou la courbe de progression des importations indiennes et chinoises à l’horizon 2020/2030.

Tout cela est bien connu et rythme le graphique en montagnes russes de l’or noir depuis 30 ans. L’inflation n’a en revanche toujours pas refait surface en Occident depuis les années Greenspan, en dépit d’une surabondance de liquidités qui a permis de gonfler successivement plusieurs bulles d’actifs — la dernière en date était celle des actions ces six derniers mois.

▪ L’inflation dont rendent compte les statistiques officielles semble en fait étroitement corrélée à l’évolution des salaires moyens en Europe comme aux Etats-Unis — le pouvoir d’achat n’augmente plus depuis les années Reagan pour les classes moyennes – par rapport à la courbe des revenus distribués. Celle-ci continue de progresser à un rythme plus soutenu que la croissance, grâce aux dividendes, ristournes fiscales, bonus et autres primes discrétionnaires.

L’explication fait grincer beaucoup de dents : de récentes études ont démontré que 80% de la richesse supplémentaire créée aux Etats-Unis depuis 2001 a été captée par les 5% de citoyens les plus riches. Et plus de 50% de cet excédent l’a été par les 1% les plus fortunés.

Il en résulte une fracture sociale majeure dont la meilleure expression est la relative sagesse des prix de "ce qui se consomme" (grâce surtout aux importations massives de produits à bas coût de production en provenance des pays émergents) et une inflation galopante du prix des "actifs" (immobilier et dérivés de crédit, actions, matières premières, marché de l’art, métaux précieux…).

C’est ainsi que la plupart des contribuables ne parviennent pas à faire le lien entre une déflation "statistiquement prouvée" (de l’ordre de -1,5% ces 12 derniers mois) et une perte régulière de pouvoir d’achat. Cette dernière résulte du coût exorbitant du budget immobilier (que ce soit pour acheter ou louer), de la hausse des taxes locales et foncières, des frais médicaux ou scolaires.

Ce qui précède constitue une double incitation à ne pas consommer : si les prix doivent encore chuter, pourquoi acheter dès aujourd’hui. Si les salaires continuent d’être renégociés à la baisse, tandis que les frais incompressibles augmentent, il serait plus prudent de ne pas faire de folies. Et c’est sans compter sur la rareté du crédit et l’impératif du désendettement qui frappe la plupart des ménages confrontés à une situation de negative equity sur la valeur de leur logement.

▪ Nouriel Roubini a donc raison : la paupérisation d’une immense majorité d’Américains pourrait se traduire par un processus déflationniste de longue haleine et un changement radical des (mauvaises) habitudes de (sur)consommation. Il faut y ajouter le poids de la dette par contribuable. Elle a plus que doublé depuis 2003 avec le début de la guerre sans fin contre le terrorisme puis le récent renflouement du système financier américain — pour un coût de 3 500 milliards de dollars.

Les rédacteurs ont également raison d’anticiper l’établissement de nouveaux records absolus sur l’or, non pas comme outil de lutte contre l’inflation mais bien comme refuge en cas d’incapacité de la Fed à préserver la valeur du dollar. La déflation signifie en effet une baisse des recettes fiscales : moins de TVA, moins de charges prélevées sur une masse salariale en contraction, moins d’impôts sur les bénéfices avec des marges sous pression, etc.

Nous attendons avec un certain scepticisme la confirmation de la reprise économique si le moteur de la consommation ne repart pas aux Etats-Unis, et alors que le coût des déficits pourrait bientôt ne même plus dépendre des taux pratiqués par la Fed mais bien du coût de l’argent sur le marché des capitaux.

▪ La Fed se retrouve bel et bien confrontée à une alternative sans solution satisfaisante. Soit elle augmente les taux avant le second semestre 2010 et elle tue l’embryon de croissance obtenu à coup de subventions publiques. Soit elle maintient les taux très bas et les détenteurs de dollars s’en débarrasseront à la première occasion — dès que Ben Bernanke annoncera qu’il vient d’autoriser le rachat des bons du Trésor dont les étrangers ne veulent plus. Ce qui aboutira de toute façon à une hausse du coût du financement de la dette américaine.

Nous faisons donc le pari que les marchés n’auront pas le loisir de se réjouir très longtemps d’un maintien intégral du statu quo en matière de stratégie monétaire de la part de la Fed.

Un consensus se dessinait même hier en faveur d’un communiqué qui confirmerait la perspective de taux demeurant "très bas très longtemps", sans que Ben Bernanke ne change une virgule par rapport aux minutes publiées à la mi-octobre.

▪ Wall Street affichait à la mi-séance des performances moins ambitieuses que celles observées en Europe (+1,9%) en fin d’après-midi. Le Dow Jones gagnait à peine 1,1%, le S&P 500 0,9% et le Nasdaq se contentait de 0,6%. A Paris, la journée de mercredi fut de celles qui rappellent les bouffées d’euphorie des mois estivaux avec un gain de 2,4% pour le CAC 40 et un retour au-dessus des 3 670 points.

Le moral des investisseurs s’est nettement raffermi hier à mesure que le dollar affichait des disposions inverses. Il a rechuté de 0,8%, ce qui favorise en théorie les valeurs exportatrices. Ceci a permis de digérer le recul surprise de l’activité dans les services aux Etats-Unis — un chiffre publié à 16 heures — avec un score de 50,6 (contre 50,9 en septembre) au lieu des 51,5 espérés.

Même constat avec l’enquête mensuelle d’ADP. Elle a dévoilé la suppression de 203 000 emplois en octobre (au lieu de 190 000 anticipés) outre-Atlantique. Cela n’a guère indisposé les investisseurs qui auront surtout noté que le chiffre des licenciements au mois de septembre à été fortement revu à la baisse. Le parti pris en faveur du verre à moitié plein est de retour… mais cela ne durera pas si les marchés réalisent que le caddie du consommateur américain reste lui… à moitié vide.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile